Conséquence directe d’une motion de censure qui ferait tomber le gouvernement, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale est plus que jamais menacé. La rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat, Elisabeth Doineau (Union centriste), rappelle l’importante de voter une disposition permettant à la Sécu de pouvoir emprunter.
Budget de la Sécurité sociale : le gouvernement pourrait repartir du texte à l’origine de la censure
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Le gouvernement Bayrou réussira-t-il là où le gouvernement Barnier a échoué ? C’est tout l’enjeu des consultations qui se succèdent depuis lundi au ministère de l’Économie et des Finances, et depuis aujourd’hui au ministère de la Santé. Comme leurs prédécesseurs à l’automne, les nouveaux ministres se mettent à la recherche d’un terrain d’entente avec un nombre suffisants de groupes parlementaires pour faire adopter les textes budgétaires, dans un délai raisonnable. Faute de textes adoptés pour 2025, depuis le 1er janvier, la France vit au régime du budget 2024, prolongé par une loi spéciale.
« Nous ne repartons pas d’une feuille blanche », a déclaré la ministre du Budget
Si le gouvernement se montre prêt à « amender sensiblement » les textes qui étaient en discussion avant la censure, le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, il veut aussi se raccrocher à ces derniers pour gagner du temps. « Nous ne repartons pas d’une feuille blanche. Autrement, nous n’aurions pas de budget avant mai. Pour que la période d’incertitude soit la plus courte possible, nous repartirons des textes en discussion au Parlement », annonçait dès lundi la nouvelle ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, dans les colonnes du Parisien.
Pour le projet de loi de finances, la discussion devrait reprendre son cours là elle s’était arrêtée au Sénat, le 4 décembre, quand l’Assemblée nationale a censuré le gouvernement de Michel Barnier. Les sénateurs examinaient la deuxième partie, celle des dépenses.
La possibilité d’une nouvelle lecture pour le projet de loi de financement de la Sécurité sociale
Sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, les choses sont un peu différentes, car le texte est allé plus loin dans le processus législatif. Le gouvernement a, là aussi, la faculté de s’appuyer sur l’existant, à savoir le texte sorti de la commission mixte paritaire, l’accord trouvé entre sept députés et sept sénateurs. C’est sur cette version du PLFSS que Michel Barnier a engagé sa responsabilité. En votant la motion de censure, l’Assemblée nationale a non seulement fait tomber le gouvernement, mais elle a également rejeté le projet de loi. Ce qui ne veut pas dire que le processus législatif est arrivé à son terme. « Le rejet par motion de censure est un rejet à l’état de la navette où on se trouve. Si le 49.3 avait été mis en œuvre au moment de la lecture définitive, le rejet aurait été définitif », rappelle Mathieu Carpentier, professeur de droit public à l’université Toulouse Capitole.
Dès lors, le gouvernement pourrait soumettre les conclusions de la commission mixte paritaire (CMP) au vote du Sénat. Une situation un peu inhabituelle, dans laquelle les sénateurs seraient amenés à les adopter, alors qu’elles ont été rejetées à l’Assemblée nationale. Un désaccord se manifestera alors entre les deux chambres. « Le gouvernement va demander à l’Assemblée nationale de se prononcer en nouvelle lecture sur le texte », nous explique-t-on au Sénat. L’Assemblée nationale sera alors saisie du texte « adopté par le Sénat », avant la commission mixte paritaire, détaille ce conseiller au Sénat. C’est un peu comme si la CMP avait échoué.
« Il ne faut pas oublier que la CMP a été conclusive mais qu’elle a abouti à une censure. On ferait un exercice ahurissant : on serait obligé d’avoir un examen des conclusions de cette CMP, et après seulement on pourrait reprendre le texte pour une nouvelle lecture », imagine également la rapporteure générale de la commission des affaires sociales, Élisabeth Doineau (Union centriste). La sénatrice de la Mayenne estime que cette solution permettrait « d’aller plus vite », qu’une nouvelle copie blanche.
« Le gouvernement peut soit réinscrire la lecture de la CMP à l’ordre du jour du Sénat, soit passer directement par une nouvelle lecture à l’Assemblée », estime quant à lui le professeur Mathieu Carpentier.
Le constitutionnaliste Jean-Pierre Camby a une lecture différente de l’article 45 de la Constitution. « Les conclusions de la CMP ont été rejetées par l’Assemblée nationale, le Sénat peut les adopter, et à ce moment-là, on va vers un dernier mot possible à l’Assemblée nationale », explique ce professeur associé à l’Université de Versailles-Saint-Quentin.
Un cadre toutefois plus strict pour les modifications
À la différence de la première lecture – qui n’avait pas pu aller à son terme à l’Assemblée nationale – le droit d’amendement est plus contraint en nouvelle lecture. « En deuxième lecture, la seule limite, c’est qu’il faut que l’amendement ait un lien direct avec le texte en discussion. C’est un entonnoir plus restreint », souligne Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l’université Paris Nanterre. Une nouvelle lecture ne devrait donc pas empêcher de réécrire, voire de supprimer, certains articles. L’ajout de nouvelles dispositions n’est toutefois pas garanti dans l’absolu.
On se souvient, le texte initial du PLFSS comportait de nombreuses dispositions clivantes chez les parlementaires. C’est déjà par exemple le cas d’une désindexation partielle des pensions de retraite, par rapport au niveau de l’inflation. Faute de PLFSS pour 2025, c’est le droit commun qui s’est appliqué avec une revalorisation complète des pensions sur l’inflation. L’avenir des allègements généraux de cotisations patronales a également divisé les parlementaires, le camp présidentiel refusait d’alourdir le coût du travail, et la gauche estimait que la baisse des allègements de cotisations était insuffisante.
La baisse de la prise en charge du remboursement des médicaments et de consultations médicales par la Sécu avait constitué, quant à elle, un casus belli pour le Rassemblement national, même si cette proposition ne figurait pas dans le projet de loi. Cette mesure relevait du domaine réglementaire.
L’adoption d’un projet de loi de financement de Sécurité sociale est en tout cas rendue nécessaire par la situation financière. L’ancien ministre du Budget, Laurent Saint-Martin estimait en décembre que le trou de la Sécu pourrait se creuser en 2025 jusqu’à « près de 30 milliards d’euros », si aucune mesure de redressement n’était prise cette année.
Outre le fond des dispositions, le gouvernement veut également sonder les différentes forces politiques sur l’opportunité de reprendre le PLFSS là où il s’est embourbé en décembre. « Différentes options sont sur la table, cela fait aussi partie des choses discutées dans le cadre des consultations », nous indique ce mardi un conseiller gouvernemental.
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