La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Loi immigration censurée : le Conseil constitutionnel a-t-il refusé d’appliquer la Constitution comme l’affirme LR ?
Par Simon Barbarit
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« Coup d’Etat de droit », « déni du pouvoir du Parlement », « hold-up démocratique », en l’espace de quelques heures Les Républicains sont partis en croisade contre le Conseil constitutionnel. C’est peu dire que la décision des Sages sur la loi immigration a suscité incompréhension et colère dans les rangs de la droite. Sans se prononcer sur le fond, le Conseil constitutionnel a censuré 32 dispositions insérées par la droite sénatoriale lors de l’examen du texte, au motif qu’ils étaient sans rapport avec le texte initial, les fameux « cavaliers législatifs », définis à l’article 45 de la Constitution. Sont concernées notamment des mesures politiquement inflammables, comme le durcissement des conditions du regroupement familial, l’instauration d’une « caution retour » pour les étudiants étrangers, ou encore les modifications apportées au Code civil sur le droit de la nationalité, dont la fin de l’automaticité du droit du sol ».
Quelques minutes après la décision tant attendue du Conseil constitutionnel sur la loi immigration, Bruno Retailleau, le chef de file des sénateurs LR, avait du mal à contenir sa colère, en accueillant la caméra de Public Sénat. « Il faudra nous expliquer pourquoi l’immigration familiale n’a rien à voir avec l’immigration ? Pourquoi vérifier les causes réelles et sérieuses des études d’un étranger n’est pas lié à l’immigration ? Pourquoi le fait de percevoir des allocations familiales ça n’a rien à voir avec l’immigration ? »
Selon lui, le Conseil constitutionnel « refuse d’appliquer la révision constitutionnelle de 2008 lorsque « le constituant de l’époque avait essayé de donner plus de souplesse au législateur. Il fallait non seulement un lien direct pour qu’un amendement puisse être accepté mais aussi un lien indirect. Il y a donc un refus du Conseil constitutionnel d’appliquer la Constitution », estime-t-il, avant de tancer : « C’est un déni du pouvoir du Parlement ».
Un argument avancé également par le président du Sénat, Gérard Larcher. « La décision du Conseil constitutionnel remet en cause le droit d’amendement légitime du Parlement par une interprétation rigoriste de l’article 45 de la Constitution sur la notion de lien indirect résultant de la révision constitutionnelle de 2008 », écrit-il sur X.
« Le Conseil veille à ce que la loi soit claire et lisible pour les citoyens »
La prohibition des « cavaliers législatifs » n’est pas une spécificité française. On retrouve cette limite au droit d’amendement des parlementaires dans d’autres pays comme la Belgique, les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. L’exigence constitutionnelle de clarté et de sincérité du débat parlementaire impose un lien entre un amendement et un texte en discussion. Ce principe a été consacré pour la première fois par le Conseil constitutionnel dans une décision du 13 décembre 1985. « La Constitution est la norme qui nous protège et protège nos institutions. Le Conseil constitutionnel est gardien de cette protection et veille à ce que la loi soit claire et lisible pour les citoyens. Il censure tout ce qui conduit à ce qu’une loi se disperse, à ce qu’elle prétende traiter un sujet au lieu d’en traiter un autre », rappelle le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier.
« Il y a une part de vérité et une part d’erreur dans ce que disent les Républicains », estime Mathieu Carpentier, professeur de droit public. « Les cavaliers législatifs ont toujours été pour le Conseil constitutionnel une manière de faire un contrôle à géométrie variable. Si on reprend l’ensemble des 32 dispositions censurées, il y en a certaines qui auraient pu être rattachées de manière indirecte au projet de loi. Je pense aux dispositions sur le regroupement familial qui auraient pu être rattachées au titre I sur la maîtrise des voies d’accès au séjour. En revanche, tout ce qui concernait le droit du sol, le droit de la nationalité, la caution pour les étudiants, ça n’avait rien à voir. Lorsque le Conseil constitutionnel contrôle les cavaliers, il le fait sur le fondement des dispositions du projet de loi. Ce n’est pas parce que le projet de loi porte sur l’immigration que tous les amendements traitant d’immigration sont recevables ».
Le Conseil constitutionnel a-t-il fait fi de la révision constitutionnelle de 2008 ?
La révision de 2008 a constitutionnalisé cette jurisprudence en insérant un alinéa 1 à l’article 45 du texte suprême. « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », y est-il désormais inscrit. Et c’est ce terme « indirect » qui suscite la contestation des Républicains. Ils estiment que leurs amendements répondaient bien à ce critère.
« Ce nouvel aliéna avait pour objet de préciser le contenu d’une règle qui découlaient entièrement de la jurisprudence du Conseil. La notion de lien indirect permet au Conseil d’avoir un peu plus de souplesse dans le contrôle des cavaliers. Mais on se heurte ici au pouvoir d’interprétation du juge qui apprécie la notion de lien indirect de manière discrétionnaire », souligne Mathieu Carpentier.
Pour Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à Paris II, la question soulevée par Les Républicains « est un vrai sujet, mais ne se limite pas à la loi immigration ». « La révision de l’article 45 a glissé sur le Conseil comme l’eau sur les ailes d’un canard. En réalité, le Conseil constitutionnel n’a pas infléchi sa jurisprudence et conserve une vision restrictive du contrôle des cavaliers ».
Dans un article publié sur le site du Conseil constitutionnel en avril 2020, Jean Maïa, le secrétaire général de l’institution observe que la censure d’un cavalier suscite toujours « une forme d’incompréhension de l’auteur de l’amendement, qu’il s’agisse d’un parlementaire ou d’un ministre » […] lobbies ou parties intéressées dénoncent la censure comme arbitraire, en feignant d’en ignorer la raison », remarque-t-il. Quant à l’apport de la révision constitutionnelle de 2008 sur le contrôle des cavaliers, le secrétaire général indique qu’elle n’a fait que « consolider le socle constitutionnel de ce contrôle ». « L’ajout de cette mention (lien indirect NDLR) était en réalité au plus près de ce qu’énonçait déjà la jurisprudence constitutionnelle, à savoir la prohibition des cas où l’amendement est dépourvu de tout lien avec le texte initial ».
« Les Républicains sont dans un rôle politique »
Pour Jean-Philippe Derosier, Les Républicains « sont dans un rôle politique lorsqu’ils manifestent leur mécontentement. On ne les a pas attendus lorsque le Conseil avait censuré pour les mêmes motifs en 2015, 27 des 39 articles de la loi Taubira qui transposait dans le droit pénal des directives européennes. La loi immigration est arrivée au Sénat avec 27 articles, elle en est ressortie avec 86. J’ai tendance à dire que plus la dispersion du législateur est grande et plus le Conseil sera scrupuleux ».
« Le Conseil constitutionnel est là non pas pour rendre des services politiques, mais pour rendre une décision juridique », a martelé le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius sur France Inter, ce vendredi.
Mathieu Carpentier note justement qu’en ne censurant seulement que trois articles sur le fond et 32 parce qu’ils n’avaient pas leur place dans le périmètre de ce texte, « le Conseil constitutionnel a évité de se prononcer sur le fond et ainsi s’est déchargé des questions difficiles et politiquement entachées. L’article 19 qui conditionnait la délivrance de certaines prestations sociales, cette forme de préférence nationale, aurait pu être censuré sur la base d’une remise en cause de l’alinéa 11 du préambule de 1946 qui garantit la protection e la santé à tout être humain », esquisse le constitutionnaliste.
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