Dette de la Sécurité sociale : la Cour des comptes alerte sur un risque de crise de liquidité dès 2027
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Dette de la Sécurité sociale : la Cour des comptes alerte sur un risque de « crise de liquidité » dès 2027

Le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, tire la sonnette d’alarme sur l’accumulation de la dette sociale. Celle-ci pourrait ne plus pouvoir être absorbée par les organismes en charge de sa gestion d’ici deux ans. Le risque est jugé « de plus en plus sérieux » par les magistrats financiers.
Guillaume Jacquot

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« Ceux qui pensent que les problèmes de liquidité, de solvabilité ou de crédibilité sont des problèmes théoriques, se trompent. » Le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, a encore une fois exprimé ses craintes sur la trajectoire des finances publiques ce 26 mai, en particulier sur les dépenses sociales. À l’occasion de la présentation du rapport annuel sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale (Ralfss), l’ancien ministre de l’Économie a mis sur le doigt sur l’accumulation de la dette sociale dans les prochaines années et sur le « risque croissant de crise de liquidité » à moyen terme pour la Sécurité sociale.

Selon la dernière loi de financement adoptée dans des conditions inédites en février, aucune amélioration de la trajectoire financière de la Sécurité sociale n’est prévue pour les prochaines années. Les perspectives se sont d’ailleurs assombries cette année, avec un déficit qui pourrait atteindre 24,1 milliards d’euros en 2028.

Un « point de bascule » atteint dès 2025

L’an dernier, la Cour des comptes anticipait un « point de bascule » en 2027, l’année où le déficit de la Sécu était censé devenir supérieur à la capacité de prise en charge par la Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale (Cades). Le point de bascule serait en réalité atteint dès cette année, « avec une prévision de déficit pour 2027 supérieure d’un tiers à ce qu’elle était en 2024 », a souligné Pierre Moscovici.

Or l’accumulation chaque année de déficits majeurs accélère la croissance de l’endettement issu de la Sécurité sociale. En 2028, la dette sociale devrait avoisiner les 175 milliards d’euros, et une majorité de cette somme ne reposera non plus sur la Cades, mais sur l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS). Et cette dernière n’a pas pour mission de gérer la dette à moyen terme, elle gère la trésorerie à très court terme des caisses de Sécurité sociale.

D’où un risque de plus en plus important d’une crise de liquidité. « La taille du marché sur lequel l’Acoss se finance pourrait ne pas être suffisante pour absorber un volume d’emprunt aussi important. Et ce risque pourrait se matérialiser dès 2027 », a averti Pierre Moscovici.

« Nous avons atteint une cote d’alerte, notre dette sociale est maintenant excessive »

Le premier président de la Cour des comptes a par ailleurs rappelé que la Cades devait s’éteindre en 2033. Toute prolongation de sa mission nécessiterait l’adoption d’une loi, ce qui est loin d’être garanti avec la composition actuelle du Parlement.

La Cour des comptes appelle dans ce contexte à une « maîtrise des dépenses d’Assurance maladie », cette branche représentant désormais 90 % du déficit total de la Sécurité sociale. L’institution de la rue Cambon a proposé une série de réformes permettant d’économiser 20 milliards d’euros par an. « J’appelle les pouvoirs publics à réfléchir. Nous avons perdu le contrôle de nos finances publiques en 2023-2024. Nous avons atteint une cote d’alerte, notre dette sociale est maintenant excessive. Nous commençons à aborder des problèmes de soutenabilité », a insisté Pierre Moscovici.

Cette année, le déficit de la Sécurité sociale pourrait atteindre 22 milliards, après 15,3 milliards en 2024. En l’espace de deux années, le déficit a été multiplié par deux, une situation qualifiée « d’alarmante » par la Cour. Alors que le Fonds monétaire international (FMI) a prévenu la semaine dernière que des « décisions difficiles » seraient nécessaires en matière budgétaire, Pierre Moscovici a appelé lui aussi à reprendre le contrôle de nos finances publiques. « Aujourd’hui, je ne vois pas la France menacée d’un problème financier, je ne vois pas le FMI à nos portes, être une nouvelle Grèce. De là à imaginer que nous pourrions nous passer d’efforts, ce serait une lourde erreur. Nous ne sommes pas l’abri, nous ne pouvons pas continuer à jouer avec notre déficit et notre dette », a appelé l’ancien commissaire européen.

« Plusieurs milliards d’euros d’économies » en revenant sur les allègements de cotisations

Parmi les leviers d’économies actionnables, la Cour des comptes a évoqué celui des allègements généraux de cotisations sociales, qui ont atteint plus de 77 milliards d’euros 2023. Ces trois dernières années, leur montant a bondi de 18 milliards d’euros, sous l’effet de l’inflation. « Il est indispensable de mieux calibrer le plafond d’éligibilité, l’assiette de calcul et la dégressivité de ces allègements généraux », a plaidé Pierre Moscovici. Le premier président de la Cour des comptes a également ciblé les exonérations de cotisations familles sur les salaires élevés. « Plusieurs milliards d’euros d’économies pourraient donc être obtenus en réduisant le plafond d’exonérations de ces allègements famille de 3,3 SMIC à 2,5 SMIC », a-t-il suggéré.

La Cour a également fait mention de l’enjeu des indus de paiement, les sommes versées à tort par les caisses de Sécurité sociale aux assurés, qu’il s’agisse d’erreurs, d’omissions, mais aussi de fraudes volontaires. En 2023, leur montant a atteint près de 19 milliards d’euros pour les quatre principales branches du régime général, soit près de 5 % des prestations versées. 10 milliards sont détectés grâce aux contrôles, le reste n’est qu’estimé. « Les indus détectés sont plutôt bien récupérés », se satisfait la Cour, mais elle appelle à progresser dans la détection, citant par exemple le recours à l’intelligence artificielle « pourrait aider à exploiter les nombreux dossiers concernés ».

Un autre point d’attention s’est fait sur le développement de l’intérim paramédical (infirmiers, aides-soignants, kinés). « La maîtrise est indispensable », a appelé Pierre Moscovici, alors que les dépenses en la matière ont été multipliées par trois depuis 2019, pour atteindre 500 millions d’euros en 2023.

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