L’exercice est inédit pour le Parlement. Pour la première année, la représentation nationale est saisie d’un projet de loi d’approbation des comptes de la Sécurité sociale. Un peu comme les lois de règlement s’agissant du budget de l’État, il constituera une occasion d’évaluer l’exécution du budget de la Sécurité sociale, pour l’année écoulée. Auditionné au Sénat sur ce texte rejeté le 6 juin par les députés, Gabriel Attal a notamment insisté sur le déficit de 19,6 milliards d’euros l’an dernier de la branche maladie de la Sécurité sociale.
Le chiffre n’a pas non plus échappé à la sénatrice Corinne Imbert (LR). La rapporteure de l’Assurance maladie pour chaque loi de financement, a noté que l’objectif national de dépenses avait été dépassé de 10,4 milliards d’euros l’an dernier. « Celui-ci n’est pas seulement le fait de la crise sanitaire », a-t-elle commenté. Celle-ci a coûté à la Sécu en 2022 11,7 milliards d’euros, sous l’effet de la poursuite du remboursements des tests et de la politique vaccinale.
Une « préoccupation » du gouvernement
Le ministre en charge des Comptes publics a mis en avant une explication, qui devrait constituer l’une des attentions du gouvernement dans les prochains mois, pour dégager des marges budgétaires. « Le gros des dépassements, c’est quand même lié aux indemnités journalières et à l’explosion notamment des arrêts maladie. On a eu l’an dernier une augmentation extrêmement importante, de 7,9 % », a-t-il affirmé. « Je ne dis pas que c’est aujourd’hui massif en volume. En revanche, la dynamique est très élevée. Ça explose. »
En suivant la tendance, le montant annuel des indemnités journalières pourrait passer de 15 milliards d’euros actuellement à 23 milliards d’euros d’ici la fin du quinquennat, selon ses calculs. À tel point que le sujet constitue désormais « une préoccupation » pour l’exécutif. « Il suffit d’ouvrir un réseau social, un article de presse, pour voir à quel point il est facile de se procurer un arrêt maladie », a-t-il souligné, en référence aux arrêts falsifiés proposés sur Telegram ou Snapchat.
Gabriel Attal n’a pas abandonné l’idée de limiter les arrêts maladie prescrits en téléconsultation
Bercy n’est pas moins inquiet sur les arrêts maladie de complaisance. Sans parler de l’essor des téléconsultations. L’an dernier, dans la loi de financement de la Sécurité sociale, le gouvernement avait tenté de dérembourser les arrêts prescrits à distance quand le professionnel de santé n’est ni le médecin traitant, ni un médecin avec lequel le patient a déjà eu affaire à distance. La disposition avait été censurée par le Conseil constitutionnel, car considérée comme hors périmètre de la loi de financement. Déçu par cette censure, Gabriel Attal ne compte pas en rester là. « J’espère qu’on trouvera une solution », a-t-il déclaré.
D’ici à une nouvelle tentative dans un autre véhicule législatif, le ministre a rappelé les axes de son plan anti-fraude annoncé à la fin mai : formation de 450 cyber-enquêteurs au sein de l’Assurance maladie pour déceler la fraude sur les réseaux sociaux, ou encore contrôles visant les professionnels qui prescrivent plus que la moyenne ou encore les « arrêts du lundi ». Sous le précédent quinquennat, 30 millions d’euros de fraudes aux arrêts de travail ont été détectés, selon Bercy qui veut mener une nouvelle évaluation, pensant le chiffre sous-estimé.
« On sera amenés à en reparler », a prévenu le ministre, qui a semblé faire une bande-annonce du prochain projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS 2024). Évoquant les « mesures d’efficience » pour le respect de l’objectif de dépenses de l’Assurance maladie (Ondam), le ministre « pense que cela en fera partie ».
Le rappel de l’offensive sur les arrêts maladies prescrits par téléconsultation a ranimé de mauvais souvenirs, pour la sénatrice Cathy Apourceau-Poly (communiste). « Nous sommes dans des déserts médicaux qui, finalement, nous obligent à passer par la téléconsultation. On préférait, je vous assure, plutôt qu’une télémédecine, avoir des médecins en face de nous. » Gabriel Attal a précisé, dans sa réponse, que « 80 % des arrêts maladie prescrits par télémédecine » l’étaient pour des « patients qui résident dans les territoires urbains ».
Sur le fond du projet de loi d’approbation des comptes, le ministre des Comptes publics a souligné qu’il ne s’agissait « que d’une photographie des comptes exécutés l’année passée ». Le 6 juin, l’Assemblée nationale avait choisi de rejeter le texte (par 134 voix contre 115), les oppositions de gauche comme le RN dénonçant un budget « insincère » ou ayant imposé « l’austérité ». Les députés LR ont regretté, quant à eux, une insuffisante maîtrise des comptes. Même si un rejet par l’ensemble du Parlement n’aura aucune conséquence pratique, Gabriel Attal a tenu à préparer le terrain au Sénat. « On ne peut pas changer le passé. Voter contre ou rejeter ce texte, par principe, ne me semble pas utile au pays. »
« La photo est un peu floue », note la rapporteure générale
À ce stade, les différents rapporteurs de la commission des affaires sociales, membres de la majorité sénatoriale de droite et du centre, n’ont pas donné d’indications sur leurs intentions. La rapporteure générale, Elisabeth Doineau (Union centriste) a simplement déclaré qu’il y avait sûrement des sénateurs qui relèvent des « points de satisfaction », et d’autres qui « trouveront que la photo est un peu floue et qu’il faudra peut-être poursuivre les réglages ». En cause, la présence d’indicateurs statistiques qui s’arrêtent en 2021, voire 2020. Pour le ministre, cela tient au fait que certaines données sont publiées après le mois de mai.
Plusieurs sénateurs ont rappelé en parallèle que la Cour des comptes avait refusé de certifier les comptes 2022 de la branche famille de la Sécurité sociale, en raison d’une augmentation importante des proportions de paiements erronés (en faveur ou défaveur des assurés), notamment pour le RSA ou la prime d’activité. « Il n’y a pas de remise en cause de la sincérité des comptes. On a bien un excédent de 1,9 milliard d’euros », a répondu le ministre, en ajoutant que d’autres refus de certification ont déjà lieu dans le passé. Le DRM (dispositif de ressources mensuelles), mis en place pour la réforme des allocations logement et qui doit servir à l’avenir de base aux calculs de toutes les allocations, sera un « vrai progrès » pour éviter les erreurs, selon lui.
Quant aux groupes de gauche, pas sûr qu’ils se montrent moins hostiles qu’à l’Assemblée nationale. « Si vous souffrez que la Cour des comptes ne certifie par les comptes, il faudra peut-être souffrir le fait que pour d’autres raisons nous n’approuvions pas votre projet de loi », a lancé Raymonde Poncet Monge. Laquelle a promis un discours « politique » en séance sur ce projet de loi technique.