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Une nouvelle loi sur la fin de vie : la gauche sénatoriale « prête à y travailler », la droite très réservée
Par Romain David
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Bientôt un nouveau texte. En marge de la remise des conclusions de la Convention citoyenne sur la fin de vie, Emmanuel Macron a indiqué attendre de son gouvernement la présentation d’un projet de loi sur ce sujet éminemment complexe d’ici le mois de septembre. « Je demande au gouvernement, en lien avec les parlementaires, désignés par le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale, de mener une œuvre de co-construction sur la base de cette référence solide qui est celle de la Convention citoyenne, et en lien avec toutes les parties prenantes. Je souhaite que ce travail permette de bâtir un projet de loi à la fin de l’été 2023 », a annoncé le chef de l’Etat depuis la salle des fêtes de l’Elysée.
184 citoyens tirés au sort ont rendu public dimanche 2 avril un rapport sur la fin de vie, qui appelle à des « changements profonds » de la législation en vigueur – la loi Claeys-Leonetti de 2016 - jugée inadaptée aux différentes situations rencontrées.
Vers l’élaboration « d’un modèle français de la fin de vie »
Ce document pointe l’absence de réponse satisfaisante face aux souffrances réfractaires à tout traitement. 76 % des membres de la Convention citoyenne se prononcent ainsi pour la mise en place d’une « aide active à mourir », une proposition qu’ils accompagnent de nombreuses réserves. Ils insistent notamment sur la nécessité de respecter la volonté du patient à chaque instant. À 40 %, ils estiment que celui-ci devrait avoir le choix entre « suicide assisté » et « euthanasie ». Pour 28 %, le suicide assisté doit primer, et l’euthanasie ne concerner que les situations exceptionnelles, notamment lorsque le malade n’a plus la capacité d’agir mais a laissé des directives anticipées. La Convention citoyenne, en revanche, ne se prononce pas sur l’ouverture de l’aide active à mourir pour les mineures ou chez les patients en manque de discernement.
Le chef de l’Etat a estimé que ces réflexions pouvaient servir d’appui pour « encadrer l’hypothèse d’un modèle français de la fin de vie ». Parmi les garde-fous posés : l’expression d’une volonté claire et réitérée de la part du patient, le caractère d’incurabilité de la maladie, la présence de souffrances réfractaires à tout traitement et l’engagement du pronostic vital ; enfin, la prohibition de l’aide à mourir pour mettre fin à une situation sociale.
Par ailleurs, Emmanuel Macron a également annoncé le lancement d’un « plan décennal national pour la prise en charge de la douleur et pour les soins palliatifs ». Le locataire de l’Elysée a promis en ce domaine « les investissements qui s’imposent. » En effet, le rapport de la Convention citoyenne alerte largement sur l’inégalité de l’accès aux soins palliatifs sur le territoire, ce qui complique la mise en application des dispositifs déjà existants, notamment la possibilité d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès. Selon un rapport du Sénat publié en 2021, 26 départements se trouvaient dépourvus d’unités de soins palliatifs, et seulement 30 % des patients en ayant besoin y avaient accès.
Pour la gauche, « des déclarations qui vont dans le bon sens »
La gauche sénatoriale a longuement travaillé sur le sujet. Elle s’était rangée en 2021 derrière une proposition de loi (PPL) visant à inscrire dans la loi le droit à l’aide active à mourir, portée par la sénatrice socialiste Marie-Pierre de la Gontrie. Mais cette dernière avait préféré retirer son texte après suppression, en séance, de l’article 1er, considérée comme « le cœur » de cette PPL. Il s’en était pourtant fallu de peu : 161 voix pour la suppression, essentiellement celles des Républicains, et 142 voix pour le maintien. « Enfin ! », soupire ce lundi, après l’intervention du chef de l’Etat, Marie-Pierre de la Gontrie. « Les sénateurs socialistes sont prêts ! Je pense que c’est un sujet sur lequel il faut raisonner de manière transpartisane », explique l’élue parisienne. « Enthousiaste certes, mais vigilante aussi », nuance-t-elle, invoquant les frustrations générées par la Convention citoyenne sur le climat. « J’espère que le discours du président n’apparaîtra pas, in fine, comme un enterrement de première classe. Ne gâchons pas cette occasion. Ce que je souhaite, c’est que l’on puisse aboutir à un texte ».
Trouver un consensus sur un sujet particulièrement complexe
« Constituer une convention, Monsieur le président, est un acte de confiance, à la condition naturellement d’apporter des réponses aux aspirations exprimées », a lancé au locataire de l’Elysée, ce lundi matin, comme un avertissement, Thierry Beaudet, le président du Conseil économique, social et environnemental qui a été chargé d’encadrer les travaux de la Convention citoyenne. Patrick Kanner, le chef de file des élus socialistes ne cache pas son scepticisme sur le principe de « co-construction » mis en avant par Emmanuel Macron. « Non, chacun à sa place », lâche-t-il auprès de Public Sénat. « Le Parlement n’a pas à co-construire. Le Parlement a à traiter d’un projet de loi du gouvernement. Après, qu’on soit consultés en amont, pas de problème. Mais il y a une séparation des pouvoirs dans ce pays, on n’est pas dans une auberge espagnole », s’agace le sénateur du Nord. Une manière aussi de renvoyer dans les clous un exécutif en mal de majorité absolue et qui s’interroge, depuis la crise politique et sociale déclenchée par la réforme des retraites, sur la manière d’avancer au Parlement. « Si on peut trouver une voie d’accord, tant mieux. Mais nous, notre réflexion est déjà abordée dans le cadre de la proposition de loi de Marie-Pierre de la Gontrie », balaye le Patrick Kanner.
« Nous avons un principe dans notre droit qui est en train de se développer, qui est le principe d’autonomie, et en la matière cette reconnaissance doit amener à modifier la loi pour reconnaître le droit à l’aide active à mourir », expliquait au micro de notre matinale, quelques heures avant le discours d’Emmanuel Macron, le sénateur de Paris (app. Socialiste) Bernard Jomier, médecin de profession. « Mais il y a un autre principe auquel je suis très attaché – et c’est pour cela que je n’ai pas voté la proposition de loi de ma collègue – c’est le respect de la profession médicale dans ses valeurs fondamentales. Et la valeur fondamentale du soin, c’est de ne pas administrer la mort. C’est la raison pour laquelle je suis favorable au modèle suisse, c’est-à-dire au suicide assisté (pris en charge par une association agrée, ndlr) et pas à l’euthanasie, où c’est le soignant qui administre la mort. » Il ajoute : « Je crois profondément qu’un consensus est possible si l’on conjugue ces deux principes, le libre choix et les valeurs des soignants. »
Comme nombre de ses collègues de droite, la sénatrice LR Marie Mercier, également médecin généraliste, ne souhaite pas la mise en place d’une aide active à mourir et continue de défendre la loi Claeys-Leonetti. « Donner la mort, c’est toucher à l’absolu. Doit-on vraiment y toucher, faire une loi généralisée pour quelques cas particuliers ? », interroge-t-elle. « En France, on peut déjà faire beaucoup de choses, à condition d’appliquer la législation. À mes yeux, faire en sorte que les soins palliatifs soient les mêmes pour tous et partout reste une première ligne de conduite. La première chose que demande la famille, c’est que les proches ne souffrent pas », soutient-elle. « Donner la mort plutôt que donner la main, ce serait un recul de civilisation. Les soignants ne réclament pas une nouvelle loi mais de nouveaux moyens pour l’accès de tous aux soins palliatifs », a tweeté Bruno Retailleau, le président du groupe LR au Sénat.
« La co-construction, le président Gérard Larcher n’aime pas trop ça »
À droite, la méthode esquissée par le chef de l’Etat laisse également pantois. On sait les sénateurs LR plutôt critiques sur les conventions citoyennes, et notamment le principe de tirage au sort. « Le tirage au sort, par la main du hasard, garantit une neutralité, mais il ne signifie pas une absence d’engagement ou une forme de passivité. Il donne une légitimité à une convention définie par un texte organique », a voulu plaider Emmanuel Macron ce lundi. « Je ne suis pas convaincue », avoue Marie Mercier. « Les participants de la Convention citoyenne sur le climat ont été trompés, c’en était presque cynique. Par ailleurs, ce n’est pas parce que l’on fait travailler des citoyens que cela exonère de consulter les professionnels et les parlementaires. Que l’on fasse réfléchir 184 personnes tirées au sort sur l’avenir de 65 millions de Français me laisse dubitative. »
Face à la co-construction mise en avant par Emmanuel Macron, Marie Mercier s’inquiète d’un brouillage pernicieux du processus législatif : « La loi à deux origines, les projets de loi (PJL) issus du gouvernement, et les propositions de loi (PPL) à l’initiative des parlementaires », rappelle celle qui siège au sein de la commission des lois. « Là, Emmanuel Macron nous fait du ‘en même temps’. Il veut un projet de loi, mais élaboré avec les parlementaires. Je rappelle que le droit d’amendement nous permet d’enrichir et de modifier les textes du gouvernement. Il faut arrêter avec ce mélange des genres qui apporte du flou et de la confusion. »
« La co-construction, le président Gérard Larcher n’aime pas trop ça », confie Catherine Deroche, la présidente LR de la commission sénatoriale des affaires sociales. « Il estime que cela lie un peu trop les parlementaires à l’exécutif par rapport à leur liberté d’appréciation et de vote. Je pense que le mieux, c’est que le gouvernement prenne ses responsabilités et présente son propre projet de loi. Ensuite, nous verrons. »
Le Sénat planche sur un nouveau rapport
D’autant que l’exécutif pourra s’appuyer sur un nouveau rapport sénatorial ; en parallèle des travaux de la Convention citoyenne, la commission des affaires sociales du Sénat a lancé cet automne un cycle d’auditions sur la fin de vie. Ses conclusions sont attendues avant l’été.
Les élus ont notamment interrogé Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique, plusieurs chercheurs, et souhaiteraient encore entendre l’Ordre des médecins et la ministre Agnès Firmin-Le Bodo, en charge du dossier sur la fin de vie. Les sénateurs se sont également rendus en Belgique, où les médecins peuvent pratiquer l’euthanasie depuis 2002, et devraient prochainement se déplacer en Suisse. « Nous ferons des recommandations, mais je ne pense pas que l’on aille sur une proposition de loi », glisse la sénatrice socialiste Michelle Meunier, co-auteure du rapport de 2021 sur l’accès aux soins palliatifs.
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