Mamoudzou :   Francois Bayrou at the Mayotte departmental council

Vers une nouvelle réforme du droit du sol à Mayotte : « Si l’on ne s’occupe pas de ça, nous ne pourrons pas reconstruire l’archipel »

Dans une tribune publiée ce week-end, trois ministres du gouvernement de François Bayrou s’engagent à présenter des mesures de lutte contre l’immigration illégale à Mayotte, dans la foulée du projet de loi spécial attendu pour la reconstruction de l’archipel. Co-auteur d’un rapport sénatorial sur l’insécurité dans l’île, le sénateur Les Indépendants Alain Marc évoque auprès de Public Sénat la nécessité d’adapter la Constitution au contexte local.
Romain David

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Deux projets de loi pour Mayotte. En plus du projet de loi spécial qui doit être présenté mi-janvier pour accélérer la reconstruction de l’archipel, durement frappé par le cyclone Chido le 14 décembre, un second texte pourrait voir le jour, portant plus spécifiquement des mesures de lutte contre l’immigration illégale. C’est en ce sens que trois ministres du gouvernement Bayrou prennent la plume dans les colonnes du Figaro, appelant à « rétablir très vite les capacités de lutte contre l’immigration clandestine mais aussi à accroître significativement [les] moyens d’action » sur ce petit territoire du sud de l’océan Indien.

« Sans fermeté migratoire, nous reconstruirons Mayotte sur du sable », alertent Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, ministre des Outre-mer et Sébastien Lecornu, ministre des Armées. « Au-delà de l’urgence, nous devons traiter les causes du désordre migratoire dans l’archipel. Pour cela, des mesures législatives sont nécessaires : pour changer les choses à Mayotte, changeons les règles en vigueur », écrivent les trois ministres. Parmi les mesures qu’ils proposent : une nouvelle adaptation du droit du sol dans l’archipel, avec un allongement de la durée de résidence des parents étrangers pour que leurs enfants, nés sur l’île, accèdent à la nationalité française ; un renforcement de la lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité ou encore l’élargissement de l’aide proposée aux ressortissants étrangers pour un retour volontaire dans leur pays d’origine.

La visite de Marine Le Pen

Cette tribune emboîte le pas aux propos tenus par le chef du gouvernement, François Bayrou, lors de son déplacement dans l’archipel fin décembre. « Quiconque prétendrait qu’il n’y a pas un problème d’immigration brûlant à Mayotte serait irresponsable », a déclaré le Palois, rappelant qu’il avait lui-même réclamé, durant la campagne présidentielle de 2007, la suppression du droit du sol à Mayotte et en Guyane. C’est aussi une manière pour l’exécutif de tenter de couper l’herbe sous le pied à Marine Le Pen. La députée du Pas-de-Calais est arrivée à Mayotte dimanche pour une visite de deux jours. « Sans régler le problème de l’immigration clandestine, rien ne sera utile », a averti la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, dont les 124 élus peuvent faire aisément pression sur un gouvernement privé de majorité large.

Il faut dire que la reconstruction de l’archipel se double aussi d’un enjeu politique. Marine Le Pen a récolté 59,1 % des suffrages au second tour de la présidentielle de 2022 à Mayotte. Le parti à la flamme a réussi à y faire élire une députée à la faveur des législatives anticipées. « Vous avez vu les résultats électoraux ? Sans réponses efficaces vis-à-vis de l’immigration illégale issue des Comores, nous n’arriverons à rien. La dimension politique rejoint l’intérêt de la population. Si l’on ne s’occupe pas de ça, nous ne pourrons pas reconstruire l’archipel », estime auprès de Public Sénat le sénateur Les Indépendants Alain Marc, co-auteur d’un rapport présenté en 2021 sur l’insécurité à Mayotte.

Un droit du sol déjà restreint

Entre 100 000 et 200 000 personnes sur les 320 000 habitants que compte l’archipel seraient en situation irrégulière. « Chaque nuit, il part des canots surchargés qui viennent grossir les rangs des ressortissants illégaux. Aujourd’hui, nous ne sommes même pas en mesure de les comptabiliser », pointe Alain Marc. Le droit du sol a déjà été adapté à Mayotte. Depuis la loi du 10 septembre 2018, un enfant né de parents étrangers ne peut acquérir la nationalité française à ses 18 ans que si l’un de ses deux parents résidait en France de manière régulière et ininterrompue trois mois avant sa naissance. Cette dérogation a été validée par le Conseil constitutionnel au titre de l’article 73 de la Constitution qui permet d’adapter la loi aux « caractéristiques et contraintes particulières des collectivités d’Outre-mer ».

Les divisions du gouvernement

Mais l’idée d’une nouvelle restriction ne fait pas l’unanimité au sein du gouvernement. « Bien sûr il y a un enjeu sur l’immigration irrégulière, mais ça n’est pas pour moi la bonne voie, il y a d’autres mesures qui peuvent être prises », a commenté l’ancienne Première ministre, Élisabeth Borne, désormais en charge de l’Education, au micro de BFMTV dimanche. Réponse du nouveau garde des Sceaux, Gérald Darmanin, ce lundi sur RTL : « C’est évidemment la bonne voie, et je l’ai demandé il y a quasiment un an », a-t-il rappelé.

« Il y avait beaucoup de gens dans le gouvernement ou en dehors du gouvernement qui le critiquaient à l’époque, ou qui n’ont pas voulu le pousser au Parlement. Je constate à présent qu’il y a beaucoup de convertis sur cette question du droit du sol », a voulu souligner Gérald Darmanin. Une référence au changement de position de Manuel Valls, l’un des signataires de la tribune, qui affirmait pourtant en février dernier que réformer le droit du sol à Mayotte « ouvrirait une boîte de Pandore extrêmement dangereuse ».

« Il faut revenir sur le droit du sol à Mayotte et en Guyane. Ce n’est pas possible de continuer à avoir plus de 60-70 % de parents non-français qui donnent naissance à Mayotte », a encore affirmé Gérald Darmanin ce lundi matin.

La possibilité d’une révision constitutionnelle

En février dernier, l’ancien locataire de la Place Beauvau avait promis de supprimer le droit du sol dans l’archipel, mesure nécessitant une révision constitutionnelle. « Il ne serait plus possible de venir à Mayotte de façon régulière ou irrégulière, de mettre un enfant au monde ici et d’espérer devenir français de cette façon », avait-il expliqué à l’occasion d’un déplacement dans l’île. Fin mai, une première version du texte a été présentée par Emmanuel Macron aux élus mahorais, mais la dissolution a empêché sa présentation en Conseil des ministres.

« Le cyclone met l’Etat et le gouvernement devant leurs responsabilités. Il faudra toucher à la Constitution pour pouvoir s’adapter aux spécificités de la crise qui frappe Mayotte », estime le sénateur Alain Marc. « Toucher au droit du sol est une nécessité si l’on souhaite mettre fin à l’attractivité de l’île par rapport aux autres territoires africains de la région. Mayotte est devenue un aspirateur à migrants par les prestations sociales ouvertes lorsque l’on devient français », explique-t-il.

La tribune des ministres insiste également sur la nécessité de travailler sur des accords de réadmission avec les pays voisins. « Notre objectif doit être de réduire les pompes aspirantes et d’augmenter les éloignements de clandestins, de 25 000 aujourd’hui, à 35 000 demain. » Bruno Retailleau, maintenu au ministère de l’Intérieur par François Bayrou, avait fait des accords internationaux l’un des principaux axes de sa politique de lutte contre l’immigration illégale. « Il y a un sujet sur les Comores, et nous devons nous assurer qu’en échange de l’aide que nous leur versons, leurs engagements en matière migratoire soient tenus ».

Pourtant, le rapport sénatorial de 2021 estimait qu’il n’était « pas utile » de conditionner l’octroi de l’aide au développement aux actions de lutte contre les migrations. Au risque de « nuire à la souplesse inhérente aux relations diplomatiques, ce qui pourrait aboutir à une réduction de la marge de manœuvre française en la matière. »

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