C’est la fin d’une séquence politique qui dure depuis plus d’un an. Le Conseil constitutionnel va rendre sa décision, ce jeudi, sur le projet de loi immigration. Un texte qui devrait être censuré au moins partiellement par les Sages de la rue Montpensier. Faute de majorité absolue à l’Assemblée nationale et déterminé à aboutir à un texte, l’exécutif avait dû se plier aux demandes de la droite, en position de force lors de la réunion de la commission mixte paritaire, faisant passer le texte initial de 27 articles à 86 quitte à assumer une probable censure. « Je pense qu’il y a des dispositions qui ne sont pas conformes à la Constitution », avait reconnu le chef de l’Etat en décembre.
Un aveu qui avait froissé le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius. « Dans un régime démocratique avancé comme le nôtre, on peut toujours modifier l’état du droit mais, pour ce faire, il faut toujours veiller à respecter l’État de droit », avait tancé l’ancien Premier ministre lors de ses vœux à la presse.
Réviser la Constitution après la censure
Invité de France Inter, ce jeudi, Bruno Retailleau a fustigé « un dévoiement des institutions », « quand le président de la République encourage sa majorité à voter le texte […] et puis aussitôt après (le vote du texte) saisit le Conseil constitutionnel, comme s’il était une sorte d’instance d’appel du Parlement ».
A droite, les parlementaires s’attendent à cette censure, mais rappellent depuis plusieurs semaines que le pouvoir constituant est souverain, le Conseil constitutionnel n’étant que l’interprète de la Constitution. « Si certains articles sont censurés […] si cela touche l’essence même de la maîtrise des politiques migratoires, il faudra modifier la Constitution », avait déclaré le président du Sénat, Gérard Larcher.
« Si le Conseil constitutionnel dit que la Constitution ne permet pas de le faire [appliquer les mesures de la loi immigration], il reviendra au président de la République de modifier la Constitution », maintient Bruno Retailleau.
Et c’était d’ailleurs l’objectif des Républicains qui avaient présenté en grande pompe en juin dernier, une révision de la Constitution. Une révision sans laquelle, « rien ne sera possible […] toute autre décision serait de la procrastination et le choix de l’impuissance », avait affirmé dans le JDD, le président du parti, Éric Ciotti dans un entretien croisé avec le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau et son homologue à l’Assemblée nationale, Olivier Marleix.
Plusieurs articles du projet de loi sont effectivement susceptibles d’être contraire à la Constitution, l’article 1er qui prévoit la tenue d’un débat annuel au Parlement afin de fixer des quotas migratoires pluriannuels, pourrait porter atteinte à la séparation des pouvoirs et au principe d’égalité devant la loi (voir notre article). Le principe d’égalité devant la loi pourrait être également remis en cause par les mesures polémiques instaurant une forme de « préférence nationale ». Le durcissement des conditions du regroupement familial pourrait, lui, s’opposer au droit au respect à la vie privée et familiale, garanti par la Constitution.
Quand la droite retirait son projet de révision de la Constitution faute de majorité
Le 14 décembre dans un courrier envoyé au chef de l’Etat, les ténors des Républicains réaffirmaient la nécessité d’une révision constitutionnelle seule à même, selon eux, « de réarmer la Nation face au défi migratoire, en insistant sur « trois priorités » : la mise en place de « plafonds migratoires » votés chaque année par le Parlement, y compris en matière d’immigration familiale, les demandes d’asile effectuée à la frontière dans les représentations françaises à l’étranger, « afin que les déboutés du droit d’asile ne viennent pas grossir les rangs des personnes en situation irrégulière, et enfin l’’inscription du principe selon lequel tout étranger présentant une menace pour l’ordre public doit être éloigné du territoire national.
Le premier point intégré par la droite dans la loi immigration risque la censure du Conseil constitutionnel, comme nous l’avons vu. Les deux autres remettraient en cause les conventions internationales et européennes ratifiées par la France. Rappelons ici que l’article 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme interdisent l’expulsion d’un ressortissant, même considéré dangereux, s’il peut être tué ou torturé, dans son pays d’origine
Mais voilà, deux jours avant l’envoi de ce courrier, en plein débat au Parlement sur le projet de loi immigration, une levée de boucliers s’était dressée dans les deux chambres contre le projet de révision de la Constitution portée par la droite, au point de contraindre les groupes LR des deux assemblées de retirer leur texte pour éviter le camouflet d’un vote de rejet. Même au Sénat, LR n’avait pas réussi à convaincre ses alliés centristes échaudés par deux dispositions. L’article 2 qui prévoit d’élargir les conditions du recours au référendum de l’article 11 de la Constitution aux questions relatives à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit de la nationalité, et l’article 3 qui permettrait à la France de déroger aux règles européennes, notamment en matière migratoire si celles-ci « contreviennent à l’identité constitutionnelle de la France ». « On n’en fait pas un drame. Mais il était hors de question qu’on transige sur ces deux points-là », avait déclaré Bruno Retailleau pour justifier le choix d’un retrait du texte.
Cavaliers législatifs
Enfin, le Conseil constitutionnel pourrait censurer des articles de la loi immigration au motif qu’ils n’ont pas de rapport avec le texte initial, « des cavaliers législatifs », définis à l’article 45 de la Constitution, telle que la disposition qui conditionne l’acquisition de la nationalité à un certain niveau de langue, la fin à l’automaticité du droit du sol, ou encore la déchéance de nationalité après une condamnation pour « homicide volontaire commis sur toute personne dépositaire de l’autorité publique ».
« Est-ce que tout ce qu’on a mis dans le texte n’a rien à voir avec l’immigration et l’intégration ? […] Si l’article 45 est invoqué, je demanderai un texte sur les points qui sont largement soutenus par les Français et qui nous permettront de reprendre le contrôle », a prévenu Bruno Retailleau.