Qui sera la première force d’opposition dans la nouvelle Assemblée ? Il y a visiblement une ambiguïté que le leader de la France Insoumise a tenté d’éteindre ce lundi. Certes 137 députés ont été élus sous la bannière Nupes mais seulement 72 LFI, loin derrière la percée historique du Rassemblement National qui porte au palais Bourbon, 89 députés. Devant la presse, ce lundi, Jean-Luc Mélenchon a bien dû convenir que les résultats aux législatives « étaient décevants ».
« La Nupes devrait se constituer comme un seul et unique groupe. De manière à ce qu’aucune discussion possible, il soit établi qui mène l’opposition dans le pays », a-t-il. « C’est un élément de clarification qui s’impose dans le chaos qui s’annonce », a-t-il insisté.
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Les réponses de ses partenaires n’ont pas tardé. PS, EELV et PCF ont immédiatement fait savoir qu’ils refusaient la proposition. Sur Twitter, la présidente sortante du groupe socialiste, Valérie Rabault s’y est immédiatement opposée. « La gauche est plurielle, elle est représentée dans sa diversité à l’Assemblée Nationale. C’est une force au service du peuple français. Vouloir supprimer cette diversité est une erreur », argumente-t-elle.
« On peut s’additionner dans l’opposition sans aucun problème »
« Ça ne correspond pas à ce qui était prévu au départ. C’est-à-dire un groupe autonome dans une force d’opposition. On peut s’additionner dans l’opposition sans aucun problème », estime le sénateur communiste du Nord, Éric Bocquet.
Même argument du côté de Pierre Jouvet, porte-parole du PS. « Il n’a jamais été question d’un groupe unique. Il y aura un groupe socialiste à l’Assemblée nationale, a déclaré l’un des négociateurs de l’accord avec LFI. « Pas question de se fondre dans un groupe unique », a également réagi, le porte-parole d’EELV Alain Coulombel.
Pour mémoire, l’accord originel entre les formations politiques était de constituer un intergroupe, Nupes. Avec 12 députés communistes, 23 écologistes, 26 socialistes et 72 LFI, tous ont la possibilité de constituer un groupe. Même les communistes peuvent atteindre le seuil de 15 députés nécessaire grâce à l’appui de certains élus ultramarins.
« Je n’ai pas proposé la dissolution des partis mais la formation d’un groupe parlementaire commun. Chacun pourra bien sûr constituer une délégation distincte à l’Assemblée nationale comme nous le faisons déjà chacun au Parlement européen », a précisé sur Twitter, Jean-Luc Mélenchon.
« Du pour et du contre » au groupe unique
Le patron du groupe écologiste du Sénat, Guillaume Gontard a une opinion moins tranchée sur la proposition des Insoumis. « Il y a du pour et du contre. L’avantage d’un groupe unique c’est qu’il envoie un signal fort aux électeurs Nous sommes dans une période historique et on attend de la responsabilité de la part des élus de la Nupes. L’inconvénient, c’est le risque d’une dissolution de certaines sensibilités. Il y a aussi des inconvénients techniques en termes de temps de parole et de commission… On voit au Sénat l’avantage qu’il y a d’avoir plusieurs groupes à gauche ».
Les groupes d’oppositions et minoritaires bénéficient effectivement d’avantages. En premier lieu, ils disposent d’une dotation financière pour leur fonctionnement. Elle est allouée par l’Assemblée nationale en fonction du nombre de leurs effectifs. Réunis en Conférence des présidents, ils participent à l’établissement de l’ordre du jour de l’Assemblée. Une fois par session ordinaire, ils ont, de droit, la possibilité de créer une commission d’enquête ou une mission d’information. Les groupes politiques peuvent également procédé à une suspension de séance ou encore faire procéder à un vote par scrutin public.
Mais avec un groupe unique, la Nupes serait de loin le premier parti d’opposition et pourrait notamment prétendre à prendre la tête de la commission des finances qui revient traditionnellement, depuis 2007, au groupe d’opposition le plus important.
« On ne peut pas résumer la vie parlementaire à la présidence de la commission des finances
« Ce serait une erreur de vouloir faire disparaître notre identité en raison de la force du groupe RN. On ne peut pas résumer la vie parlementaire à la présidence de la commission des finances. En l’état actuel des choses, rien ne dit que la présidence de cette commission reviendrait au RN. Il devrait y avoir un barrage républicain. Mais Emmanuel Macron l’a fait sauter lors du deuxième tour des législatives », note le sénateur PS de Paris, Rémi Féraud.
« On ne peut pas passer de la lutte des classes à la lutte des postes »
« Je n’ai pas proposé la dissolution des partis mais la formation d’un groupe parlementaire commun. Chacun pourra bien sûr constituer une délégation distincte à l’Assemblée nationale comme nous le faisons déjà chacun au Parlement européen », a précisé sur Twitter, Jean-Luc Mélenchon.
Le patron du groupe socialiste du Sénat, Patrick Kanner estime que la déclaration improvisée de Jean-Luc Mélenchon « décrédibilise » un mouvement qui a porté 140 élus à l’Assemblée. Sur la forme, c’est inacceptable, on ne change pas les règles en cours de jeu. On ne peut pas passer de la lutte des classes à la lutte des postes. Parce que sa proposition revient ni plus ni moins pour les trois autres partis à se faire hara-kiri. Il ne peut y avoir quatre coprésidents. D’un point de vue parlementaire, ça ne tient pas ».
Contacté par Public Sénat quelques heures avant l’annonce surprise de Jean-Luc Mélenchon, Jean Numa Ducange, professeur d’Histoire contemporaine à l’Université de Rouen, spécialiste de la gauche, insistait sur le manque d’expérience de la France Insoumise. « Le PS et les communistes ont une tradition d’alliance, notamment au sein des municipalités qu’ils ont dirigé. LFI n’a pas cette expérience. C’est toujours difficile de gérer autant de députés pour les formations qui ne sont pas structurées. On l’a vu lors de la précédente mandature avec les députés, élus sous la bannière LREM, devenus électrons libres, par la suite ».