« Aberrant », « scandale » : les sénateurs vent debout face à l’éventualité de rembourser les médicaments selon les revenus
Par Alexis Graillot
Publié le
« Une prise de conscience collective » : quelques minutes après l’annonce du déficit public par l’INSEE, chiffré à 5.5% du PIB, bien loin des prévisions de 4.9% estimées par le gouvernement, Bruno Le Maire a martelé son désir de « ne pas augmenter les impôts », tout en déclarant que « tout ne doit pas reposer sur les dépenses de l’Etat ». A ce titre, le ministre de l’Economie s’est dit « ouvert à tous les débats », notamment vis-à-vis du remboursement des soins de santé selon les revenus. « La personne qui est en bonne santé, qui consomme beaucoup de médicaments et qui fait beaucoup d’analyses médicales doit sans doute contribuer davantage », a défendu le locataire de Bercy, estimant qu’il s’agit d’un « principe de responsabilité, de choix dans la dépense publique ». « Il ne s’agit pas de dire qu’on va ratiboiser tout le monde », a-t-il tenté de rassurer.
« C’est une façon de dire le médicament ça ne peut pas être open bar. Vous voyez tous les médicaments que vous accumulez dans votre pharmacie, ça a un coût, c’est vous qui payez, c’est le contribuable qui paye », a poursuivi le ministre, arguant que le doublement de la franchise médicale, passant de 50 centimes à 1 euro, avait permis à l’Etat de récolter plus d’un milliard d’euros : « Ce n’est pas de la roupie de sansonnet, c’est beaucoup d’argent », a-t-il appuyé. Dans le même temps, Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes et ancien ministre de l’Economie de François Hollande, invité de France Inter, a regretté un « dérapage important » et « très, très rare ».
Depuis, le ministre de l’Economie a semblé amorcer un rétropédalage, affirmant en réunion de groupe des députés Renaissance, que « le sujet n’était pas à l’ordre du jour », selon nos confrères de BFMTV, qui ajoutent que l’entourage du ministre a souligné que Bruno le Maire « avait en tête des franchises des médicaments, pas le prix des médicaments », pointant une « incompréhension ».
« Une atteinte à un principe fondateur de la Sécurité sociale »
En dépit de cette tentative de déminage, cette déclaration ne passe pas auprès de la gauche comme auprès de la droite. « Bruno Le Maire est obsédé par la réduction des dépenses », ce qui « l’amène à dire n’importe quoi, y compris à ne pas réaliser que la Sécurité sociale a des fondements », tance Bernard Jomier, sénateur SER (Socialiste, Ecologiste et Républicain) de Paris, qui dénonce « une atteinte à un principe fondateur de la sécurité sociale ». « C’est proprement scandaleux », abonde Corinne Imbert, sénatrice apparentée LR de Charente-Maritime, et corapporteure au Sénat, du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2024.
« C’est aberrant de ne pas avoir écouté nos propositions et faire un tel constat trois mois plus tard », se désole Pascal Gruny. Pour la sénatrice de l’Aisne et corapporteure du dernier PLFSS pour la branche vieillesse, « ils [le gouvernement] ne savent pas où ils vont », et appelle à faire « attention à une médecine à deux vitesses », dans un contexte où de nombreux laboratoires délocalisent leur production en raison d’un prix du médicament trop élevé en France. La sénatrice rappelle à ce titre, travailler avec Bernard Jomier sur le prix du médicament au niveau européen.
« On reçoit selon ses besoins et on contribue selon ses moyens », rappelle quant à lui le sénateur socialiste, pour qui la fin de ce principe acterait « à terme, une disparition de la sécurité sociale ». Celui qui est également médecin généraliste dénonce par ailleurs une « idéologie de la contraction des dépenses », illustrée notamment par les déclarations du président de la République sur le « pognon de dingue ».
« Améliorer le temps médical »
De son côté, Bernard Jomier propose d’ « augmenter la contribution en fonction des moyens », en d’autres termes, une hausse des cotisations, affirmant que « le gouvernement ne peut pas continuer à couper les dépenses sans débat de fond, en bricolant avec des mesures qui visent à accréditer l’idée que notre système social est très coûteux ». « A force d’avoir une cécité de l’œil gauche, de ne voir que de son œil droit, on en vient à dire n’importe quoi », s’emporte-t-il.
Le sénateur SER affirme cependant « ne pas avoir de tabou » : « Il peut être complètement légitime de dire que l’augmentation est la solution », rappelant que la dépense santé du pays est passée de 200 à 250 milliards d’euros, entre 2017 et 2024. « Même si cela a été douloureux, le budget de la Sécurité sociale, en 2017, – dernière année du mandat de François Hollande – était quasiment à l’équilibre », précise Bernard Jomier, pour qui « le gouvernement gère mal la Sécu », alors que le système de santé s’est « dégradé ».
Pascale Gruny tempère quant à elle sur le levier impôt, proposant d’ « améliorer et d’optimiser le temps médical ». « La médecine aujourd’hui se fait moins bien qu’auparavant, les médecins sont saturés, ils font beaucoup d’examens », regrette la vice-présidente de la Commission des affaires sociales. « Le budget du système de santé est à regarder, mais le gouvernement l’a laissé défiler depuis des années », s’agace-t-elle, s’alarmant de « taux de mortalité infantile qui remontent ». Enfin, interrogée plus globalement sur le déficit public, elle propose de s’attaquer prioritairement au « nombre d’agences autour du gouvernement de l’Etat qui ne rapportent rien du tout », de même qu’au financement de certaines ONG, « pas du tout en phase avec notre société ».
Nul doute que Bruno Le Maire sera attendu au tournant pour les questions au gouvernement de demain au palais du Luxembourg. Réponse ce mercredi à 15 heures.
Pour aller plus loin