Le débat sur la prise en charge des arrêts maladie refait surface. Selon les informations de la Tribune du dimanche, l’idée d’un rallongement du délai de carence pour les salariés du privé serait à l’étude par le gouvernement. Il s’agit de la période qui s’écoule avant que l’Assurance maladie ne verse les indemnités journalières liées à un arrêt de travail. Elle est actuellement de trois jours pour les salariés du privé. Déjà l’an dernier, Gabriel Attal, alors ministre des Comptes publics, ciblait « l’augmentation extrêmement importante » des dépenses liées aux arrêts maladie. Dans une logique de contrôle des dépenses, le ministre avait épinglé à l’époque les arrêts de complaisance ou encore, ce qu’il a désigné comme les « arrêts du lundi ». Avec les produits de santé, elles sont l’une des catégories qui progressent en proportion plus vite que le reste des dépenses de l’Assurance maladie.
Que pourrait impliquer un allongement du délai de carence ? Dans le passé, plusieurs rapports se sont penchés sur ces enjeux. L’un des travaux de référence est une étude de 2015 publiée par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS), une administration dépendante des ministères de la Santé et du Travail. Celle-ci s’intéresse en particulier à l’effet des protections offertes par les entreprises sur les comportements des salariés.
Rappelons que si le versement d’indemnités journalières par la Sécurité sociale n’intervient qu’au quatrième jour de maladie pour les salariés du privé, les deux tiers sont couverts par des conventions collectives qui prévoient la prise en charge de ce délai de carence par l’entreprise. L’annexe du projet de loi de finances pour 2018 le rappelait.
La prise en charge du délai de carence réduit la durée des arrêts dans le privé (DRESS – 2015)
Le principal enseignement de l’étude de la DRESS, conduite par l’économiste de la Santé Catherine Pollak est le suivant : « Les salariés couverts durant le délai de carence n’ont pas de probabilité plus élevée d’avoir un arrêt dans l’année, mais ont des durées totales d’arrêt maladie significativement plus courtes ». Les travaux montrent une prédominance des arrêts de trois et cinq jours chez les premiers, contre une surreprésentation des arrêts de 8 et 15 jours chez les salariés non couverts.
Dans le détail, la durée cumulée des arrêts maladies chez les salariés qui y ont été confrontés, atteint 14,5 jours en moyenne par un chez les salariés couverts, contre 21,3 jours chez les salariés non couverts pendant le délai de carence. Précision importante, les salariés dont le délai de carence n’est pas pris en charge, ont, « à état de santé et conditions de travail comparables », des « arrêts plus longs et / ou plus fréquents », soulignait Catherine Pollak.
À ces données, l’étude avance une raison, tenant au comportement des salariés non couverts. « Leurs arrêts plus longs pourraient être dus à la détérioration de leur santé du fait d’une incitation au présentéisme, ou à une incitation à rentabiliser leurs arrêts en les prolongeant (se sachant mieux couverts par la suite) », détaillait l’auteure. Et de conclure : « Le choix de ces employeurs du secteur privé de couvrir leurs salariés au-delà de leurs obligations légales semble bien relever d’une décision rationnelle. »
L’économiste Catherine Pollak s’est aussi référée à des travaux plus anciens, mettant en évidence que l’absentéisme était plus élevé, « quand les conditions de travail ne sont pas compensées par le salaire », ou que les entreprises avaient intérêt à indemniser leurs salariés en cas d’arrêt maladie « pour limiter les coûts associés au présentéisme ».
« Moins d’absences courtes, plus d’absences longues » concluait l’Insee au sujet de l’instauration d’un jour de carence dans la fonction publique
L’Insee (Institut national de la statistique et des études économiques) s’est également intéressé aux effets de l’instauration d’un jour de carence dans la fonction publique, sur les années 2012 et 2013. Supprimée par la suite, la mesure avait été réinstaurée à partir du 1er janvier 2018. Parue fin 2017, l’étude cerne donc les effets de la première réforme. Selon les deux auteurs Alexandre Cazenave-Lacroutz et Alexandre Godzinski, l’instauration de ce jour non rémunéré au début d’un arrêt maladie « n’a pas significativement modifié la proportion d’agents de la fonction publique de l’État absents pour raison de santé une semaine donnée ». En revanche, « la mesure a modifié la répartition des absences par durée », avec une forte diminution des absences pour raison de santé d’une durée de deux jours, et une augmentation des durées allant d’une semaine à un trois mois.
L’amendement au projet de loi de finances pour 2012, qui avait supprimé la mesure, affirmait d’ailleurs dans l’exposé des motifs que ce jour de carence avait été « sans réelle efficacité » dans la prévention de l’absentéisme.
Les personnels les moins qualifiés « plus fréquemment absents, même en présence d’un jour de carence »
Une autre analyse, parue en 2023, est venue compléter la précédente. Dans un document de travail, Mélina Hillion et Édouard Maugendre avaient étudié les effets du jour de carence sur les absences pour maladie des personnels de l’Education nationale, qui représentent un tiers des personnels de la fonction publique d’Etat. Selon leurs conclusions, les épisodes de congé pour maladie ordinaire ont baissé de 23 % à la suite de l’instauration du jour de carence. L’effet est plus limité sur la durée annuelle cumulée de ces absences, avec une baisse de 6 %. Les deux auteurs ajoutent que « les femmes, les personnels les moins qualifiés et ceux exerçant en éducation prioritaire sont plus fréquemment absents, même en présence d’un jour de carence, et donc les plus pénalisés financièrement ».
En conclusion de leurs observations sur les données, les deux statisticiens précisent toutefois que le « jour de carence ne semble pas avoir eu d’effet significatif à court terme sur la santé perçue ni sur le recours aux soins des salariés du secteur public ». Ils suggèrent également des travaux complémentaires, sur les effets à long terme, en termes de conséquences sur la santé, le recours aux soins, ou encore les effets sur la productivité ou l’engagement des fonctionnaires.
Quels enjeux financiers ?
Reste l’économie potentielle attendue. Selon l’Insee, les indemnités journalières de maladie (hors maternité, accidents du travail et maladies professionnelles) versées aux actifs du secteur privé représentaient en 2018 environ 8,5 milliards d’euros, soit 3,2 % des dépenses courantes de santé (dépenses de soins et de biens médicaux, indemnités, recherche, formation ou encore administration). L’institut statistique expliquait la croissance des dépenses des indemnités journalières par le développement des maladies sous l’effet du vieillissement démographique, mais aussi dans le contexte de croissance des personnes en emploi et des salaires. Pour rappel, l’indemnité que verse la Sécurité sociale au salarié en arrêt maladie, à partir du quatrième jour, est basée sur 50 % de son salaire.
L’instauration de mesures de nature à dissuader arrêts maladie de courte durée ne devrait cependant pas bouleverser en profondeur ce type de dépenses, compte tenu de la répartition des coûts. Selon les données de la Caisse nationale d’Assurance maladie, les arrêts maladie de moins d’un mois représentaient près des trois quarts du nombre d’arrêts délivrés en 2017. Mais ces mêmes arrêts représentaient seulement 17,6 % des dépenses engagées par l’Assurance maladie pour l’ensemble des indemnités journalière liées une maladie, soit 1,3 milliard d’euros. La part de ces arrêts courts a même diminué de 2011 à 2017. « Ainsi, un enjeu déterminant de maîtrise des dépenses d’indemnisation concerne les arrêts de plus de six mois (6,2 % des arrêts mais 44,6 % des dépenses en 2017) », notait d’ailleurs la Cour des comptes dans un rapport d’octobre 2019.
En instaurant un jour de carence dans la fonction publique en 2018, le gouvernement avait, à l’époque, tablé sur un rendement de 270 millions d’euros par an. Une note de l’Institut des politiques publiques parue en 2020 estimait, quant à elle, à 765 millions d’euros le volume des économies occasionnées chaque année dans la dépense publique par le délai de carence de trois jours imposés au secteur privé.
La piste d’un allongement du délai de carence inquiète en tout cas les représentants des entreprises. La CPME, par exemple, redoute logiquement une hausse sensible des cotisations de prévoyance. Le patronat défendrait plutôt l’instauration de jours de carence dits « d’ordre public », c’est-à-dire n’étant pas indemnisés, ni par les employeurs ou les organismes de prévoyance. C’était également l’une des préconisations de la Cour des comptes.