Le 6 juin dernier, Agnès Firmin-Le Bodo s’engageait à « coconstruire » le projet de loi sur la fin de vie avec les parlementaires et les soignants. Trois semaines plus tard, la promesse a du plomb dans l’aile. Alors que la Convention citoyenne sur la fin de vie s’est prononcée pour une aide active à mourir, sous conditions, c’est maintenant la phase législative qui s’ouvre, avec toute la question du curseur à mettre entre l’euthanasie et le suicide assisté, ainsi que des garde-fous et de l’encadrement juridique. Sur le fond, Emmanuel Macron a évoqué l’élaboration d’un « modèle français de la fin de vie », sans trancher clairement, laissant ainsi à la « co-construction » de la loi la charge de faire émerger un consensus.
Les socialistes redéposeront une proposition de loi au Sénat
Pourtant, dès le départ, la méthode proposée n’a pas vraiment convaincu les parlementaires. Au Sénat, la gauche s’est dite prête, sur le fond, « à y travailler », mais la « co-construction » prônée par l’exécutif a été très loin de faire des émules. « Nous participerons au débat en tant que parlementaires, comme d’habitude, mais la co-construction, non. Nous avons déjà mis un texte sur la table en 2021 », explique Michelle Meunier, sénatrice socialiste qui rendra la semaine prochaine un rapport sur la question. Le groupe socialiste du Sénat a d’ailleurs décliné cette proposition de participer à la construction de la loi en amont, et devrait redéposer une version « améliorée » de la proposition de loi de Marie-Pierre de la Gontrie à la rentrée parlementaire. « On va redéposer une proposition de loi dans les jours qui viennent », confirme la sénatrice socialiste, auteure du texte de 2021, en rappelant que sur l’article 1er instaurant une aide active à mourir, qui avait été supprimé à l’époque, le vote avait été plus serré que prévu.
« C’était une bonne surprise, compte tenu des équilibres politiques au Sénat, et l’article 1er de la proposition de loi Falorni a été adopté à l’Assemblée [sans que l’examen du texte puisse aller jusqu’au bout à cause de l’obstruction de la droite] », détaille Marie-Pierre de la Gontrie. « Au fond, les positions sont connues dans les deux Assemblées, je ne sais pas s’il y a d’autres sujets sur lesquels les positions des groupes sont aussi identifiées », lâche la sénatrice socialiste. Le député du Parti Radical de gauche s’est d’ailleurs prononcé sur notre antenne en faveur d’une solution plus proche de l’euthanasie que du suicide assisté, c’est-à-dire un acte administré par les médecins. « C’est extrêmement important, car si l’on allait vers le suicide assisté seul, on créerait une inégalité cruelle en mettant de côté les malades répondant à tous les critères d’éligibilité de ce droit, mais qui ne sont plus aptes physiquement à faire le geste », a-t-il expliqué.
« Quand on voit ça, on se demande s’ils sont sûrs d’arriver à faire cette loi »
Le dialogue avec la droite, plus divisée à propos des évolutions législatives à apporter à la loi Claeys-Leonetti de 2016, a d’ailleurs été encore plus complexe pour le gouvernement. « La co-construction, le président Gérard Larcher n’aime pas trop ça. Je pense que le mieux, c’est que le gouvernement prenne ses responsabilités et présente son propre projet de loi. Ensuite, nous verrons », confiait Catherine Deroche à Public Sénat en avril dernier. « Madame Firmin-Le Bodo a monté une sorte de commission où les LR ne sont pas intégrés. Ça ressemble à une commission mixte paritaire avant même que la loi ne soit présentée, et nous, nous n’y sommes pas, c’est un peu curieux », explique Christine Bonfanti-Dossat, sénatrice LR, elle aussi auteure du rapport sur la fin de vie de la semaine prochaine.
Globalement, l’initiative de la ministre n’a pas rencontré un franc succès auprès des parlementaires, même chez ceux a priori favorables à une évolution législative vers l’aide active à mourir. La faute, peut-être à un exécutif qui a du mal à arrêter une position claire sur le sujet. « Mme Firmi Le Bodo semble davantage pour le suicide assisté, le ministre de la Santé ne semble pas emballé. Ils devraient tenir un langage plus cohérent. Quand on voit ça, on se demande s’ils sont sûrs d’arriver à faire cette loi. Le Président de la République a dit à Line Renaud qu’il ferait cette grande loi et quelques mois mois après il va voir le pape en disant qu’il n’ira pas jusque-là », fustige Christine Bonfanti-Dossat.
« Agnès Firmin-Le Bodo a un peu l’air de faire cavalier seule », la rejoint Michelle Meunier, qui voit, elle aussi, la ministre un peu esseulée. « Je la sens avec moins de soutiens aujourd’hui. J’ai même l’impression que cette initiative aboutira moins loin que ce qui avait pu être annoncé au départ, notamment par Agnès Firmin-Le Bodo dans le JDD », estime-t-elle. « Je pense qu’au fond, Emmanuel Macron n’en veut pas, donc il faut des conventions citoyennes et de la co-construction pour enjamber le Parlement. C’est comme sur la constitutionnalisation de l’IVG, on dit qu’on va faire, puis il ne se passe rien », analyse Marie-Pierre de la Gontrie.
« La ministre est cernée entre une opinion favorable et un corps médical campé sur ses positions »
Un autre facteur pourrait cependant expliquer ces atermoiements : la réticence du corps médical. Selon les informations du Figaro, 15 organisations représentant les professionnels de santé auraient envoyé une lettre de protestation à la ministre, en fustigeant une concertation aux finalités purement techniques, et le manque d’écoute du gouvernement. « Le corps médical en général est assez réticent vis-à-vis de l’aide active à mourir. Mais sur la manière dont le gouvernement conçoit la concertation… Je comprends leur réaction, quand on leur met seulement sur la table des détails techniques », estime Michelle Meunier. « Ça doit être difficile pour la ministre qui est cernée, entre une opinion favorable à une évolution législative, et un corps médical campé sur des positions, je ne veux pas dire idéologique, mais pas loin. Ça explique peut-être les difficultés du gouvernement. »
Christine Bonfanti-Dossat confirme elle aussi les réticences du monde médical face à une évolution législative, position partagée par la majorité sénatoriale qui souhaite surtout se concentrer sur l’application de la loi Claeys-Leonetti de 2016, encore mal connue et peu appliquée aujourd’hui. « Les professionnels de santé nous disent qu’ils ne sont pas là pour ça. […] L’ordre des médecins vous dit que cette loi n’est pas vraiment connue par les médecins, c’est fort comme parole. Les exemples des pays autour de nous doivent nous inciter à la prudence. »
Bernard Jomier, sénateur socialiste, qui n’avait pas voté la proposition de loi de Marie-Pierre de la Gontrie en 2021, et médecin, estime qu’il n’y a pas de « blocage » du corps médical. D’après lui, il existe un chemin pour trouver un consensus autour du suicide assisté, qui ne confère pas au médecin la responsabilité d’administrer la mort. « Les médecins disent simplement que ce n’est pas leur rôle, il y a une éthique médicale qui nous est imposé par la société, et le fait de donner la mort est une ligne rouge. Si on la franchit, là, oui, ça ne se passera pas bien. Mais un consensus sur l’ouverture des nouveaux droits peut se dégager autour du suicide assisté », développe Bernard Jomier.
Si les négociations sont au point mort, Agnès Firmin-Le Bodo entend apparemment toujours présenter un projet de loi en Conseil des ministres « à l’été. » En rappelant à qui veut bien l’entendre que l’été va jusqu’au 21 septembre.