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Hôpitaux privés lucratifs : devant le Sénat, ils défendent leur modèle

Le 5 juin, trois des quatre grands groupes d’hospitalisation privée (Ramsay Santé, Elsan et Vivalto) étaient auditionnés par la mission d’information du Sénat sur la financiarisation de l’offre de soins. Une audition tendue, au cours de laquelle les trois représentants ont défendu leur modèle et ont déploré un environnement règlementaire défavorable aux investissements.
Mathilde Nutarelli

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Une audition tendue sur un sujet vital. Elle avait lieu le 5 juin dernier au Sénat, dans le cadre d’une mission d’information lancée par la commission des affaires sociales sur la financiarisation de l’offre de soins. Les sénateurs entendaient des représentants de trois des quatre principaux groupes de cliniques privées à but lucratif en France : Ramsay Santé, Elsan et Vivalto. Un échange au cours duquel ils étaient venus défendre leur modèle et alerter sur la situation de leurs finances, mais où le ton est monté entre Daniel Caille, président et fondateur du groupe Vivalto Santé, et la sénatrice communiste de la Seine-Maritime Céline Brulin. Les sénateurs, qui essaient d’évaluer le phénomène de financiarisation dans le secteur de la santé, interrogeaient leurs trois invités sur la politique de leur groupe en termes de maillage du territoire et leurs relations avec l’hôpital public.

Une mission d’information sur la financiarisation de l’offre de soins

Lancée en janvier 2024, la mission d’information de la commission des affaires sociales du Sénat sur la financiarisation de l’offre de soins vise à évaluer et identifier les conséquences de ce phénomène. Cette tendance, qui consiste, pour des acteurs privés, non professionnels de santé, à investir dans le secteur du soin, interroge les membres de la Chambre haute. D’après un rapport de la Cour des comptes de 2023, en 2020, les hôpitaux privés à but lucratif représentaient 36 % des établissements de soins en France, contre 49 % pour les hôpitaux publics et 15 % pour les établissements de santé privés à but non lucratif. « L’activité privée (à but lucratif ou non lucratif) augmente plus rapidement que l’activité des établissements publics », peut-on lire dans le rapport. Un secteur important, donc, et qui a récemment fait parler de lui, en mars dernier, lorsque l’Assurance Maladie a réévalué les tarifs des hôpitaux publics de 4,3 % contre 0,3 % pour ceux des hôpitaux privés à but lucratif. Une annonce qui est mal passée, menant à un appel à la grève par les présidents d’Elsan et de Vivalto pour le 3 juin. Appel à la grève qui a finalement été suspendu, après qu’un accord avec l’Etat concernant la revalorisation du travail de nuit pour leurs soignants a été trouvé fin mai.

Ce 5 juin, l’objectif de l’audition était de mieux cerner le fonctionnement de ces structures privées à but lucratif : qui sont leurs actionnaires, quels sont leurs résultats financiers, comment sont prises leurs décisions d’ouverture ou de fermeture d’activité, … « La financiarisation n’est pas le diable à nos yeux », a rappelé l’un des rapporteurs, le centriste Olivier Henno. Mais ce sujet, dénoncé par le Conseil national de l’Ordre des médecins dans un communiqué du 10 avril dernier, interroge. Un point de crispation arrive dès le début de l’audition : le terme de « financiarisation », rejeté par les personnes auditionnées. « Ce terme me gêne beaucoup, je le trouve insuffisamment précis », défend devant les sénateurs Sébastien Proto, président exécutif du groupe Elsan, « je ne crois pas que ce soit un problème d’avoir des investisseurs privés dans le cas où il y a un cadre. Ces actionnaires n’ont pas d’influence sur la pratique des médecins libéraux ».

« On marche sur deux pieds avec l’hôpital public »

Devant les sénateurs, les trois invités ont défendu leur modèle. Leur principal argument : sans eux, pas de maillage territorial, essentiel pour la survie du système de santé français. « Ce qu’apporte un groupe, c’est la capacité de maintenir l’offre dans les territoires », justifie Sébastien Proto, « dans les territoires, 43 % de nos établissements sont en perte, mais nous sommes en capacité de maintenir ces établissements parce que nous sommes un groupe, cela nous permet de maintenir un accès au soin dans les territoires ». Une affirmation nuancée par les données de la Drees, qui montrent une présence prédominante du privé lucratif en Île-de-France et dans le pourtour méditerranéen.

Les représentants des hôpitaux privés lucratifs ont également insisté sur leur complémentarité avec les hôpitaux publics. « On marche sur deux pieds avec l’hôpital public, et les deux pieds il faut qu’ils marchent ensemble », a expliqué Daniel Caille, président et fondateur de Vivalto Santé, « sur les territoires, dans le partenariat public- privé, il n’y a pas de tension dans les pratiques de prise en charge. Dans la désertification médicale, on est dans la complémentarité beaucoup plus que dans la concurrence ». Une complémentarité qui a joué à plein pendant le covid, lors duquel les hôpitaux privés avaient été mis à contribution. « Pendant le covid, nous avons accueilli 18 % des patients covid d’Île-de-France en réanimation », se défend Pascal Roché, directeur général du groupe Ramsay Santé. Non sans rappeler qu’à l’époque, Jean Castex, alors Premier ministre, les avait remerciés pour cela.

« Y a-t-il un risque de constitution d’oligopole voire de monopole dans le secteur de la santé ? »

L’une des principales inquiétudes des sénateurs, concernant l’entrée de capitaux privés dans les établissements de santé, est la possible recherche de profits que cela pourrait entraîner, au détriment de la gestion des patients, des pathologies prises en charge ou encore de l’offre de soins proposée. « On voit ces mouvements de capitalisme financier », a interrogé le rapporteur socialiste Bernard Jomier, « y a-t-il un risque de constitution d’oligopole voire de monopole dans le secteur de la santé ? ». Les trois invités se sont voulus rassurants, en citant le statut d’entreprise à mission de leurs groupes. Il permet à une entreprise d’inscrire dans ses statuts des objectifs sociaux et environnementaux, ainsi que sa raison d’être, dont le respect est vérifié tous les deux ans par un organisme tiers indépendant. « C’est un garde-fou », justifie Sébastien Proto.

Par ailleurs, les trois responsables ont décrit un secteur peu rentable, donc peu attirant pour les investisseurs, où nombre de leurs établissements sont dans le rouge. « L’ensemble du groupe est déficitaire », a expliqué Pascal Roché, « depuis dix ans, il n’y a pas de distribution de dividendes pour nos actionnaires ». Pour autant, le groupe Ramsay Santé affichait en juin 2023 un chiffre d’affaires de 4,9 milliards d’euros et un bénéfice de 49 millions d’euros. Une performance qui ne permet au groupe de ne dégager qu’1 % de résultat net. « Plus de 90 % de notre activité en France est payée par l’Etat, […] mais pour le même patient, la même pathologie, nous sommes payés en moyenne 25 % de moins que l’hôpital public, pour la même infirmière recrutée, nous payons 10 % de charges sociales en plus », a regretté le patron de Ramsay Santé.

Ils ont tous les trois déploré le manque d’investisseurs intéressés par le secteur du soin lucratif en France. « Mon inquiétude, c’est la définanciarisation. Des investisseurs, il n’y en a plus », s’est inquiété Sébastien Proto. Daniel Caille, lui, est venu pousser « un vrai cri ». « Aujourd’hui, je suis incapable de faire sortir mes investisseurs et d’en trouver des nouveaux », a-t-il déclaré devant les sénateurs. Pour lui, la faute est à mettre sur le manque de visibilité concernant la tarification, ainsi que sur l’incapacité à « rentrer dans un schéma durable de participation public-privé, de forcer l’hôpital public à se moderniser, à faire de la marche en avant économique, au lieu de faire de la protestation budgétaire en fin de mois ». Une phrase qui a fait réagir Céline Brulin. La sénatrice communiste de la Seine-Maritime a répondu : « Vous dites que vos résultats sont négatifs, mais on voit que vous continuez à acquérir des cliniques, alors pourquoi continuer ? […] Devant nous, vous faites de la politique : vous avez une vision de l’organisation des soins et vous voulez peser dans le débat public ». S’en est suivie une vive réaction de Daniel Caille et quelques invectives entre lui et la sénatrice, hors micro, nécessitant un appel au calme du président de séance. « On est venus combler des vides, on n’est pas venus combler des pleins », s’est ensuite justifié le président de Vivalto Santé, « c’est de la solidarité que je voulais exprimer ».

« Le cadre réglementaire conduit à vider les maternités des gynécologues obstétriciens »

Un autre sujet très sensible a été abordé au cours de cette audition : le sort des maternités privées. A la demande de la rapporteure LR de la mission d’information, Corinne Imbert, les invités se sont exprimés sur les fermetures, souvent très médiatisées et dures à vivre pour les habitants. En effet, d’après le ministère de la Santé, entre 2002 et 2022, le nombre de départements sans maternité privée a doublé. Tous les trois ont reconnu que le nombre de bébés naissant dans une maternité privée décroissait fortement et devrait continuer à le faire. Mais tous ont également contesté des « fermetures sèches » d’activités. « S’il y a moins de 650 naissances par an, on discute avec l’hôpital public pour y transférer notre maternité », a expliqué Pascal Roché.

« Le cadre réglementaire conduit à vider les maternités des gynécologues obstétriciens [déjà peu nombreux] », a regretté Sébastien Proto. Cela combiné au fait que les maternités privées seraient pour la plupart de niveau 1, ne pouvant pas prendre en charge les grossesses à risque, et le fait que les grossesses aient lieu de plus en plus tard dans la vie des femmes, le nombre de naissance dans les maternités privées baisse. Et quand il est trop bas, le « fondement sanitaire n’est pas respecté », a expliqué le président d’Elsan. Pour autant, « on ne vide pas un territoire de son offre en matière de périnatalité », s’est-il défendu, « nous avons à chaque fois une discussion avec le centre hospitalier sous l’égide de l’ARS, pour mettre en place des regroupements ». Un phénomène qui tend donc à concentrer les lieux de prise en charge des femmes enceintes et de leur nouveau-né, problématique quand il prive un territoire déjà dépourvu en offre de soins.

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