« Une réponse inappropriée et dangereuse à une demande diffuse et équivoque », c’est ainsi que le rapport des sénatrices LR Christine Bonfanti-Dossat et Corine Imbert qualifie l’aide active à mourir envisagée par le gouvernement. Michelle Meunier, sénatrice socialiste elle aussi auteure du rapport, affirme quant à elle dans le rapport une opinion dissidente, favorable à une évolution législative sur le sujet tant vers le suicide assisté que vers l’euthanasie.
En lançant une convention citoyenne, Emmanuel Macron a en effet remis sa promesse de campagne sur la table, alors que le Sénat avait déjà planché sur le sujet en 2021, à l’occasion d’une proposition de loi du groupe socialiste. L’exécutif semble depuis souffler le chaud et le froid sur une éventuelle évolution législative, mais toujours est-il qu’un projet de loi sera présenté en conseil des ministres avant le 21 septembre prochain par Agnès Firmin-Le Bodo. Tout ce que l’on sait, c’est que – chose rare depuis quelques années – le gouvernement n’engagera pas la procédure accélérée.
La situation de la fin de vie en France « n’exige pas de nouvelle loi »
L’Assemblée nationale et le Sénat auront donc deux lectures pour arrêter leur position entre un renforcement des soins palliatifs et l’application de la loi Claeys-Leonetti de 2016, ou une évolution législative, soit vers le suicide assisté, soit vers l’euthanasie, pratiquée par le personnel médical, point qui fait débat au sein des professions médicales. Le rapport commis ce mercredi affine ainsi la position inchangée de la majorité sénatoriale sur le sujet : se concentrer sur l’application de la loi de 2016, largement ineffective de l’avis général, notamment à cause d’un défaut d’accès aux soins palliatifs. Sur ce point, le consensus est assez large, tant au sein du spectre politique que des associations professionnelles médicales. C’est une éventuelle évolution législative qui fait débat, et qui a été mis sur la table, tant par un avis du CCNE que par les conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie. Le débat portant ensuite sur le rôle des professionnels de santé dans le processus, entre suicide assisté ou euthanasie administrée par un médecin.
En tout état de cause, la majorité sénatoriale de la droite et du centre conteste jusqu’au cadrage du débat par l’exécutif depuis l’automne dernier, qui a nui à la « clarté du débat » en multipliant les « lieux de réflexion » entre le Parlement, la Convention citoyenne et le Cese, et les annonces contradictoires. Le rapport de Christine Bonfanti-Dossat et Corinne Imbert conteste la « demande sociale » sur une évolution législative, en arguant d’une tendance « équivoque » dans l’opinion. Faire évoluer la législation sur cette base est une « gageure », d’après les sénatrices LR, puisque sur le fond, la situation de la fin de vie en France « n’exige pas » de nouvelle loi. Non pas que la situation soit parfaite, explique les sénatrices, mais que « les soins palliatifs seraient en capacité de répondre aux souffrances de patients et à la prise en charge nécessaire en fin de vie », à condition d’être mieux connue, à la fois de la population mais aussi des professionnels de santé, et mieux appliquée.
Aide active à mourir : une ouverture « périlleuse à de nombreux égards »
Sur les « directives anticipées », notamment, un sondage BVA d’octobre 2022 montre que seuls 24% des personnes interrogées savent effectivement de quoi il en retourne et la ministre Agnès Firmin-Le Bodo a admis devant la commission des Affaires sociales qu’elle n’avait « aucun moyen de savoir combien de sédations profondes et continues ont été pratiquées. » La loi de 2016 prévoit en effet que les citoyens désignent des personnes de confiance et rédigent des « directives anticipées » sur sa fin de vie devenant contraignantes pour l’équipe médicale, qui peuvent donner lieu à une sédation profonde et continue en cas de souffrance insupportable et de pronostic vital engagé à court terme, au titre du « refus de l’obstination déraisonnable. »
Aller vers une ouverture de l’aide active à mourir serait « périlleuse à de nombreux égards », estiment les sénatrices LR. Les rapporteures mettent en avant à la fois la difficulté de définition des critères qui encadrent la procédure aux problématiques liées à la fois au suicide assisté – et notamment la capacité de s’administrer soi-même la substance létale dans certains cas – et à l’euthanasie, qui pose la question de l’intervention des soignants dans le processus.
Christine Bonfanti-Dossat et Corinne Imbert citent des exemples d’expérimentations dans d’autres pays qui se sont révélées « extrêmement difficiles », d’après elles. La Suisse, notamment, a fait le choix d’un contrôle administratif du suicide assisté, qui doit suivre les directives d’instances indépendantes. « L’acte lui-même est accompli avec l’assistance d’acteurs privés et le contrôle des actes pratiqués par les associations semble minimal », explique ainsi le rapport, qui met aussi en cause le « modèle belge », pourtant qualifié « d’hyper cadré » par Olivier Véran. Une Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie (CFCEE) examine a posteriori les dossiers de médecins ayant pratiqué l’euthanasie, au sein de laquelle le rapport identifie un « défaut d’équilibre » qui aboutit à « garnir la commission de membres connus pour leur engagement militant en faveur de l’euthanasie. »
Aide active à mourir : « L’offre créée sa propre demande »
D’après les rapporteures, l’augmentation progressive sur les quinze dernières années, du recours au suicide assisté en Suisse et à l’euthanasie en Belgique, est le signe que, « l’offre créée sa propre. » En passant de 2,5% à 5% des décès totaux en 10 ans aux Pays-Bas, ou bien en doublant entre 2007 et 2010, puis en doublant à nouveau entre 2010 et 2015, la pratique de l’euthanasie s’est en effet progressivement diffusée dans les pays où elle a été légalisée. Christine Bonfanti-Dossat et Corinne Imbert y voient une « banalisation de nature à brouiller quelques repères sociaux fondamentaux » et appellent à « privilégier la sollicitude au nihilisme » dans le « modèle français de fin de vie », rejoignant ainsi la position du ministre des Solidarités, Jean-Christophe Combe.