Issu de la loi climat et résilience, adoptée par le Parlement en 2021, le principe du « zéro artificialisation nette » (ZAN) suscite des difficultés de mise en œuvre pour les collectivités territoriales. Le ZAN vise la réduction des sols artificialisés, c’est-à-dire les surfaces agricoles, naturelles ou forestières qui ont été construites. La loi Climat - résilience pose deux principes majeurs : réduire de 50 % l’artificialisation des sols par rapport au niveau de la décennie 2011-2021 pour la décennie 2021-2031 et, à l’horizon 2050, l’absence de nouvelles artificialisations non compensées. A cette échéance, chaque nouveau sol artificialisé devra être compensé par une « renaturation » d’un autre sol.
Les dispositions touchent directement les collectivités territoriales dans l’exercice de leurs compétences en matière d’urbanisme. Un décret du 29 avril 2022, établissant une nomenclature des sols considérés comme artificialisés ou non, a attisé la grogne des élus locaux. En cause, l’inscription dans la nomenclature des « surfaces végétalisées herbacées à usage résidentiel, de production secondaire ou tertiaire, ou d’infrastructures » dans la catégorie des surfaces artificialisées. Sans remettre en cause le principe du ZAN, les difficultés des collectivités territoriales à mettre en œuvre les objectifs du ZAN entrent en résonance avec les priorités des élus du Palais du Luxembourg. Pour répondre à ces difficultés, une commission spéciale transpartisane a soumis une proposition de lois aux sénateurs. Pourtant, les débats d’hier ne laissent pas forcément présager une simplification de la mise en œuvre des objectifs du ZAN.
Amélioration ou détricotage ?
Si l’objectif de la proposition de loi portée par Valérie Létard (Union centriste) et Jean-Baptiste Blanc, rapporteur du texte, (Les Républicains) est de simplifier la mise en œuvre du ZAN, l’efficacité de ce nouveau texte ne fait pas l’unanimité dans l’hémicycle. L’équilibre entre le développement territorial et le respect des principes du ZAN paraît presque illusoire. L’article 9, dresse une liste de surfaces considérées comme non artificialisées. Parmi celles-ci, les surfaces à « usage résidentiel, de loisirs, ou d’infrastructures de transport dont les sols sont couverts par une végétation herbacée ». La rédaction de l’article 9 est considérée comme un recul par rapport à la loi Climat - résilience dans la mesure où il ne permet pas de limiter l’étalement urbain.
L’examen d’un amendement du groupe Union centriste, ajoutant les terres à usage agricole dans la liste de l’article 9, a mis le feu aux poudres. « Cet article 9 est grave et dépasse la ligne rouge : tous ceux qui sont attachés à la lutte contre l’étalement urbain ne peuvent le comprendre », lance le ministre de la transition écologique Christophe Béchu. L’amendement implique de considérer les infrastructures agricoles comme des surfaces non artificialisées
Le sénateur écologiste de Loire-Atlantique, Ronan Dantec avertit également sur les conséquences du vote de l’article 9 : « après 2030, avec une telle nomenclature, dans un lotissement, nous ne compterons que l’emprise de la maison et de la voirie… Voyez les effets de bord : les entreprises conserveront des potentiels constructifs en plantant du gazon ». La nomenclature discutée actuellement s’appliquera à partir de 2030. Assez rare pour être souligné, le gouvernement a également défendu la position écologiste. « Si l’article 9 est adopté tel quel, ce n’est plus la surface du terrain qui comptera, mais celle de la construction sur le terrain. Aujourd’hui, nous comptons 10 000 m² pour huit maisons de 100 m² ; demain, ce serait 800 m²”, regrette Christophe Béchu, conscient de l’incompatibilité de cette disposition avec les objectifs du ZAN. Conçu comme une loi d’amélioration, Ronan Dantec note cependant « l’existence de deux lois, l’une d’amélioration, et une autre de remise en cause du ZAN ».
Une mise en œuvre différenciée
La proposition de loi cherche néanmoins des solutions pour faciliter la mise en œuvre des objectifs du ZAN. Un certain nombre de dispositions créées des exceptions pour les communes de montagne ou sur le littoral où la mise en œuvre des objectifs du ZAN peut se révéler périlleuse.
La proposition de loi retient une surface minimale pouvant être artificialisée d’un hectare par commune, sans considération de la surface totale de la commune. Le gouvernement appuie l’idée d’une garantie à hauteur de 1 % de la surface communale. « Globalement, il y a cette idée qu’un hectare vaut 1 % et cela va probablement rester », regrette Ronan Dantec. En retenant, une surface plutôt qu’un volume, cette disposition interroge l’effectivité du ZAN et la diminution réelle du rythme d’artificialisation des surfaces. « Certaines régions ont intériorisé la transition écologique et la différenciation, d’autres non. Nous avons donc tous été saisis par des petites communes se sentant perdantes. C’est pour les raccrocher au ZAN, sans déroger ni détricoter, que nous avons proposé le droit à l’hectare, compris, accepté et, désormais, souhaité par les élus », soutient Jean-Baptiste Blanc. Une façon pour les sénateurs de la droite et du centre de redonner un pouvoir de décision aux élus locaux alors même que 50 % d’entre eux pensent que les normes les plus complexes et difficiles à mettre en œuvre sont celles du droit de l’urbanisme.
« Ils n’ont pas réussi à choisir entre un texte d’amélioration et un texte politique »
L’amélioration de la loi Climat-résilience vire au « détricotage », selon Ronan Dantec. Sans remettre en question la nécessité d’adapter les dispositions en fonction des situations spécifiques de certaines communes, la question du décompte des zones artificialisées est centrale. « Le droit à l’artificialisation doit être compté régionalement, le point clef est de savoir à quelle échelle on fait le décompte », souligne Ronan Dantec. Pour Valérie Létard, la proposition de loi permet de donner un avenir concret aux objectifs du ZAN « Les fondamentaux - compté à part, droit à l’hectare - sont clairement posés. Faisons atterrir la loi Climat dans tous nos territoires ».
Actuellement le décompte se fait à l’échelle de la commune, mais si l’on fait l’addition des diverses dérogations les objectifs du ZAN ne seront pas respectés à l’échelle du territoire national ou régional. A fortiori avec l’exclusion des grands projets nationaux lancés par l’Etat dont la surface artificialisée ne sera pas prise en compte dans le calcul des surfaces artificialisées sur le territoire d’une commune. Pour ces raisons, le groupe écologiste plaide pour un calcul au niveau régional permettant ainsi de respecter les objectifs du ZAN.
Assez pour penser que ce texte de simplification complexifie la situation ? « Ils n’ont pas réussi à choisir entre un texte d’amélioration et un texte politique, à 6 mois des sénatoriales, ils voulaient en faire un texte de posture », affirme Ronan Dantec. La majorité sénatoriale conteste fermement le point de vue du gouvernement et du groupe écologiste, assurant vouloir, avant tout, redonner de la liberté aux élus. « Les maires partagent l’ambition d’une plus grande sobriété foncière. En créant un droit à l’hectare, en comptant à part certains projets, nous envoyons un signal d’espoir aux élus locaux. », explique Sophie Primas (LR). Néanmoins, la possibilité d’une entente sur le texte entre les deux chambres paraît extrêmement compliquée.