«C’était un discours pour pas grand-chose », juge le sénateur Bernard Jomier (apparenté socialiste) après l’allocution du président de la République qui s’est donné « cent jours » pour sortir de la crise politique et sociale ouverte par la réforme des retraites. Parmi les sujets balayés par Emmanuel Macron : la santé. « Notre système de santé sera entièrement rebâti », promet le chef de l’Etat avant de s’engager sur un « désengorgement » des urgences « d’ici la fin de l’année prochaine ». « Et pourquoi pas janvier 2025 ou août 2023 ? », raille Bernard Jomier qui a présidé la commission d’enquête sénatoriale sur la situation de l’hôpital et du système de santé.
Pour le sénateur de Paris, cette promesse, bien que souhaitable, n’est pas sérieuse : « Il répète toujours les mêmes mots. Ça a commencé en 2018 avec la stratégie ‘Ma santé 2022’. Ses propos étaient justes, mais depuis il ne cesse de décliner des concepts flous qui sont déconnectés de la réalité pendant que la situation se détériore », se désole-t-il.
Lors de son discours, Emmanuel Macron s’est aussi engagé à ce que « d’ici la fin de cette année, 600 000 patients atteints de maladies chroniques en disposeront. » « Je ne vois pas trop comment sachant que l’on a des difficultés à trouver des médecins au niveau rural », répond dubitatif le sénateur de Corrèze Daniel Chasseing qui, à 77 ans, a dû reprendre son activité de médecin faute de docteur dans la commune corrézienne de Chamberet.
Nos propositions n’ont pas été retenues. J’ai souvent l’impression que le Sénat parle dans le vide
Des paroles aux actes ?
Les sénateurs interrogés se posent tous la même question : « Comment » désengorger les services d’urgences alors que plusieurs hôpitaux annoncent fermer partiellement les leurs. « Dans mon département, les urgences ont fermé la nuit 2 ou 3 jours », rapporte le sénateur Les Indépendants Daniel Chasseing. Les parlementaires attendent des actes : « Les mots du chef de l’Etat sans acte concret, ça ne vaut rien », estime Bernard Jomier, lui aussi médecin, qui rappelle les propositions de la commission d’enquête sénatoriale.
« Nos propositions n’ont pas été retenues. J’ai souvent l’impression que le Sénat parle dans le vide », regrette Alain Milon, sénateur Les Républicains (LR) et membre de la commission d’enquête. Selon lui, les propos d’Emmanuel Macron, « c’est une déclaration d’intention, dire qu’on va désengorger les urgences, c’est impossible sans revoir le système. »
Parmi les mesures prises par le gouvernement depuis le début du deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron : la mise en œuvre des 41 propositions de la mission flash confiée à François Braun lorsqu’il était président de Samu-Urgence France, juste avant sa nomination au ministère de la Santé. Plus récemment, les sénateurs et les députés se sont accordés en commission mixte paritaire pour adopter la loi dite « Rist » sur l’amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé avec l’objectif de résoudre la pénurie de médecins. Ce texte permet notamment d’élargir les compétences de certaines professions paramédicales comme les infirmiers en pratique avancée (IPA), les orthophonistes ou encore les kinés. Les IPA pourront par exemple prescrire des médicaments ou des prestations soumises à une ordonnance.
« Je me suis abstenu parce que cette loi Rist est un substitut ! Si on ne forme pas assez de médecins, ça ne sert à rien », considère Alain Milon, médecin de profession. D’après Bernard Jomier, ce texte n’est qu’une partie de la réponse à apporter pour résoudre la crise du système de santé : « Un infirmier libéral qui veut se former pour être infirmier en pratique avancée doit arrêter de travailler. S’il n’y en a que 200, c’est parce qu’on manque de moyens. Pareil pour les médecins avec la fin du numerus clausus. On va augmenter le nombre de diplômés de 13 % par an, mais c’est insuffisant car les doyens ne peuvent pas faire plus », développe-t-il. D’autant que l’on ne ressentira l’effet de la fin du numerus clausus que d’ici 2030. « Ça va dans le bon sens, mais ce ne sera pas immédiat », relève Daniel Chasseing.
Le chef de l’Etat ne s’intéresse pas aux questions de santé
« Grande loi Santé »
En attendant une loi qui modifie le financement et la gouvernance de l’hôpital public, Bernard Jomier a proposé un texte qui vise à instaurer un ratio minimum de soignants par patients dans les hôpitaux. « J’ai bon espoir qu’elle soit reprise cette année à l’Assemblée nationale, mais ça n’est pas avec des propositions de loi que l’on va résoudre la crise de la santé. On attend tous une grande loi santé avec une réponse plus globale », détaille le sénateur de Paris. Son collègue LR du Vaucluse Alain Milon préfère, lui, plusieurs textes parce que « les grandes lois santé sont toujours parasitées par des problèmes secondaires. La loi HPST et la loi Touraine, c’était la taxe sur l’alcool, la loi Buzyn par la suppression du numerus clausus », explique celui qui a été le rapporteur de ces textes.
Sur les actions à mener, Bernard Jomier résume les propositions de la commission d’enquête : « Une meilleure articulation entre la médecine de ville et l’hôpital pour éviter l’engorgement des urgences », « la réarticulation entre l’ambulatoire, l’hospitalier et le médico-social en réintroduisant par exemple des infirmières la nuit dans les EHPAD » ou encore « réintroduire les soignants dans la prise de décision ». Côté financement, le sénateur de Paris souhaite une « réduction de la tarification à l’acte, en prenant en compte les caractéristiques de population, le niveau de personnes âgées, les pathologies, le niveau social pour mieux financer les prises en charges. » Les sénateurs veulent aussi une meilleure association des collectivités territoriales pour gérer la Santé.
Quand est-ce que le gouvernement pourra faire voter au Parlement une telle loi ? Bernard Jomier ne se risque pas à un pronostic : « On parle d’un gouvernement sans majorité ! » Le sénateur apparenté socialiste regrette que malgré les discours qui attestent que le ministre de la Santé « a conscience » de la crise du système de santé, rien ne se passe. Une inaction imputée directement au chef de l’Etat qui « ne s’intéresse pas vraiment à ces questions », déplore-t-il.