Le bilan annuel de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) permet chaque année de donner une idée de l’état de la transparence dans le pays. Si les choses se sont améliorées depuis la création, en 2013, de l’autorité présidée par Didier Migaud, tout n’est pas encore parfait. Pour rappel, la HATVP contrôle les déclarations de patrimoine et d’intérêt des parlementaires et élus locaux notamment, les mobilités entre le public et le privé, et les représentants d’intérêts.
Après un record de plus de 17.000 déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts en 2020, on compte 15.574 déclarations, selon le rapport de l’année 2021, présenté ce mercredi par Didier Migaud. 1.550 ont conduit à des mesures de prévention d’un conflit d’intérêts et 55 dossiers ont été transmis à la justice pour non dépôt de déclarations.
« Dans l’ensemble, les responsables publics respectent leurs obligations »
Sur les 3.150 qui ont fait l’objet d’un contrôle approfondi, plus de la moitié (56,2 %) a eu « des lacunes » mais le plus souvent « mineurs », selon Didier Migaud. 11 dossiers ont été transmis à la justice, « dont 8 pour prise illégale d’intérêt ». Soit un total de 66 cas. C’est plus qu’en 2019, où seuls 23 dossiers avaient été transmis, mais sur trois fois mois de déclarations reçues (5.360). C’est donc stable. « C’est une faible proportion, mais c’est encore trop », note le président de l’autorité.
Sur ce total de 66 dossiers transmis à la justice, il n’y a « pas de parlementaire en exercice en défaut de déclaration », précise le président de la HATVP, ni « de grands élus ». Seul un cas d’un ex-député de Guyane a été transmis au parquet, celui de Gabriel Serville, encore président de l’Assemblée de Guyane. « Dans l’ensemble, les responsables publics respectent leurs obligations », insiste Didier Migaud, avec un « réflexe déontologique » plus fort « que par le passé ».
58 avis sur des reconversions de conseillers ministériels
Pour l’année 2022, Didier Migaud donne des chiffres sur les « reconversions » vers le privé, importante ces dernières semaines, avec le changement de gouvernement. 86 avis ont été rendus, dont 58 pour des conseillers ministériels. « 5 avis ont été émis sur 3 membres du gouvernement », dont l’ex-ministre des Transports Jean-Baptiste Djebbari, qui a lui seul, a demandé trois avis. On ne connaît pas le nom des deux autres ministres.
Comme on le sait, un avis d’incompatibilité a été donné sur le projet de Jean-Baptiste Djebbari de devenir vice-président exécutif, en charge du pôle spatial, de l’armateur CMA-CGM. Il a en revanche obtenu le feu vert pour siéger au conseil d’administration d’Hopium, une start-up spécialisée dans la construction de véhicules à hydrogène. Autre exemple rendu public par la HATVP, celui d’Alice Lefort, ex-conseillère transports de l’Elysée et Matignon, embauchée chez le groupe de transports Transdev… La HATVP a malgré tout donné son accord, mais avec un avis de réserve dans son cas.
Sur l’ensemble de ces reconversions, Didier Migaud annonce « 15 % de comptabilités, 78 % de compatibilités avec réserve et 7 % d’incompatibilités ». Interrogé, le président de la HATVP limite pour le coup sa transparence ici, et ne veut pas donner vraiment plus de détails sur ces cas d’incompatibilité. Il évoque seulement celui « d’un conseiller chargé de l’ensemble d’un secteur qui voulait rejoindre une grande entreprise, comme responsable des affaires publiques », autrement dit du lobbying… Un cas totalement « incompatible ». Didier Migaud évoque aussi un cas « dans le secteur de la santé ». On sait qu’en mars 2021, l’ex-conseiller sécurité sanitaire d’Olivier Véran, Grégory Emery, devait rejoindre le groupe privé européen gestionnaire d’Ehpad, Korian, comme directeur des affaires publiques, avait raconté le Canard Enchaîné. La HATVP s’y est opposée. C’était bien tenté, mais un peu gros…
Répertoire des représentants d’intérêt : « Il est possible dans certaines circonstances de contourner complètement la loi », dénonce Didier Migaud
Concernant les représentants d’intérêt, soit le lobbying, Didier Migaud relève ici un vrai problème. On compte 2.391 entités inscrites au répertoire, qui sera élargi aux élus locaux au 1er juillet 2022. Il permet par exemple de savoir si un lobbyiste rencontre un parlementaire ou un cabinet. « Mais il est possible dans certaines circonstances de contourner complètement la loi », pointe le président de la HATVP, qui « ne comprend pas qu’un dispositif réglementaire permette de contourner la loi »… La faute au décret d’application de la loi Sapin 2.
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« Un critère d’initiative », de la part du lobbyiste, ainsi que la nécessité d’avoir « 10 actions de personnes physiques », précise Didier Migaud, limite la portée du décret en question. Autrement dit, des lobbyistes passent sous les radars. Par ailleurs, « les « gros » ont très peu d’actions à déclarer, car ils sont invités systématiquement ». Résultat, on arrive à « un paradoxe, où une entreprise comme Dassault déclare très peu » d’interventions, illustre le responsable de la HATVP. Il souligne qu’« au niveau de l’Union européenne, c’est beaucoup plus simple, on ne peut pas rencontrer (de parlementaires) si on n’est pas inscrit ».
Trois ans pour obtenir une réunion sur le lobbying avec Bercy
Didier Migaud, au verbe généralement policé, ne cache pas ici son mécontentement. « Sur les représentants d’intérêts, on est très en retard. On a bien progressé avec la loi Sapin 2, mais ce n’est pas parfait », lance-t-il. Il ajoute :
Une partie de la haute administration fait un peu de blocage. Sur la définition du représentant d’intérêts, il y a un vrai blocage.
L’ancien socialiste explique avoir « demandé une réunion à Bercy, au secrétaire général du gouvernement. Ils ont fini par accepter ». Précision, qui donne une idée de la volonté de freiner, pour ne pas dire bloquer, toute évolution : « On a mis deux/trois ans à obtenir cette réunion »… Mais Didier Migaud n’entend pas lâcher.
Didier Migaud demande de « doter l’autorité d’un pouvoir propre de sanction »
Au passage, il met sur la table quelques propositions pour renforcer les prérogatives de la HATVP : « Doter l’autorité d’un pouvoir propre de sanction administrative, en cas de non dépôt », afin d’être plus efficace et rapide ; « élargir le contrôle aux maires d’arrondissements » de Paris, Lyon, Marseille, et « aux adjoints des grandes communes ».
Autre idée : il serait « utile » de créer un contrôle des mobilités vers le secteur privé des « dirigeants de la Caisse des dépôts et consignation, la BPI, La Poste, Solidéo (Société de livraison des ouvrages olympiques) ou l’UGAP (Union des groupements d’achats publics) ». Didier Migaud relève qu’il « serait important que la sortie de ces responsables », qui ont travaillé avec des entreprises privées, « ne soit pas passible d’une prise illégale d’intérêt ». La transparence et la probité ont encore quelques progrès à faire.