La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
« Tartufferie », « Artifice de communication »… les sénateurs peu convaincus par « l’initiative politique » d’Emmanuel Macron
Par Stephane Duguet
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Une interview pour tendre la main aux partis politiques de l’opposition représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat. Parmi les seize pages d’entretien qu’il a accordées à l’hebdomadaire Le Point, Emmanuel Macron invite les chefs de chacune des organisations politiques à une réunion mercredi 30 août. Elle ne se déroulera pas à l’Elysée mais « en région parisienne », précise le président de la République. Lors de cette réunion il devra être question de « la situation internationale et de ses conséquences sur la France », mais aussi des sujets de politique nationale au premier rang desquels « la famille, l’école, le service national universel, la transmission de notre culture, notre langue, la régulation des écrans », détaille le chef de l’Etat.
Réunion sans les présidents de groupes
Vaste programme qui laisse perplexe les présidents des deux premiers groupes du Sénat. « C’est un nouvel artifice de communication qui vise à masquer son impuissance et un quinquennat qui patauge », tranche Bruno Retailleau, patron du groupe Les Républicains (LR). Il voit dans cette interview « la méthode Emmanuel Macron qui consiste à sortir tous les six mois une nouvelle initiative, mais qui ne débouche sur aucune réalité », citant pêle-mêle « le grand débat, le Conseil national de la refondation, les conventions citoyennes, les 100 jours… » A gauche, Patrick Kanner, le président du groupe socialiste cite les mêmes exemples. « C’est encore de l’enfumage pour dire je concerte, je constate, mais c’est de la tartuferie », considère le sénateur du Nord.
L’ancien ministre sous le quinquennat de François Hollande regrette aussi que seuls les chefs de partis soient conviés : « Je n’ai été reçu qu’une seule fois par le président de la République alors que nous sommes le deuxième groupe du Sénat ! Il doit aussi recevoir les membres de l’opposition pour s’entendre dire des choses désagréables… » Bruno Retailleau ne dit pas l’inverse. Le sénateur de la Vendée rappelle que ce sont « les présidents de groupes parlementaires qui déterminent la ligne sur les textes législatifs ». « Que voulez-vous qu’il sorte d’une grand-messe qui associe des femmes et des hommes avec des points de vue si différents ? », peste-t-il.
Interrogations sur le projet de loi immigration
De son côté, Emmanuel Macron est « sûr de pouvoir bâtir des accords utiles » et de sortir de ces entretiens avec « des décisions immédiates, des projets et des propositions de lois mais aussi des projets de référendums ». « C’est toujours positif d’échanger », explique Hervé Marseille, le président du groupe Union Centriste au Sénat et président de l’Union des Démocrates et Indépendants (UDI). Néanmoins, il ne ne s’est pas entretenu avec le président de la République depuis la pandémie de Covid en mars 2020 et reste quand même dans l’expectative : « On va discuter des thèmes de rentrée comme l’école, la sécurité, les problèmes migratoires et les problèmes sociaux sur lesquels il y a une attente très forte, mais est-ce que cet échange politique peut permettre de trouver un compromis ? »
Dans son interview, le président de la République a allongé la liste des invités initialement restreinte à ce qu’il nomme « l’arc républicain » donc sans La France insoumise et le Rassemblement National (RN). Finalement, « il élargit, c’est bien. Emmanuel Macron a déjà tendu la main à tout le monde. Il va leur dire que la balle est dans leur camp », prévoit François Patriat, président du groupe RDPI au Sénat et marcheur depuis 2017. Selon le sénateur de Côte-d’Or, il ne sera pas question de trouver une nouvelle majorité mais de « de parler de sujets concrets sur lesquels on peut arriver à avoir des majorités à l’Assemblée nationale. On en a déjà trouvé sur le projet de loi industrie verte ou le projet de loi Justice. Est-ce que sur l’immigration, la fin de vie ou les mesures budgétaires on pourra trouver des voix ? ».
Sur le projet de loi immigration qui avait été discuté en commission des lois au Sénat avant d’être retiré de l’ordre du jour pour apaiser les tensions causées par la réforme des retraites, Les Républicains ont toujours la même ligne rouge : celle de la régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers « en tension ». « Mon groupe ne pourra pas voter un texte qui créerait une cinquième pompe aspirante. On fait blocage parce qu’on ne pourra pas maîtriser l’immigration si on laisse cette disposition », prévient Bruno Retailleau. Le centriste Hervé Marseille pense également qu’il « faut agir » sur le sujet. Il « attend de voir la ligne décidée par le gouvernement » et demande la mise en place d’un règlement européen dans le même temps : « Si on limite les visas en France et qu’ils s’installent dans d’autres pays européens, ils ont la liberté de circulation. Il faut s’appuyer sur deux jambes. »
Méthode de gouvernance
Afin de faire adopter des lois, Emmanuel Macron propose donc de continuer à constituer « des majorités de projets » en l’absence de majorité qu’il attribue à la division à gauche des socialistes pro et anti-Nupes, et à droite entre les LR proches de la majorité présidentielle et ceux plutôt « proches de l’alliance des droites ». « C’est un constat, mais si on part du principe qu’il n’y a pas de majorité évidente, ça appellerait à davantage de parlementarisme et ce n’est pas le cas. Au lieu de faire du coup par coup, il pourrait dissoudre et demander une majorité aux Français sur une ligne politique claire », expose Hervé Marseille qui réfléchit à le lui suggérer lors de la réunion du 30 août.
En attendant de savoir sur quels membres de l’opposition il pourra compter pour le projet de loi immigration porté par le ministre de l’Intérieur, le chef de l’Etat « ne s’interdit pas » de demander au gouvernement d’avoir recours à l’article 49.3 de la Constitution. Hervé Marseille estime qu’il est « toujours souhaitable de trouver des solutions qui passent par le dialogue parce que le 49.3 c’est un aveu d’échec. Mais est-ce que c’est possible de l’éviter ? » Pour le patron de la majorité sénatoriale, la réponse est toute trouvée : « Je le dis depuis des mois, je l’ai dit à Gérald Darmanin, je ne vois pas comment ce texte peut passer à l’Assemblée nationale, c’est plutôt réaliste. »
Au-delà du texte sur l’immigration, Patrick Kanner projette que, comme l’an dernier, « sur les textes financiers, le 49.3 va être utilisé à tire-larigot. On va vraiment passer cinq ans comme ça ? On arrive à une limite autocratique du pouvoir ! » Dans l’entretien au Point, Emmanuel Macron parle beaucoup d’éducation, un « domaine réservé du président », fait-il valoir. « C’est bien d’annoncer 2 000 euros par mois minimum pour les enseignants, mais on fait quoi pour ceux qui au bout de dix ans sont à 2000 euros ? Ce sont des mesures partielles, il ne parle pas d’augmentation généralisée. », déplore le sénateur socialiste qui dénonce une « politique en faveur des riches sans mesure de justice fiscale où on demande un petit effort aux plus aisés et aux entreprises ».
Créer « un grand centre » contre l’extrême droite
La réunion des chefs de partis mercredi prochain a aussi pour but de « créer un grand centre pour s’opposer à l’extrême droite », avance François Patriat. Le sénateur Renaissance considère que les oppositions doivent « prendre leurs responsabilités » et résume le choix qui s’offre à elles : « Soit vous vous résignez, vous êtes contre le gouvernement et laissez monter Marine Le Pen, soit, sans venir en macronie, vous êtes d’accord pour faire partie d’un rassemblement contre le RN ». Emmanuel Macron esquisse un tel projet en expliquant que « la condition pour que les valeurs que je porte perdurent, c’est que les forces républicaines travaillent ensemble : les sociaux-démocrates, les centristes, les écologistes, la droite libérale et la droite républicaine ».
Des propos qui ne passent pas pour Patrick Kanner : « Il est dans une logique de donneur de leçons alors qu’on voit que la politique qu’il mène depuis 175 mois a amené 90 députés RN et qu’il y aura des sénateurs Rassemblement National en septembre. Ça devrait l’inciter à l’humilité. Ces résultats sont aussi une marque de la défiance du peuple vis-à-vis de sa gestion. » Le président socialiste assure tout de même que le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, ira à la réunion « de manière républicaine ». Bruno Retailleau qui sera représenté par le président LR, Éric Ciotti, dit n’en attendre « rien de particulier ». Hervé Marseille se garde de tout pronostic sur l’issue de la réunion : « On verra bien la semaine prochaine, pour le moment je ne sais même pas comment cela va se dérouler. »
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