Les sénateurs avaient l’ambition de faire vivre des « débats complets », après un examen « tronqué » à l’Assemblée nationale pour cause d’usage du 49.3. Après une semaine de discussions en séance, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023 est bien différent. Amendée sur de nombreux chapitres, la version telle qu’il en ressort comporte la marque de la majorité sénatoriale de droite et du centre.
Les grands équilibres budgétaires de ce texte budgétaire n’ont d’abord pas convaincu la Haute assemblée. Cette année encore, elle a supprimé symboliquement la trajectoire financière de la Sécurité sociale 2023-2026, « à la sincérité douteuse ». Les sénateurs ont également rejeté le niveau des dépenses de santé proposé pour 2023, à 244,1 milliards d’euros, en progression de 3,7 %. La commission des affaires sociales du Sénat a estimé que cet objectif serait « difficile à garantir au regard notamment des contraintes qui pèsent sur les établissements de santé ». Conséquences des annonces distillées par le ministre de la Santé depuis l’été en faveur de l’hôpital, 600 millions d’euros ont été ajoutés au budget 2022, à l’initiative du gouvernement.
Retraite à 64 ans, hausse de la contribution des mutuelles et geste pour les laboratoires
Des recettes nouvelles ont été intégrées au projet de loi, notamment en faveur de l’Assurance maladie et de la branche vieillesse de la Sécurité sociale. Comme chaque année, les sénateurs ont inscrit un report de l’âge légal de départ en retraite, à 64 ans, au cas où les membres d’une « convention nationale sur l’emploi des seniors et la sauvegarde du système de retraites » ne s’entendraient pas sur des remèdes. Opposé sur la méthode, le gouvernement maintient son propre calendrier, à savoir une réforme présentée en janvier 2023.
Les sénateurs ont également mis à contribution plus fortement les mutuelles, en exigeant une contribution de 300 millions d’euros l’an prochain, soit le double du montant envisagé par le gouvernement. En plein mouvement social des laboratoires d’analyse médicale, le Sénat a par ailleurs revu l’effort d’économies exigé au secteur après les revenus records liés aux tests covid-19. Le montant reste inchangé, à 250 millions d’euros, mais le texte le limite désormais la ponction à 2023.
Autrement article controversé : le transfert de l’activité de recouvrement des cotisations de retraite complémentaire des salariés du privé (Agirc-Arrco) a purement et simplement été retiré du texte, grâce à une très large coalition.
La 4e année d’internat de médecine générale, version sénatoriale, intégrée au texte
Pour répondre aux difficultés d’accès aux soins dans certains territoires et à la pénurie de médecins, les sénateurs ne se sont pas laissés tenter par des mesures coercitives comme le déconventionnement sélectif. Les débats ont cependant été tendus. L’une des principales réponses aux problèmes des déserts médicaux reste l’instauration d’une quatrième année de stage dans ces territoires pour les internes de médecine générale. Le Sénat a préféré retenir la rédaction « plus aboutie » de la proposition de loi de Bruno Retailleau, déposée plusieurs mois avant le projet du gouvernement. En réponse à la fraude des étudiants, le ministre a rappelé qu’il n’y aurait aucune obligation et qu’il s’agissait d’une « réforme pédagogique ». Dans un amendement de dernière minute, François Braun souhaitait rendre possible les stages à l’hôpital, mais la mesure n’a pas été retenue par les sénateurs.
L’exonération de cotisations retraite pour les médecins retraités qui reprendraient une activité libérale s’inscrit dans la même logique : aider à passer le creux de la démographie médicale pour les années à venir. Les sénateurs ont étendu cet avantage à l’ensemble des professionnels de santé.
Intérim médical et télémédecine : le Sénat met le holà
Des dispositions sur l’organisation des soins et la répartition des compétences des professions de santé ont par ailleurs été retoquées. C’est par exemple le cas de l’expérimentation de l’accès direct aux infirmières en pratique avancée (IPA).
En matière d’intérim médical, qui pèse fortement sur les budgets des établissements de santé, le Sénat est allé plus loin dans la limitation de ces pratiques, prévue par le projet de loi. Il a considéré que l’intérim ne pouvait pas être le seul mode d’exercice à temps plein des professionnels. Le cadre de la télémédecine, en plein essor, a lui aussi été durci en séance au Sénat. Le principe d’un feu vert des agences régionales de santé pour l’implantation cabines de téléconsultation a été adopté, l’idée étant d’éviter les cabines dans les supermarchés. Quant aux arrêts de travail, prescrits à distance, les sénateurs exigent une durée maximale et surtout, une consultation physique en cas de renouvellement.
Le Sénat s’oppose à l’allègement de la trajectoire fiscale du tabac à chauffer
Le PLFSS est par ailleurs l’occasion d’aborder des mesures de prévention et de santé publique, en agissant notamment sur les taxes comportementales. Ainsi, le Sénat s’est opposé à l’allègement de la fiscalité sur le tabac à chauffer, voulu par le gouvernement à l’Assemblée nationale, après échange avec les représentants des buralistes. Il a rétabli la version initiale. La Haute assemblée a même introduit une taxe « dissuasive » sur les « puffs », ces cigarettes électroniques à usage unique qui visent une clientèle très jeune. Bercy s’est aussi opposé sur la forme comme sur le fond, mais a promis l’ouverture de réflexions avec l’ensemble des acteurs concernés. Toujours au même chapitre, les sénateurs ont créé une taxe sur les bières aromatisées sucrées ou édulcorées, ainsi qu’une « taxe assise sur les messages publicitaires et activités promotionnelles à destination des enfants pour des produits de mauvaise qualité nutritionnelle ».
L’une des mesures phares du texte, l’instauration de rendez-vous à des âges clés de la vie, pris en charge par l’Assurance maladie, pour prévenir certaines pathologies et promouvoir de bonnes pratiques, a reçu le soutien du Sénat. Les parlementaires ont cependant inscrit le terme de « consultations », qui supposent l’intervention de professionnels de santé, et ont renvoyé au Haut Conseil de la santé publique les modalités et la fréquence de ces examens.
Nouvelles exigences dans le contrôle des Ehpad et la lutte contre la fraude aux prestations sociales
Moins d’un an après la déflagration du scandale des maisons de retraite Orpéa, le Sénat a salué les dispositions améliorant considérablement les pouvoirs de contrôle et de sanctions des autorités publiques sur les Ehpad. Lors de l’examen en hémicycle, plusieurs amendements, traduction des recommandations d’une ancienne mission d’information, ont été intégrés au texte pour renforcer cette dimension de contrôle.
Il en a été aussi de même concernant le volet anti-fraude sociale du projet de loi. Les sénateurs ont obtenu une accélération de l’obligation de verser sur des comptes français ou européens des prestations sociales soumises à condition de résidence sur le territoire.
Après l’adoption en scrutin solennel ce mardi après-midi, les deux assemblées devront désormais tenter de s’entendre sur une version commune du texte, lors d’une commission mixte paritaire ce mardi soir. Un exercice particulièrement difficile, au vu des divergences sur certains points. En cas d’échec, le texte connaîtrait une nouvelle lecture, où la reprise en main par le gouvernement à la faveur d’un nouveau 49.3 n’est pas à exclure, ce que craignaient certains sénateurs dès l’ouverture des débats.