La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
TikTok : « Un outil de propagande massive », pour Nathalie Loiseau
Par Simon Barbarit
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Le mois dernier, la Commission et le Parlement européens prenaient la décision d’interdire à leurs personnels d’utiliser le réseau social TikTok sur leurs appareils professionnels au nom de la protection des données. Les motifs de cette interdiction intéressent particulièrement les sénateurs de la commission d’enquête sur l’utilisation du réseau social TikTok.
Pour en parler, ce jeudi, la commission auditionnait Raphaël Glucksmann, député européen (Place Publique), président de la commission spéciale sur l’ingérence étrangère dans l’ensemble des processus démocratiques de l’Union européenne, et Nathalie Loiseau, députée européenne (Horizons), présidente de la sous-commission « sécurité et défense ».
2 millions de Chinois rémunérés pour intervenir sur les réseaux sociaux
Les élus souhaitaient connaître « les principaux modes opératoires de la Chine pour mener des campagnes d’influence, de déstabilisation au cœur de nos démocraties européennes », comme l’a indiqué en préambule, la sénatrice PS, Laurence Rossignol, vice-présidente de la commission.
Premier constat formulé par Nathalie Loiseau, « la Chine s’est lancée dans l’ingérence avec enthousiasme que lui confère sa puissance économique, en apprenant des méthodes russes, et en apprenant vite ».
Et le numérique est devenu le terrain des ingérences chinoises en particulier depuis l’apparition du Covid-19. « La désinformation sur l’origine du virus, l’efficacité du vaccin a souvent été made in China avec des moyens considérables », souligne l’eurodéputée rappelant qu’au moins 2 millions de Chinois étaient rémunérés pour intervenir sur les réseaux sociaux, « auquel on peut ajouter 20 millions de trolls à temps partiel ».
Sur TikTok précisément, Nathalie Loiseau qualifie la plateforme « d’outil d’influence qui émane d’un Etat autoritaire qui ne nous laisse voir que ce qui est validé et pas ce qui ne l’est pas. C’est un outil de propagande et de censure. De propagande massive ».
Elle explique que comme d’autres plateformes, le réseau permet tout type de manipulations, « mais il y a quelques spécificités chinoises qui doivent nous alerter. Le format même des vidéos courtes permet d’engranger très vite énormément de données personnelles sur les utilisateurs. On sait que les employés de TikTok y ont accès ».
En effet, Bytedance, la société mère de Tiktok, a reconnu, récemment, que certains de ses employés ont organisé la surveillance de journalistes américains qui enquêtaient sur le réseau social.
Ce lien entre le régime chinois et le réseau social a été développé par Raphaël Glucksmann. « En Russie comme en Chine, la notion de grande entreprise privée n’est pas du tout la même que chez nous. Bytedance n’est pas une entreprise privée comme on l’entend chez nous […] En Russie comme en Chine, il est impossible pour une entreprise qui dépasse une taille critique, d’échapper au contrôle du régime politique ».
« Mettre les serveurs en Europe ne changera rien »
En début d’année, l’entrevue du patron de TikTok, Shou Zi Chew, par plusieurs commissaires européens, en vue de l’application prochaine du Digital Services Act (DSA), n’avait pas apaisé les craintes de Bruxelles. Ce règlement européen rentrera progressivement en application cette année. Il vise « à protéger l’espace numérique contre la diffusion de contenus illicites et à garantir la protection des droits fondamentaux des utilisateurs ». Plusieurs thèmes avaient été au menu des échanges, comme la protection des données personnelles, la sécurité des mineurs, la transparence sur les contenus politiques rémunérés et la diffusion sur TikTok de la désinformation russe.
Début mars, TikTok a une nouvelle fois tenté de rassurer les Européens en présentant son projet Clover qui consiste à héberger les données de 150 millions d’utilisateurs européens dans trois data centers situés en Irlande et en Norvège.
« En réalité mettre les serveurs en Europe ne changera rien car il y aura toujours un accès par les autorités chinoises », a répondu Raphaël Glucksmann qui met en évidence l’absence d’authentification multifacteur (MFA) d’une application « aussi perfectionnée technologiquement ». « On laisse des facilités de pénétration qui n’existent pas dans les autres applications ».
Le rapporteur de la commission d’enquête, Les Indépendants – République et territoires (LIRT), Claude Malhuret s’intéresse particulièrement à la décision prise par les institutions européennes d’interdire TikTok à ses personnels. « C’est à la fois trop et pas assez. Ou bien on considère qu’il y a un danger de TikTok et dans ces conditions, on l’interdit tout simplement, comme RT et Spoutnik. Il n’y a pas de raison évidente de l’interdire si on ne dit pas pourquoi ».
« Il n’y a pas de volonté d’expliquer publiquement pourquoi on cible TikTok »
« Nous, on a reçu une note confidentielle qui explique les risques. Elle n’a pas été communiquée publiquement. C’est une vraie question. Il n’y a pas de volonté d’expliquer publiquement pourquoi on cible TikTok. C’est de toute façon, une mesure de précaution. Ce n’est pas fondé sur des preuves d’espionnage avérées même s’il y en a. Ces risques sont conséquents. A mon avis le fait de ne pas les partager, est problématique politiquement et démocratiquement. Ça relève d’une politique européenne qui est de ne pas antagoniser la Chine », a répondu le député européen.
Nathalie Loiseau complète. « L’Union européenne, c’est à la fois un grand marché, mais aussi une construction juridique. Donc elle est toujours extrêmement pointilleuse sur ce qu’elle dit publiquement. Elle n’est pas toujours très politique, c’est le moins qu’on puisse dire ».
L’eurodéputée tempère toutefois l’opportunité d’interdire TikTok en Europe. « TikTok est un outil de propagande et d’influence de la Chine. Mais elle le fait aussi à travers les autres plateformes, Twitter et Facebook » […] Si on bannit TikTok, ça renaîtra autrement et ça prendra d’autres canaux ».
L’ancienne ministre chargée des Affaires européennes prend l’exemple de l’interdiction l’année dernière de Spoutnik et RT par l’Union européenne. « On a donné un coup de pied dans la fourmilière et ça s’est répandu partout ailleurs ».
Les eurodéputés plaident plutôt pour une approche de régulation, notamment via l’application du DSA. « Ce n’est pas l’Alpha et l’Omega mais c’est un premier pas important […] La commission et les autorités de régulation des Etats membres doivent avoir accès au Graal, c’est-à-dire aux algorithmes de recommandation. C’est aux plateformes de lutter contre les contenus illégaux […] Le vrai test, ça va être notre capacité à faire respecter cette réglementation et à imposer les sanctions », estime Nathalie Loiseau.
Pour mémoire, en cas de non-respect de leurs nouvelles obligations, les plateformes pourront se voir infliger des amendes pouvant aller jusqu’à 6 % de leur chiffre d’affaires mondial.