Selon une enquête du Conseil économique, social et environnemental (CESE), publié en octobre 2023, 80% des Français se disent « inquiets des conséquences du dérèglement climatique sur le monde ». À l’aune de ce constat, la Commission des Affaires sociales et celle de l’Aménagement du territoire et du développement durable, se sont saisies du sujet ce mercredi. Les sénateurs ont écouté avec attention les recommandations de quatre psychologues et psychiatres français. Face au problème, les praticiens ont notamment demandé des politiques publiques plus ambitieuses, sur le plan environnemental, mais aussi en matière de santé publique.
Un phénomène qui touche principalement les jeunes
Pour mieux cerner la souffrance des éco-anxieux, le psychiatre Antoine Pelissolo a tenu à dresser un panel de symptômes lors de la table-ronde. Il évoque un « mélange d’émotions », telles que la peur, la frustration, ou encore la colère face aux climato-sceptiques. Le médecin note également la prégnance d’une « hyper-responsabilité » chez ces patients, qui ont le sentiment de « devoir porter le poids des catastrophes à venir sur [leurs] épaules ».
Autour de la table, tout le monde s’accorde à dire que cette lecture pessimiste du monde a un impact socio-économique réel en France. Elle peut notamment mener à la décision de ne pas avoir d’enfant, mais aussi de changer de lieu de vie ou de travail. Pierre-Éric Sutter, psychologue et président de la Maison des éco-anxieux, insiste sur le fait que les engagements environnementaux des entreprises pèsent dans le bien-être des salariés. Il cite notamment la culpabilité qui rongeait l’une de ses patientes : obligée d’effectuer de nombreux trajets en avion dans le cadre de ses missions, elle se sentait « complice d’un système […] menaçant pour l’environnement ».
Fort de ce constat, et à la suite de la contestation des étudiants de Polytechnique en 2022, le psychologue met en garde les entreprises. En ignorant les messages envoyés par les jeunes qui entrent sur le marché du travail, elles auraient beaucoup à perdre. Comme l’a rappelé Didier Mandelli, vice-président de la commission du développement durable en début de session, les jeunes sont les plus touchés par ce phénomène. Selon une étude parue dans la revue britannique The Lancet, 74% des Français de 16 à 25 ans déclarent être effrayés par l’avenir.
L’importance de l’action collective
La psychologue clinicienne Manuela Santa Marina, elle, met en avant la corrélation « très forte » entre l’éco-anxiété et la perception qu’ont les jeunes des actions politiques. Selon elle, les jeunes « ne se sentent pas entendus ». Au-delà d’une simple souffrance individuelle, la psychologue explique que l’on assiste à « l’expression d’un sentiment d’abandon d’une génération par rapport à une autre […], alors qu’il y aurait des actions majeures à entreprendre ».
La thérapie par l’action fait partie des solutions préconisées par les intervenants de la table-ronde. Manuela Santa Marina vante, elle, les bienfaits de l’action collective pour apaiser les patients. Antoine Pelissolo précise tout de même que dans certains cas, l’éco-anxiété provoque un « effet de sidération » tel, qu’il empêche la personne d’agir.
« Voir une inaction globale, ça renforce le sentiment d’impuissance […] face à des enjeux immenses », décrypte Célie Massini. L’engagement conjoint des entreprises et de l’État apparaît alors essentiel pour lutter contre cette souffrance. Ce constat rejoint les conclusions de l’enquête du CESE selon laquelle 33% des Français pensent que tout le monde doit agir pour l’environnement. 28%, eux, pensent que c’est à l’État de faire des efforts.
La sénatrice socialiste Laurence Rossignol prend acte de ces recommandations, en affirmant que les pouvoirs publics avaient une « responsabilité dans la prévention de l’éco anxiété ». Et d’ajouter : « Quand on annonce la pause dans la réduction des pesticides, je prends le pari qu’à cet instant-là, on accroit l’éco-anxiété des gens qui sont affectés ».
Donner des moyens aux thérapeutes
Outre une réponse concrète de l’État pour lutter contre le dérèglement climatique, les intervenants ont réclamé plus d’investissements publics dans le secteur de la santé mentale en France. D’après eux, le bilan est accablant. Célie Massini regrette que « la psychiatrie publique ne soit pas en mesure de répondre aux besoins existants de la population ». Manuela Santa Marina dénonce, elle, un « abandon de la santé mentale » en France.
Aujourd’hui, malgré plusieurs études scientifiques menées à l’étranger, la France ne semble pas avoir mesuré l’ampleur du problème. Pourtant, Pierre-Eric Sutter, psychologue du travail, affirme « être assailli » par des patients souffrant d’éco-anxiété dans son cabinet. Il regrette toutefois que la moitié de ses patients se sentent « incompris par les autres psychologues », qui ne sont pas formés à cette question.
Les professionnels de la santé mentale ont donc soumis plusieurs propositions aux sénateurs. Tout d’abord, la création d’un outil d’étalonnage qui permettrait de classifier les différents degrés d’éco-anxiété. Antoine Pelissolo, lui, préconise la création de centres de ressources à disposition des chercheurs sur le sujet. À l’heure actuelle, aucune étude scientifique rédigée en français n’existe sur le sujet. Enfin, pour apaiser le mal-être des éco-anxieux, Pierre-Eric Sutter invite les sénateurs à se pencher sur une « régulation cognitive » des médias. Selon lui, l’information en continue crée une vague de sollicitations négatives sur le cerveau. Celles-ci pourraient alors être régulées, grâce à la diffusion d’un plus grand nombre de « bonnes nouvelles ».
Myriam Roques-Massarin