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Aide à mourir : l’avant-projet de loi sur la fin de vie suscite des remous au Sénat

Un document provisoire sur le projet de loi sur la fin de vie a fuité dans plusieurs médias. La copie, qui peut encore évoluer avant sa présentation en Conseil des ministres, heurte déjà la sénatrice LR Christine Bonfanti-Dossat, qui devrait porter la voix de la commission des affaires sociales durant les débats. « Je suis un peu ébahie », réagit-elle.
Guillaume Jacquot

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Le gouvernement n’a pas encore reposé le stylo. La réforme, promise depuis de longs mois par le chef de l’État sur la fin de vie, afin de faire émerger un « modèle français » en la matière, fait l’objet d’arbitrages au sommet de l’État. Sa présentation, reportée de septembre à décembre, devrait finalement intervenir vers la fin du mois de février, selon le ministère des Professions de santé. Soit près d’un an après la fin des travaux de la Convention citoyenne sur la fin de vie.

La ministre Agnès Firmin Le Bodo justifie ce report par la préparation de la stratégie décennale sur les soins palliatifs, que le récent rapport du professeur Franck Chauvin est récemment venu éclairer. Cette feuille de route sera dévoilée en janvier. La ministre rappelle également que le projet de loi nécessite de « prendre le temps » et de « peser les mots ». Le débat à venir est aussi sensible qu’il est attendu par une partie importante de la population.

Pas de mention des mots « suicide assisté » et « euthanasie » dans le texte

L’avant-projet de loi peut évidemment évoluer d’ici la présentation en Conseil des ministres. On en connaît néanmoins les principales pistes provisoires, selon une version datée d’octobre, dont Le Figaro révèle les détails ce jeudi, mais aussi le quotidien La Croix. Ce modèle à la française, présenté comme un « ensemble », traitera aussi bien des « soins d’accompagnement », des droits des patients que de « l’aide à mourir », selon le terme utilisé dans l’ébauche du texte.

Dans le futur débat parlementaire qui se profile, où chaque mot aura évidemment son importance, le lexique de cette copie provisoire laisse les législateurs songeurs. « Les soins palliatifs s’appellent soins d’accompagnement, on fait du ripolinage », s’étonne la sénatrice LR Christine Bonfanti-Dossat, rapporteure pressentie pour l’examen du texte au Sénat. Même remarques spontanées pour Bernard Jomier, le référent du groupe socialiste sur les questions médicales, un peu contrarié par « l’usage de la novlangue » dans cette version provisoire. « Ni le suicide assisté ni l’euthanasie ne sont des tabous », fait remarquer le sénateur de Paris. Ces deux termes n’étant pas utilisés dans l’avant-projet de loi, selon le quotidien. « Si le ministère se met à changer les mots par rapport au Comité consultatif national d’éthique ou à la Convention citoyenne sur la fin de vie, on va rendre le débat opaque pour les Français », regrette Bernard Jomier.

Sur le fond, l’avant-projet de loi introduirait l’aide à mourir au sein de l’article du Code de la Santé qui prévoit actuellement un « droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance ». L’aide à mourir serait ouverte à une personne majeure, souffrant d’une « affection grave et incurable qui engage son pronostic vital à court ou moyen terme » (6 à 12 mois, selon l’avant-projet) ou ressentant une « souffrance physique réfractaire ou insupportable » du fait de sa maladie. Les conditions sont cumulatives.

« Une exception d’euthanasie sans la nommer » et une implication des soignants

L’administration du produit létal serait « par principe » réalisé par la personne « elle-même ». Un médecin ou un infirmier pourrait intervenir si le malade « n’est pas en mesure physiquement d’y procéder ». C’est la définition du suicide assisté. Le texte provisoire laisse aussi entendre que ce rôle pourrait aussi être assuré par un proche, mais en s’assurant de la présence d’un soignant à proximité. « Le texte introduit une exception d’euthanasie sans la nommer », explique le ministère dans l’explication du texte, consultée par Le Figaro. Pour rappel, l’euthanasie est un « acte destiné à mettre délibérément fin à la vie d’une personne atteinte d’une maladie grave et incurable, à sa demande, afin de faire cesser une situation qu’elle juge insupportable », selon la définition du Comité consultatif national d’éthique.

Cette participation du corps médical « à un processus qui mènerait à une euthanasie » est d’ailleurs une ligne rouge exprimée par l’Ordre national des médecins, mais aussi d’autres professionnels de santé. L’ébauche de la réforme est désapprouvée par Christine Bonfanti-Dossat, probable future rapporteure au Sénat. « Je suis un peu ébahie par ce texte. Ce n’est que la porte ouverte, le cheval de Troie, qui va introduire dans peu de temps l’euthanasie. Je m’y refuse ». Avec Corinne Imbert (LR), la sénatrice de Lot-et-Garonne s’était formellement opposée à la légalisation du suicide assisté ou de l’euthanasie, en juin dernier. Dans ce rapport adopté par la commission des affaires sociales, seule une des trois rapporteures, Michelle Meunier (PS), avait soutenu une évolution de la législation pour une aide active à mourir.

Une aide à mourir « prématurée », juge la rapporteure pressentie au Sénat

« La seule chose qui compte, c’est de développer les soins palliatifs. 26 départements ne sont pas couverts », plaide plutôt Christine Bonfanti-Dossat, favorable à faire connaître davantage les dispositions de la loi Claeys-Leonetti avant toute nouvelle modification législative. L’aide active à mourir reste « prématurée », insiste-t-elle.

L’ancienne infirmière n’est pas non plus convaincue par les garde-fous imaginés dans l’avant-projet de loi. Confronté à une demande d’un patient souhaitant mettre fin à ses jours, le médecin devrait d’abord vérifier si ce dernier correspond aux conditions d’accès. Avant de donner un avis, le soignant devrait au moins recueillir l’avis d’un confrère extérieur et un spécialiste de la maladie en question, notamment pour évaluer l’engagement du pronostic vital. Leurs avis ne s’imposeraient toutefois pas au médecin, qui aurait alors 15 jours pour se prononcer. « Il n’y a pas de procédure collective », regrette Christine Bonfanti-Dossat.

Autre passage problématique à ses yeux : l’introduction dans l’avant-projet de loi d’un nouveau concept, le « secourisme inversé », pour « hâter le décès en limitant les souffrances » en cas d’incident lors de l’administration du produit. « Je ne peux pas l’imaginer », réagit la sénatrice LR.

Des « ballons d’essai » pour le sénateur apparenté PS Bernard Jomier, qui appelle à l’ouverture du débat au Parlement

Au-delà de la sémantique, le sénateur Bernard Jomier se garde de commenter les dispositions, estimant que cette copie s’apparente à « des ballons d’essai ». « Ne prenons pas ce texte pour plus que ce qu’il est, un énième brouillon qui doit évoluer. J’attends de voir le texte qui va être envoyé au Conseil d’État », demande le médecin, qui « appelle à démarrer le cycle législatif sans tarder ».

Quand le Parlement sera officiellement saisi, députés et sénateurs savent qu’une longue séquence parlementaire va s’ouvrir, comme lors des précédentes lois de bioéthique. Compte tenu de la complexité et du caractère sensible des sujets abordés, le gouvernement s’est engagé à ne pas lancer la procédure accélérée. Ce qui signifie que les deux assemblées auront au moins deux lectures avant de tenter de se mettre d’accord sur une version commune. « Il faudra au moins 18 mois de débat », prévenait ce mercredi Agnès Firmin Le Bodo.

Face à un débat qui pourrait être passionné, Bernard Jomier appelle le gouvernement à « se mettre dans une démarche de consensus entre les deux chambres du Parlement ». « Il peut y avoir une majorité sur l’ouverture de l’aide active à mourir, pour peu que les soignants soient entendus. J’appelle à cette démarche-là, et pas d’affrontement pour obtenir à tout prix une victoire. »

En mars 2021, le Sénat avait rejeté le cœur d’une proposition de loi « visant à établir le droit à mourir dans la dignité », déposée par Marie-Pierre de la Gontrie et plusieurs de ses collègues PS. L’article en question, rejeté par 161 voix contre 142, visait à inscrire dans le code de la santé publique le droit à l’aide active à mourir (suicide assisté ou bien l’euthanasie).

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