L’Assemblée nationale a mis fin samedi 23 juillet à une taxe qui existait depuis 89 ans. Les députés de la majorité, avec l’appui des élus LR et RN, ont acté la suppression de la contribution à l’audiovisuel public (CAP), soit 138 euros dont s’acquittaient chaque année les Français munis d’un téléviseur (88 euros en Outre-mer). Les députés de gauche, en revanche, s’y sont opposés, invoquant un risque pour l’indépendance des médias du service public.
En outre, un amendement de la majorité a été adopté afin d’affecter une part de la TVA au financement de l’audiovisuel public. Cet ajout vise à rassurer le secteur en compensant les 3,7 milliards de recettes qui vont disparaître avec la fin de la redevance télé. Il répond également aux inquiétudes de l’Inspection générale des finances et de l’inspection générale des affaires culturelles qui, dans un rapport commandé sous Jean Castex et rendu mi-juillet, alertaient le gouvernement sur le risque de censure par le Conseil constitutionnel sans mécanisme de financement compensatoire. Côté Sénat, où le projet de loi de finances rectificative (PLFR) qui porte la suppression de la CAP sera examiné en commission des finances mercredi 27 juillet - avant une discussion en séance publique le 1er août -, on s’agace devant un « bricolage » de dernière minute, destiné selon les élus à sauver une promesse présidentielle de la casse.
« La majorité a dû improviser pour sortir de l’impasse »
« C’est un amendement bricolé à la dernière minute, qui est tout sauf pérenne, et qui vient grever le budget de l’Etat », commente auprès de Public Sénat le sénateur socialiste de Paris, David Assouline, en pointe sur les médias. Même exaspération dans la voix du sénateur Jean-François Husson, le rapporteur LR du PLFR : « On se retrouve dans une situation inconfortable. C’est une copie bâclée au parfum d’inachevé, sur un sujet que l’on sait sensible en France », regrette-t-il. Cet élu reproche à l’exécutif de s’être engagé sur le chemin de la suppression sans avoir réfléchi à une solution pérenne de substitution, profitant de l’urgence autour de l’inflation pour glisser dans le paquet législatif sur le pouvoir d’achat des Français cet engagement de campagne, qui à un autre moment du calendrier aurait pu soulever des débats bien plus âpres. « Il est toujours mieux de préparer une réforme avant de céder à un effet d’annonce. Le gouvernement a dégoupillé, je ne dirais pas la grenade mais presque, et on a l’impression qu’une partie de la mesure lui échappe complètement. Il y a huit jours, l’exécutif n’avait pas encore de solution, la majorité a dû improviser pour sortir de l’impasse et garder la tête hors de l’eau. »
« L’impasse », c’est le rapport de l’Inspection générale des finances et des affaires culturelles qui l’a flairée : l’absence de financement autonome pourrait être perçue par le Conseil constitutionnel comme une menace pour l’indépendance des médias, que l’Etat est pourtant tenu de garantir selon l’article 34 de la Constitution. Le gouvernement s’était engagé, en marge de la campagne présidentielle, à compenser la suppression de la redevance, mais sans détailler de mécanisme spécifique. L’affection d’une partie de la TVA au financement de l’audiovisuel public, proposé comme roue de secours par les députés de la majorité ce week-end, fait partie des pistes évoquées dans le rapport cité plus haut pour rassurer les Sages de la rue Montpensier. Bien qu’on puisse considérer cette affectation comme une simple ligne budgétaire, plutôt que comme un financement véritablement autonome.
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Affecter une part de TVA à l’audiovisuel public, un dispositif qui ne pourra pas aller au-delà de 2025
Or, au Palais du Luxembourg, la mission de contrôle sénatoriale sur la suppression de la redevance audiovisuelle, pilotée par Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet, a déjà exploré cette hypothèse, finalement jugée peu viable au regard de la législation. En cause : la réforme de modernisation des finances publiques, adoptée en décembre dernier, et qui prévoit qu’à partir de 2025 toute affectation de taxe à une mission de service public doit être justifiée par un lien entre cette taxe et la mission financée. Ce qui n’est pas vraiment le cas entre la TVA, impôt indirect sur la consommation, et l’audiovisuel. « Nous allons donc avoir un problème », relève Jean-François Husson. « Le texte, tel que voté par l’Assemblée nationale, sera caduc au-delà de 2025, puisqu’il s’affranchit de la rigueur que l’Etat veut lui-même s’imposer en affectant une taxe à un objet qui ne concorde pas à la ressource fiscale. »
Autre inquiétude du côté de la Chambre haute : les recettes de la TVA, qui constitue la principale manne de l’Etat devant l’impôt sur le revenu, ne sont pas inépuisables, malgré les 92 milliards rapportés en 2021. Pour 2022, ce sont 53,7 milliards d’euros qui doivent être affectés à la sécurité sociale. « Aux dépens de qui sera prise la part réservée à l’Audiovisuel public ? De la Sécu ? », interroge le sénateur Hugonet. L’agacement de cet élu est d’autant plus palpable que la réforme de l’audiovisuel promise par le candidat Emmanuel Macron en 2017 ne s’est pas encore concrétisée. « Il a usé trois ministres de la Culture durant son premier quinquennat, et on n’a toujours rien vu », relève-t-il. « Ce que nous appelons de nos vœux, c’est une vaste réflexion sur l’audiovisuel public. Une trajectoire baissière sur le budget du service public ne serait pas possible actuellement, pas sans une réorganisation. »
Enfin, il y a la dimension symbolique : la redevance ne concernait que les foyers équipés, tandis qu’avec l’affectation d’une part de TVA, c’est l’ensemble des Français, à travers leurs achats du quotidien, qui vont participer au financement de l’audiovisuel public. Si le glissement est indolore pour le contribuable, puisqu’il n’y a pas de hausse, il ne passe pas complètement inaperçu dans les couloirs du Palais du Luxembourg : « On fait croire que l’on restitue de l’argent aux Français, alors qu’on leur prend d’une autre manière », relève David Assouline.
Quelles pistes pour remplacer la redevance ?
En l’état actuel, il y a donc peu de chance que l’article premier du PLFR, qui acte la fin de la redevance, passe l’étape de la commission sans avoir été réécrit par les sénateurs. « La majorité sénatoriale et la gauche seront peut-être d’accord pour rejeter ce que propose le gouvernement », glisse encore David Assouline. « De toute manière, si nous ne gagnons pas la bataille parlementaire, nous ferons un recours devant le Conseil constitutionnel sur la base de l’article 34. » Samedi, le député LFI Alexis Corbière a brandi la même menace à la tribune. Mais que mettre à la place ? « Cela dépendra de la manière dont l’ensemble des groupes examine cette question », répond, laconique, Jean-François Husson. Comprenez : si l’affectation d’une part de TVA rassemble largement contre elle au Sénat, les élus sont en revanche beaucoup plus divisés lorsqu’il s’agit de plancher sur d’autres options.
Vendredi 15 juillet, sénateurs et députés socialistes ont annoncé dans une tribune publiée par Libération le dépôt d’une proposition de loi pour « une contribution audiovisuelle, universelle et progressive ». « Il s’agit d’une contribution affectée, comme avant, sauf qu’elle s’appuie sur d’autres critères », explique David Assouline. Avec le barème choisi, les 8 millions de foyers les plus modestes ne payeraient rien, les 4 millions de la tranche suivante seulement 8 euros. Le plafond, pour les ménages les plus aisés, serait fixé à 220 euros. « C’est la somme que payent tous les contribuables en Allemagne », souligne encore le socialiste. Cette mesure, assure-t-il, se traduirait par une baisse de la redevance pour 85 % des foyers, « on conserve donc l’idée de pouvoir d’achat et de justice sociale ». Mais la droite y voit un dispositif qui vient alourdir l’impôt sur le revenu. « Je ne pense pas que les plus aisés soient les plus grands consommateurs d’audiovisuel public. La NUPES ne sait pas faire autrement que de créer des taxes », raille Jean-Raymond Hugonet.
Et pourtant, c’est aussi une nouvelle taxe que propose Olivier Marleix, le chef de file des députés LR. Ce lundi matin, sur France Inter, l’élu d’Eure-et-Loir a évoqué « une taxation de la publicité sur Internet ». Manière d’inclure dans le financement de l’audiovisuel la numérisation des pratiques. Un dispositif complexe et potentiellement explosif, selon David Assouline, qui rappelle que Nicolas Sarkozy avait voulu procéder de la même manière, en compensant la suppression de la publicité sur le service public par une taxe sur les opérateurs télécoms et Internet, aussi appelée « taxe Copé ». À l’époque, la Fédération française des télécoms s’était alors tournée vers la Commission européenne, qui avait jugé le dispositif contraire au droit européen, avant, finalement, d’être elle-même désavouée par la Cour européenne de justice.
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