« Je compte sur vous pour que je reste suffisamment longtemps, pour en parler à ceux qui peuvent appuyer sur le bouton. » Le ministre des Solidarités, de l’Autonomie et de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Paul Christophe, était parfois d’humeur facétieuse durant son audition au Sénat ce 23 octobre, alors que l’incertitude monte sur la façon dont va se jouer la partie budgétaire à l’Assemblée nationale.
Sans surprise, la problématique du grand âge a occupé une large part des débats. Le vieillissement de la population, et notamment des générations issues du baby-boom, est un défi majeur qui s’ouvre pour le pays, les plus de 85 ans vont doubler dans la prochaine décennie.
Une urgence tout d’abord : la situation financière très dégradée des maisons de retraite a été évoquée à plusieurs reprises durant l’audition. Un récent rapport transpartisan du Sénat a mis en évidence que les deux tiers des Ehpad étaient en déficit en 2023, alors qu’ils n’étaient que 27 % dans cette situation en 2020. La situation est critique dans le secteur public en particulier, avec plus de 84 % d’établissements qui enregistrent un niveau de dépenses supérieur à leur financement.
« Je cherche plutôt à réorienter des crédits »
La rapporteure Chantal Deseyne (LR) a notamment demandé si le fonds d’urgence mobilisé en 2023 et en 2024 serait reconduit l’an prochain. « J’y travaille. Je cherche plutôt à réorienter des crédits, car actuellement demander des crédits supplémentaires, vous comprendrez aisément que c’est peine perdue », a répondu le ministre.
Paul Christophe n’en a pas dit plus pour le moment. « Il se peut – je suis obligé de le dire comme ça – que vendredi j’annonce quelque chose à destination des Ehpad en difficulté », a-t-il glissé en guise de teasing. Le programme de la journée du 25 octobre dans l’agenda du ministre est pour l’heure inconnu.
L’ancien député concède toutefois que cette situation « ne peut plus durer » et que « le modèle économique doit être repensé ». « Les difficultés sont structurelles et j’ai bien l’intention d’apporter avec vous des solutions pérennes », a-t-il invité. Le ministre imagine des solutions plus souples, avec des établissements au carrefour de plusieurs politiques publiques.
Des moyens budgétaires en hausse pour des « investissements nécessaires »
Malgré le cadre budgétaire contraint, l’enveloppe consacrée aux personnes âgées dans le projet de loi de financement augmente de 6 %, un rythme supérieur à celui de l’an dernier. Paul Christophe annonce des « investissements immobiliers supplémentaires », avec « la consigne d’une consommation rapide [des crédits] en 2025 ». Les financements doivent également permettre de recruter 6 500 nouveaux postes, équivalents temps plein. « C’est un poste par Ehpad en fait », a tenu à rappeler le sénateur Daniel Chasseing (Les Indépendants).
Après 6 000 postes supplémentaires ouverts en 2024, l’objectif est d’accélérer sur l’objectif de 50 000 postes supplémentaires d’ici 2030. Rappelons qu’en 2022, la réalisation de cette promesse d’Emmanuel Macron était prévue dès l’horizon 2027. « Il faut qu’on essaye de monter en puissance, mais ce n’est pas parce que j’inscris les crédits que j’ai forcément les candidats », a toutefois tempéré le ministre. Il a promis une campagne de communication pour la fin de l’année pour faire connaître ces métiers.
Le projet de loi prévoit également des moyens pour lancer l’expérimentation de la réforme du financement des Ehpad dans 23 départements, afin de redonner des marges de manœuvre à ces derniers. Les conseils départementaux vont également bénéficier d’une aide de 100 millions d’euros de l’État pour financer une partie des déplacements professionnels des aides à domicile.
« Il n’y a pas de tabou préalable du gouvernement d’une hausse de recettes »
« En raison des différents ajouts à la trajectoire initiale de la branche autonomie prévue en loi de financement pour 2024, aboutissant à une hausse de dépenses de l’ordre de 2,4 milliards d’euros en 2025, la branche passera en déficit dès l’année prochaine et pour les suivantes », a-t-il détaillé. Un chiffre témoigne de l’accélération des dépenses : lorsque cette cinquième branche de la Sécurité dédiée à l’autonomie est née en 2020, un budget de 40 milliards d’euros était prévu pour 2027. Pour 2025, « on est déjà à 42,4 milliards », a souligné le ministre, qui a refusé le qualificatif de « coquille vide » sur la branche.
Le financement est donc à revoir. La modeste fraction de CSG (0,15 point) affectée ne suffira à garantir les besoins sur le long terme. « Il n’y a pas de tabou préalable du gouvernement d’une hausse de recettes permettant de poursuivre l’adaptation de notre société au grand âge », a fait savoir l’ancien député.
Une conférence nationale « le plus vite possible » sur le grand âge
Au sein de la commission des affaires sociales du Sénat, le sujet revient à chaque nouveau budget. « Il y a urgence pour la loi grand âge et autonomie que nous attendons tous », a rappelé Chantal Deseyne. « Ce que nous constatons depuis un petit moment, c’est que l’État procrastine sur les mesures à engager », s’est exclamée la sénatrice PS Monique Lubin. Sa collègue Corinne Féret a rappelé qu’Élisabeth Borne s’était engagée en 2023 sur une loi de programmation. « Évidemment, plus personne n’y croit maintenant. »
« La loi grand âge c’est aussi une question de financement, on ne va pas se mentir », a concédé le ministre sous les murmures de la salle d’audition. Mais Paul Christophe n’a pas voulu réduire l’enjeu aux moyens. « C’est aussi une question de gouvernance et d’organisation. » Il a annoncé le lancement d’une conférence nationale sur le sujet « le plus vite possible ».
Le secteur médico-social « relativement épargné » par la hausse du coût du travail, selon le ministre
Si la rapporteure générale Élisabeth Doineau a qualifié le budget dédié à l’autonomie de « prometteur », la sénatrice de la Mayenne a cependant estimé que d’autres mesures risquaient de porter un coup aux établissements du secteur médico-social, comme la réduction des allègements généraux de cotisations patronales sur les salaires proches du Smic. « Cela fait presque une opposition alors que ces services sont en grande difficulté », a-t-elle pointé. Le ministre a assuré que le secteur devrait être « relativement épargné » par les effets du rehaussement des cotisations employeurs sur les salaires situés entre 1 et 1,3 Smic, puisque l’essentiel des rémunérations sont situées selon lui entre « 1,2 et 1,9 Smic ». Paul Christophe s’est en tout cas engagé à être « attentif » sur ce dossier. « Je ne peux pas encourager d’un côté, et pénaliser de l’autre », a-t-il résumé.
La commission a également relayé ses inquiétudes face à la hausse de quatre points du taux de cotisation des employeurs publics à la CNRACL, la Caisse nationale de retraite des fonctionnaires territoriaux ou hospitaliers. « On va compenser intégralement la section soin », a répondu le ministre. Cette section couvre la rémunération du personnel soignant dans les Ehpad. La section des dépenses relative à la dépendance est à la charge des départements.
Comme nombre de ses collègues, le ministre a rappelé que compte tenu du délai très court de préparation, ce projet de loi était « perfectible ». Toujours sous la même condition : « Dans la limite de ce que la situation actuelle de nos finances publiques exige. »