L’encre de la loi immigration est à peine sèche qu’une fronde inédite est annoncée au niveau local. Le conditionnement des prestations sociales non contributives pour les étrangers non européens en situation régulière, prévu dans le texte, avait déjà provoqué l’indignation de la gauche et un malaise au sein de la majorité, la contestation s’étend maintenant aux départements. Objet de leur courroux, les nouvelles règles pour le versement de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) dont les départements ont la charge. L’APA est une allocation destinée aux personnes âgées de 60 ans et plus en perte d’autonomie versée par le Conseil départemental. La nouvelle loi prévoit de conditionner son versement à un délai de carence de cinq ans pour les étrangers en situation régulière qui ne travaillent pas, et de trente mois pour les autres.
« Qui peut imaginer des hordes de personnes âgées en perte d’autonomie se précipiter sur des bateaux de fortune ? »
Après le département du Lot et de la Seine-Saint-Denis, ce sont maintenant 30 départements dirigés par la gauche, dont la ville de Paris, qui ont annoncé leur refus d’appliquer les nouvelles conditions du versement de l’APA, selon le groupe de Gauche de l’Assemblée des départements de France. « Cette mesure, comme d’autres, fracture notre contrat social en instaurant la préférence nationale, le fonds de commerce du FN depuis 50 ans. Cette loi a été écrite sous la dictée de l’extrême droite qui a conquis la droite républicaine jusqu’à Emmanuel Macron », dénonce Stéphane Troussel. Le président socialiste du Conseil départemental de Seine-Saint-Denis précise en outre que 88 % des bénéficiaires de l’APA dans sa circonscription sont des personnes âgées de 75 ans et plus, contre une moyenne de 82 ans au niveau national parmi lesquels 72 % de femmes. « Qui peut imaginer des hordes de personnes âgées en perte d’autonomie se précipiter sur des bateaux de fortune, traverser la Méditerranée pour bénéficier de l’APA ? C’est l’illustration d’un texte qui s’appuie sur des préjugés racistes et xénophobes ».
Éric Ciotti dénonce « une sédition » de « roitelets »
« C’est très sympathique de mettre la main sur le cœur, de dire : je vais m’opposer. Mais il y a une démocratie […] Il est bon que tout le monde respecte les décisions de la souveraineté populaire, en particulier les élus », a réagi sur Cnews, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, en rappelant que « la loi s’impose à tous, surtout quand on est élu par le peuple français ».
Sur France Inter, le patron des Républicains, Éric Ciotti a également vertement rappelé à l’ordre les élus locaux. « On est dans une République bananière. Il y aurait des petits roitelets locaux qui décideraient de ne plus appliquer les lois de la République. C’est de la sédition. Ces personnes se mettent hors des lois de la République ».
Le contre-exemple Wauquiez
Stéphane Troussel estime ne pas avoir de leçons à recevoir de la part d’un président d’une formation politique dont font partie « au moins cinq présidents de départements qui se mettent hors la loi en ne prenant plus en charge les mineurs non accompagnés ». « Éric Ciotti est contaminé par les idées d’extrême droite et devrait se souvenir que les électeurs préfèrent toujours l’original à la copie », rétorque-t-il.
Récemment, le président LR de la région Auvergne Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez a lui-même annoncé qu’il n’appliquerait pas un texte législatif. Il s’agit de la loi Climat et résilience qui comporte l’objectif contraignant « zéro artificialisation nette » (ZAN) imposant aux collectivités de réduire de moitié, d’ici à 2031, la consommation d’espaces naturels et agricoles par rapport à la décennie précédente.
« Ce n’est pas la même chose. C’est une capacité d’adaptation qui est dans les mains des régions. Là, on est dans une loi de la République qui s’applique à tout le monde », estime Éric Ciotti.
« Si, c’est la même chose. C’est un désaccord entre le niveau décentralisé et étatique », souligne Géraldine Chavrier, professeure agrégée de droit public à l’université Paris-1-Panthéon-Sorbonne. « La seule différence, c’est que la délibération que prendrait la région Auvergne Rhône-Alpes ne violerait pas frontalement la loi puisque l’objectif ZAN s’appuie sur un équilibre entre plusieurs collectivités. Le contentieux serait plus complexe et plus long ».
Que risquent les départements frondeurs ?
Stéphane Troussel précise que si la nouvelle restriction de l’allocation autonomie est appliquée son département adopterait une délibération en faveur « d’une prestation volontariste extralégale pour les étrangers en situation régulière ». « Au titre de l’article 72 de la Constitution sur la libre administration des collectivités territoriales, je ferai tout pour mettre en œuvre un bouclier républicain ».
Pas si simple pour Géraldine Chavirer. « Si les départements disposent d’une compétence d’action sociale, c’est l’Etat qui fixe les conditions d’attribution des prestations. Les départements doivent appliquer la loi. Dans un premier temps, le préfet enverrait une lettre d’observation au département pour lui demander d’abroger la délibération. En cas de refus, il saisirait le tribunal administratif qui annulerait la délibération ».
A la mi-journée, le président (UDI) de Départements de France, François Sauvadet a sonné le rappel à l’ordre en affirmant dans un communiqué de presse que la loi immigration devra être « appliquée dans un strict respect des institutions républicaines ». il souligne au passage que le Conseil constitutionnel «n’a pas encore rendu sa décision », par conséquent « nous ne pouvons connaître, à l’heure qu’il est, la teneur de la loi immigration qui sera promulguée ».
Le conditionnement du versement de l’APA pourrait, en effet, être censuré par le Conseil constitutionnel au titre d’une rupture d’égalité.