C’est un exercice qu’elle apprécie tout particulièrement auquel s’est prêtée Roselyne Bachelot ce mercredi 2 mai au Palais du Luxembourg : l’audition devant une commission d’enquête parlementaire. Si d’anciens responsables gouvernementaux peuvent redouter d’avoir à passer sur le gril des sénateurs, l’ex-ministre de la Santé n’a pas oublié qu’en 2020 la commission d’enquête du Sénat sur la pandémie de covid-19 a permis de jeter une lumière nouvelle sur son propre bilan avenue de Ségur, et le procès pour excès de zèle dont elle a pu faire l’objet face à sa gestion de l’épidémie de grippe H1N1. « Dans le domaine de la santé, les principes de prévention et de précaution doivent l’emporter sur toute autre considération économique […] Je pensais qu’on me rendrait justice après ma mort, j’ai la satisfaction de voir que cela l’a été avant », a-t-elle encore salué ce mercredi, devant les sénateurs.
Pourtant, c’est sur un tout autre sujet qu’était entendue Roselyne Bachelot dans la matinée, toujours en sa qualité d’ancienne ministre de la Santé, de mai 2007 à novembre 2010 : les pénuries de médicaments. Depuis fin janvier, le Sénat a mis en place une commission d’enquête sur ce « problème chronique, exponentiel et même systémique », selon le mot de la sénatrice centriste Sonia de la Provôté, qui est également la présidente de cette commission. « À l’été 2018, nous avions entre 600 et 700 médicaments en pénurie, actuellement la pénurie est estimée à environ 2 500 produits, voire 3 000. » Un problème que Roselyne Bachelot n’a pas eu à gérer directement, puisque le décrochage en la matière se situe plutôt au début des années 2010, néanmoins la loi « Hôpital, patients, santé et territoire » qu’elle a portée a profondément réformé la coordination des différents acteurs de santé sur le territoire, notamment en créant les Agences régionales de Santé (ARS).
Un renforcement progressif de la législation qui n’a pas porté ses fruits
« À l’époque, la question du risque de pénurie de médicaments ne nous est pas apparue comme anecdotique », assure Roselyne Bachelot, rappelant que lorsqu’elle était aux manettes, « la Chine concentrait déjà à elle seule 40 à 50 % de la production des principes actifs génériques du marché européen. » La législation s’est donc attaquée à ce risque. « Dans le contexte du scandale du Mediator auquel la loi sur le médicament (portée par son successeur, Xavier Bertrand, ndlr) voulait répondre, on a surtout retenu les éléments qui concernaient le Mediator, c’est-à-dire la prévention des conflits d’intérêts, le renforcement de la pharmacovigilance et la création d’une nouvelle agence du médicament, mais cette loi, on l’a un peu oublié, a surtout contribué à renforcer le dispositif français de prévention et de gestion des ruptures de médicaments en transcrivant dans la loi un certain nombre de principes communautaires ». Ces dispositifs ont encore été renforcés quelques années plus tard par la loi Touraine.
« Ce travail législatif a été commencé alors qu’il n’y avait pas à proprement parler d’alerte, mais l’environnement industriel, la mondialisation étaient là, et cela ne nous avait pas échappé », souligne Roselyne Bachelot. Pour autant, les précautions prises par le législateur n’ont pas permis d’éviter les ruptures de stocks, un problème devenu particulièrement prégnant pendant la crise sanitaire du covid-19.
« C’est une chose bien française : au motif de simplifier, on rajoute un formulaire et un organisme ! »
Soucieux d’apporter « des solutions pérennes à un problème pérenne », les sénateurs s’interrogent désormais sur la mise en place d’un organisme de surveillance dédié, qui permettrait de mieux anticiper ce type de problèmes. « On nous a alertés lors de plusieurs auditions sur le chevauchement des différentes agences, qui sont en France multiples. Est-ce que vous pensez que toutes ces agences sont un gage de transparence et de bonne diffusion des informations aux patients et aux professionnels de santé ? Est-ce que vous pensez qu’un comité de pilotage ad hoc, chargé de la stratégie de lutte et de prévention contre les pénuries de médicaments est une bonne solution ? », interroge la rapporteure Laurence Cohen (PCF).
Roselyne Bachelot reconnaît « l’embrouillamini des institutions qui s’activent dans le domaine de la santé et du médicament ». « Insern, CNRS, CEA, l’INRAE, l’Institut Pasteur, l’IRD, la conférence des présidents d’université, la conférence des directeurs généraux de CHU… Ils ont, ma foi, chacun leur utilité, l’essentiel étant qu’ils travaillent ensemble », énumère-t-elle. « Mais rajouter un comité supplémentaire, ça, c’est une chose bien française. Au motif de simplifier, on rajoute un formulaire et un organisme ! », relève l’ancienne ministre. Et de tacler : « On n’y dérogera pas. Je prédis que vos travaux aboutiront à cela, un peu plus de complexité et un organisme supplémentaire. Evidemment, tous ces gens ayant une utilité majeure, on ne les supprimera pas et le gouvernement qui se risquera à supprimer l’un de ces acteurs sera accusé des pires crimes. »
Roselyne Bachelot tient plutôt à défendre le rôle des Agences régionales de santé, dont la création a permis de fusionner sept organismes différents. « Je pense que les ARS sont un outil extraordinaire de santé publique, elles ont été sottement critiquées au moment de la crise du covid-19, alors qu’elles ont rendu des services éminents, qu’il y a dans agents qui se sont défoncé la paillasse jour et nuit pour gréer cette crise. Certaines critiques m’ont mise en rage », raconte-t-elle « Que ces ARS ont servi de variable d’ajustement aux réductions d’agents, tout le monde le sait, alors que les fonctions qu’on leur demande sont de plus en plus exigeantes. Le scandale d’Orpea est venu le rappeler. On peut y rajouter ce que l’on vient d’entendre sur les crèches. »
Nationaliser l’industrie du médicament, une solution utopiste
Également interrogée sur la mise en place d’une industrie pharmaceutique étatisée, qui permettrait un contrôle complet des prix et de l’offre, Roselyne Bachelot ne cache pas son scepticisme, expliquant se méfier « des solutions simplistes ». « Pourquoi pas ? Je dois dire que je n’ai pas une très grande confiance en l’État pour mener ce genre d’opération mais pourquoi pas à condition de reformer profondément un certain nombre de législations », pointe-t-elle. « Il faudra revenir en particulier sur les questions de marché et d’appels d’offres. » Mais à ses yeux, « la sécurité de l’approvisionnement est plutôt liée à l’arsenal législatif et à des structures de veille des marchés financiers. »
Après avoir entendu différents responsables institutionnels, des représentants des laboratoires et de l’industrie pharmaceutiques, mais aussi du monde médical, les membres de la commission d’enquête entament un nouveau cycle d’auditions autour des anciens ministres de la Santé. Roselyne Bachelot a ouvert le bal. Olivier Véran sera également auditionné ce mercredi, en fin de journée. Marisol Touraine et Xavier Bertrand seront entendus le 16 mai, puis Agnès Buzyn le 17.