« Aucune mesure n’est taboue » : au Sénat, la quête d’économies pour réduire le trou de la Sécu ne fait que commencer
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« Aucune mesure n’est taboue » : au Sénat, la quête d’économies pour réduire le trou de la Sécu ne fait que commencer

Les rapporteurs de la commission des affaires sociales entament un difficile travail pour formuler des propositions susceptibles de redresser les comptes dégradés de la Sécu. La rapporteure générale veut cheminer avec le souci de créer une majorité suffisante pour permettre au futur projet de loi de financement de passer toutes les haies parlementaires.
Guillaume Jacquot

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Le Sénat est au chevet du budget de la Sécurité sociale. Comme leurs collègues de la commission des finances, les rapporteurs thématiques de la commission des affaires sociales ont commencé leurs travaux pour donner corps aux 40 milliards d’économies que vise le gouvernement dans les textes budgétaires à adopter pour l’année 2026. Leurs propositions sont attendues à la fin juin. « Je salue l’initiative de Gérard Larcher. Il y a le feu à la maison, et je trouve que nos institutions ont du mal à réagir à cette réalité qui se présente à nous, comme si on attendait le mur avant d’agir », résume ainsi le sénateur centriste Olivier Henno, l’un des rapporteurs de branche pour le budget de la Sécu.

Le dernier diagnostic dévoilé hier par la Cour des comptes est particulièrement sombre. L’institution présidée par Pierre Moscovici décrit une trajectoire des comptes sociaux devenue « hors de contrôle ». En l’espace de seulement deux années, le déficit de la Sécurité sociale a été multiplié par deux. Et il devrait atteindre 22 milliards d’euros cette année.

Une accumulation insoutenable de déficits élevés

Cette accumulation de déficits élevés se traduit par un volume tel de dette accumulée, que la Caisse chargée de l’amortir (la Cades) n’est désormais plus en mesure de suivre. Hier, dans un message alarmiste, la Cour des comptes a mis en garde contre un risque d’une crise de liquidité pour l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), qui est censée gérer seulement la trésorerie à très court terme mais qui doit prendre à son compte une partie de cette dette. Dans le dernier budget de la Sécurité sociale, son plafond d’emprunt a été relevé à 65 milliards d’euros.

La rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat, Élisabeth Doineau, a eu l’occasion de prendre la mesure de cette situation, la semaine dernière, en échangeant avec la caisse nationale de l’Urssaf (Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales). « Ils suivent l’affaire comme le lait sur le feu. D’après eux, en fin d’année, on va s’approcher de la ligne rouge, ces fameux 65 milliards d’euros », témoigne la sénatrice de la Mayenne.

« Il faut que chaque Française et chaque Français réalise qu’on ne peut pas continuer comme ça, être proche d’une limite qui pourrait être franchie à la première épidémie », alerte la rapporteure générale.

L’hypothèse d’un gel des prestations sociales et des pensions pendant un an

Une proposition forte fait d’ores et déjà l’objet de réflexions dans la majorité sénatoriale. Le sénateur (Union centriste) Olivier Henno, l’un des rapporteurs thématiques de la Sécurité sociale, affirme que « l’année blanche » fait partie des idées sur la table. « Il pourrait y avoir la question de geler toutes les prestations sociales, à quelques exceptions près. Reste à définir le périmètre des exceptions », précise néanmoins le sénateur du Nord. Le parlementaire estime à 12 milliards d’euros le maximum de la somme qui pourrait être économisée avec cette proposition. L’ordre de grandeur correspondrait à la prévision d’inflation annuelle de la Banque de France pour 2025 (1,3 %), appliquée à l’ensemble des prestations sociales, contributives ou non, et y compris dans le budget de l’État.

L’effet d’une désindexation serait massif puisqu’elle pourrait représenter à elle seule entre un quart et un tiers de l’effort budgétaire voulu par le gouvernement, à savoir 40 milliards d’euros. Le 19 mai, Gérard Larcher avait déjà évoqué cette solution dans les colonnes du Parisien. « Le gel budgétaire fait partie des pistes à explorer dans tous les domaines y compris social. La réduction de l’inflation le rend possible », avait défendu le président du Sénat.

Même si la hausse des prix est revenue à des niveaux plus modérés, la perspective d’un gel des droits versés par la Sécurité sociale ou d’autres allocations sociales a de quoi être explosive. « La dernière fois, cela faisait partie des éléments qui ont provoqué la censure du gouvernement de Michel Barnier », se remémore la sénatrice LR Pascale Gruny, rapporteure de la branche vieillesse de la Sécurité sociale. Le Sénat, à l’initiative de la commission des affaires sociales, avait d’ailleurs adouci la potion, en préservant les petites pensions d’une désindexation, partielle seulement dans le projet en discussion à l’époque.

Un travail à mener sur les allègements généraux de cotisations sociales

Des propositions portées cet hiver par la majorité sénatoriale pourraient faire leur retour, pour améliorer les comptes de la Sécurité sociale. Ce pourrait être le cas de la deuxième journée de solidarité, poussée par une grande partie de la majorité sénatoriale à l’automne dernier, mais qui avait été balayée par le reste des forces au Parlement. « On étudie toutes les pistes. La question, c’est comment faire pour augmenter la quantité de travail globale, et pas forcément le temps de travail de ceux qui travaillent déjà. Aucune mesure n’est taboue, mais ce qui n’est plus possible, c’est de continuer la fuite en avant de l’endettement », prévient le centriste Olivier Henno.

La question du niveau des allègements généraux de cotisations patronales sur les salaires, en particulier pour les salaires les plus élevés, pourrait également se poser à nouveau dans l’élaboration de solutions pour le budget 2026 de la Sécurité sociale. Il y a plusieurs mois, le sujet avait profondément clivé le « socle commun », et l’adoucissement voté par le Sénat n’avait pas été jugé suffisant par les députés Renaissance (relire notre article). « Nous n’avons pas été soutenus par Gabriel Attal, bien au contraire. Il faudra reprendre ce travail sur les allègements de cotisations », anticipe la sénatrice Pascale Gruny.

Le travail des rapporteurs de la commission des affaires sociales ne pourra pas faire l’impasse sur les dépenses de l’Assurance maladie, responsable à 90 % de la dégradation financière de la Sécu, selon la Cour des comptes. « On devra reparler d’efficience dans la branche maladie. Le rapport de la Cour des comptes, paru hier, est sans surprise de notre côté », indique Corinne Imbert, rapporteure (LR) des articles relatifs à la santé dans les lois de financement de la Sécurité sociale.

 Le gouvernement attend 18 milliards d’euros d’économies sur les comptes sociaux. J’ai peur que le PLFSS soit sévère. C’est comme si on ramenait le déficit à zéro en une seule année. Je pense que la barre est trop haute, ou il va falloir collectivement renoncer à des choses, et je ne pense pas que le pays y soit prêt. Si on arrivait à ramener le déficit à 10 milliards d’euros, ce serait déjà énorme. 

Corinne Imbert, rapporteure (LR) de la branche maladie de la Sécurité sociale

La sénatrice de Charente-Maritime juge au passage « très, très ambitieux » l’attente de Bercy de 18 milliards d’économies sur le seul champ des comptes sociaux, communiquée à la commission. « C’est comme si on ramenait le déficit à zéro en une seule année. Je pense que la barre est trop haute, ou alors il va falloir collectivement renoncer à des choses et je ne pense pas que le pays y soit prêt. Si on arrivait à ramener le déficit à 10 milliards d’euros, ce serait déjà énorme. »

La rapporteure générale ne veut pas exclure le volet des recettes supplémentaires

Comme plusieurs de ses collègues, la rapporteure générale Élisabeth Doineau est aussi d’avis qu’il ne faut laisser aucune option de côté, pas même les recettes. « Il faut moins de dépenses, plus d’efficience, et peut-être des recettes supplémentaires. Je ne vois pas sinon comment on réussira à rétablir l’équilibre, il faut jouer sur tous les tableaux », considère-t-elle. « Il faut qu’on se mette d’accord les uns et les autres. Je préfère qu’on parvienne à une commission mixte paritaire qui n’aboutisse pas à une censure », ajoute-t-elle. Il faudra probablement passer par un travail sur les recettes, pour dissuader les socialistes de voter une motion de censure, ces derniers s’étaient montrés très attachés à cette question.

La sénatrice centriste livrera à ce sujet quelques pistes de réflexion début juillet. Elle mène depuis cet hiver une mission d’information aux côtés de la sénatrice écologiste Raymonde Poncet-Monge sur le financement de la Sécurité sociale (relire notre article).

La partition jouée par François Bayrou, pour assurer sa survie lors de la reprise des débats budgétaire en février, avec deux milliards d’euros de concession rien que sur le front des dépenses de santé, laisse toutefois certains sénateurs sceptiques sur ce qui sera fait de leur travail. « Je suis prête à faire des propositions mais qu’en fera le Premier ministre ? Je suis inquiète car il change d’avis régulièrement et renvoie tout à des comités. Quand vous voyez la grève des taxis, cela va être très compliqué », estime Pascale Gruny, en référence au bras de fer sur la question des nouveaux tarifs pour le transport sanitaire.

Quoiqu’il arrive, à six mois d’une nouvelle discussion budgétaire à très haut risque, la commission a bien conscience de la difficulté de l’équation à résoudre. « Je suis bien embêtée avec ce projet de loi de financement de la Sécurité sociale, plus que jamais. Il va falloir marcher sur des œufs », résume la rapporteure générale Élisabeth Doineau.

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