Au terme d’une longue attente, c’est finalement Gabriel Attal qui a succédé à Elisabeth Borne au poste de Premier ministre ce 9 janvier. Le nouveau chef du gouvernement est à la fois décrit comme un macroniste de la première heure, issu des rangs du Parti socialiste et salué par la droite pour les mesures prises lors de son éphémère passage au ministère de l’Education. Mais pour Floran Vadillo, président du think tank L’Hétairie et enseignant à Sciences Po, le nouveau locataire de Matignon se caractérise surtout par « une rente politique fondée sur l’indistinction ».
Le vote d’une motion de rejet du projet de loi immigration à l’Assemblée nationale début décembre a été un véritable échec pour Gérald Darmanin, l’adoption d’un accord final sur le texte en commission mixte paritaire a provoqué la démission du ministre de la Santé Aurélien Rousseau. Pendant ce temps, Gabriel Attal est resté en retrait. « Sur la loi immigration, il a aujourd’hui un capital politique inentamé. Il ne fait pas partie de ceux qui ont émis des doutes, il n’est pas frondeur c’est certain, mais on ne sait pas s’il est favorable à l’accord qui a finalement été trouvé », constate Floran Vadillo.
L’épineuse réforme de l’AME
Le 18 décembre dernier, à quelques heures de l’ouverture de la commission mixte paritaire sur la loi immigration, Elisabeth Borne écrivait au président du Sénat Gérard Larcher pour s’engager à réformer l’aide médicale d’Etat (AME) dans un prochain texte, « en début d’année 2024 ». Avec son départ de Matignon, c’est donc à Gabriel Attal qu’incombe désormais la charge de cette épineuse réforme. « Si Gabriel Attal maintient ce compromis conclu par Elisabeth Borne avec la droite, il va immédiatement entrer dans le dur et s’aliéner toute la gauche », analyse Floran Vadillo.
Dans un entretien au Parisien, bien avant les débats houleux de fin 2023 sur le projet de loi, Gabriel Attal s’était positionné contre l’interdiction de l’AME, en opposition à l’époque avec Gérald Darmanin. « J’écoute les professionnels de santé. En plus de conserver les valeurs humanistes de la France, ils disent que pour des enjeux de sécurité sanitaire pour les Français il faut garder un système qui soigne ces personnes présentes sur notre sol », avait-il tranché.
Le nouveau Premier ministre éprouvera-t-il des difficultés à porter cette réforme qui s’annonce comme l’un de ses premiers chantiers ? Pour Floran Vadillo, cette prise de position passée ne devrait pas trop encombrer Gabriel Attal. « Pour défendre une réforme de l’AME, son argument politique est assez simple. Il pourra se ranger derrière le fait qu’il respecte la parole donnée par Elisabeth Borne, ce qui lui permettra de rester fidèle à Emmanuel Macron et à lui-même. Il pourra également se défendre en expliquant qu’une réforme de l’AME ne signifie pas sa suppression », estime l’enseignant à Sciences Po.
Virage à droite à Matignon ?
Pour Floran Vadillo, en devenant Premier ministre, Gabriel Attal devra donc obligatoirement sortir de son relatif silence : « Je pense que Matignon va l’obliger à sortir de l’indistinction sur tous les sujets, il va devoir porter une politique sur laquelle il a parfois été extrêmement discret ».
Comparé à Emmanuel Macron, notamment pour sa jeunesse et son ascension éclair, le nouveau chef du gouvernement ne pourra donc pas s’inspirer du « en même temps » théorisé par le chef de l’Etat. « Le Premier ministre porte par essence les arbitrages, si le « en même temps » peut exister en marketing, il n’est pas possible en politique », estime Floran Vadillo.
Mais pour l’enseignant à Sciences Po, Gabriel Attal ne devrait pas éprouver trop de difficultés à se positionner sur une ligne « résolument à droite » : « Lors de son passage au ministère de l’Education nationale, son positionnement a été très proche de celui de Jean-Michel Blanquer, dont on n’a jamais pensé une seconde qu’il était de gauche ». Avec l’interdiction du port de l’abaya, le lancement de l’expérimentation de l’uniforme et la création de groupes de niveaux au collège, les cinq mois de Gabriel Attal à l’Education nationale ont en effet été régulièrement complimentés par la droite. Reste à savoir s’il parviendra à séduire les Républicains maintenant qu’il endosse le rôle du chercheur de compromis, dans un Parlement de moins en moins acquis au parti présidentiel.