Interrogé sur la lutte contre le trafic de stupéfiants, le Président de la République a annoncé dans La Provence que l’amende forfaitaire délictuelle, mise en place en 2020, pourrait désormais être payée « immédiatement », pour lutter contre le faible taux de recouvrement observé. « On a mis en place une amende forfaitaire pouvant aller jusqu’à 2 500 euros. 350 000 ont été dressées en France depuis septembre 2020, dont 29 000 à Marseille. Mais ce que nous avons constaté, c’est que comme le règlement se fait par télépaiement entre 45 jours et 60 jours, nous avons un taux de recouvrement de 35%. Et c’est en-dessous de cette moyenne à Marseille », a ainsi justifié le chef de l’Etat. 5 000 terminaux de paiement seraient ainsi déployés au sein des forces de l’ordre pour faciliter ce paiement, et il sera également possible de payer en liquide.
« Une fausse bonne idée » pour les syndicats de policiers
« Ça sent un peu le réchauffé », réagit Yann Bisiou, maître de conférences en droit privé et spécialiste du droit de la drogue. « Ce paiement immédiat est prévu dans le droit depuis 2016, même si ce n’est pas appliqué. C’est quelque chose qui est dans les cartons depuis des années, pour les délits routiers notamment, mais comme on ne savait pas faire techniquement et que les syndicats de policiers étaient contre, on n’était pas pressé de le mettre en place », poursuit-il. En effet, dès l’annonce d’Emmanuel Macron rendue publique ce matin, les réactions des syndicats des forces de l’ordre ne se sont pas fait attendre. « Une fausse bonne idée » pour l’Unité SGP Police FO, qui estime que « les policiers ont déjà bien assez de difficultés sur le terrain et de missions sans que l’on vienne leur ajouter une charge supplémentaire de cette nature. » Et le secrétaire général du syndicat, Grégory Joron, d’ajouter : « Les policiers ne sont pas des agents de recouvrement. » Du côté de l’UNSA Police, c’est le paiement en espèce qui inquiète. « Le paiement en espèce sur la voie publique reste quant à lui trop fastidieux dans sa mise en œuvre », détaille le syndicat.
« S’il y a un paiement en espèce, il faut une quittance. Le principe, c’est que ce soit envoyé par mail, mais même si c’est informatisé, à partir du moment où vous avez ce paiement immédiat, ça rallonge la procédure », explique Yann Bisiou. La faiblesse du taux de recouvrement n’étonne d’ailleurs pas le chercheur, même si ces données n’avaient jamais été publiées officiellement. « Ça fait deux ans que Gérald Darmanin communique sur l’amende forfaitaire, et en donnant systématiquement les augmentations de taux d’interpellation et en refusant de fournir une information précise sur le taux de recouvrement », précise Yann Bisiou, qui avait déposé deux recours à la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), qui ont été approuvés, mais restés sans réponse des ministères de l’Intérieur et de la Justice. « C’est un camouflet pour Gérald Darmanin que le Président de la République l’annonce lui-même dans la presse », note Yann Bisiou, mais, surtout, la mesure aura des effets assez anecdotiques d’après lui.
« Je ne suis pas sûr que ça change grand-chose »
Les amendes pour usage de stupéfiants touchent en effet, d’après les statistiques du ministère de l’Intérieur, « des hommes de 18 à 25 ans dans les banlieues », explique Yann Bisiou. Un public souvent plus éloigné des institutions. « Initialement, quand on a créé l’amende forfaitaire, il était prévu que ce soit envoyé par recommandé, 37% des courriers revenaient pour cause de fausse adresse », raconte le chercheur. À titre de comparaison, le taux de recouvrement des amendes pour délit routier atteint 70-80%. « Aucun usager n’a intérêt à accepter le paiement immédiat : c’est une reconnaissance de culpabilité, donc inscrit au casier judiciaire et vous ne pouvez plus rien contester. C’est en totale contradiction avec les recommandations faites par la Défenseure des droits, qui recommande la fin de l’amende forfaitaire délictuelle car elle prive le justiciable d’un recours effectif au juge. Depuis le début on sait que ce système ne pouvait pas marcher : l’Etat punit 1 joint sur 3 000 », analyse Yann Bisiou.
Même à droite, l’idée semble loin d’emballer Marc-Philippe Daubresse. « La majorité sénatoriale était réservée à l’idée de mettre trop d’amendes forfaitaires délictuelles. Ça pouvait sembler être une bonne idée, mais quand on regardait bien le rendement, on en avait deux sur trois, voire plus qui étaient insolvables. Aujourd’hui on nous dit qu’on peut les récolter par carte bleue ou en liquide. Je ne suis pas sûr que ça change grand-chose. Il est démontré que l’amende forfaitaire délictuelle n’est pas un gage d’efficacité », détaille le sénateur LR, spécialiste des questions de sécurité. « Comment se fait-il que vous êtes automatiquement redevable quand vous êtes au volant de votre voiture et que pour des stupéfiants, il y a beaucoup d’impayés ? » s’interroge Marc-Philippe Daubresse, qui préconise un changement dans la procédure pour « une chaîne judiciaire plus efficace » : « Il faut peut-être changer la procédure et au lieu de faire ça au pénal, la faire au civil. Pourquoi ne pas avoir quelque chose qui tombe automatiquement et qu’on puisse aller chercher sur vos biens personnels ?
Consommation des mineurs ou d’autres drogues : les « effets pervers » de l’amende forfaitaire
Du côté de la gauche sénatoriale, le sénateur socialiste Gilbert-Luc Devinaz a déposé il y a quelques semaines une proposition de loi visant à légaliser la consommation récréative du cannabis ainsi que la création d’une « Agence nationale de contrôle et de gestion du cannabis. » Après l’annonce d’Emmanuel Macron il « redoute » que l’on se dirige vers une « dépénalisation » : « Il y aura ceux qui auront les moyens de payer l’amende sans problème et ceux qui ne les auront pas. On permet aux plus riches de consommer tranquillement. » D’autant plus qu’au niveau opérationnel, « et notamment cette histoire de liquide », Gilbert-Luc Devinaz « sent mal les choses sur le terrain. » Yann Bisiou souligne quant à lui une « surenchère permanente » sur le volet répressif, qui ne « se pose pas la question de la pertinence du dispositif » : « Il y a des effets pervers de l’amende forfaitaire délictuelle. Comme les mineurs ne sont pas ciblés par l’amende, plus personne ne s’en occupe. De même, comme l’amende forfaitaire concerne à 97% le cannabis, bien plus que sa prévalence dans la population – environ 80% – d’autres drogues ne sont plus traitées. »
Ainsi Gilbert-Luc Devinaz maintient sa position, et espère que l’opinion publique se saisira de sa proposition de loi pour nourrir le débat. « Le législateur a tout intérêt à encadrer la consommation plutôt que de finir par subir le marché américain qui vendra du cannabis comme du coca-cola. C’est une drogue, et, malheureusement, des gens y ont recours. L’interdire c’est un échec, et dépénaliser ne mettra pas fin aux mafias. La légalisation permet de cocher plusieurs cases : prévention, santé publique, sécurité. Parce que ce n’est pas le consommateur qui pose problème. » Si le groupe socialiste décide d’inscrire le texte dans leur niche parlementaire à la rentrée, nul doute que les sénateurs auront le loisir d’en débattre, alors que la majorité sénatoriale s’est toujours montrée hostile à la légalisation.