C’est une audition qui, entre les murs du palais du Luxembourg, fleure bon les grands moments du précédent quinquennat. A se demander si le maintien de l’ordre n’est pas le talon d’Achille des différents gouvernements d’Emmanuel Macron. Ces dernières années le locataire de Beauvau a régulièrement été convié au Sénat pour répondre aux élus. La commission d’enquête Benalla ou encore auditions en lien avec les débordements des gilets jaunes, pour ne citer que ça, ont occupé de longues heures les sénateurs.
A peine une semaine après la mise en place du nouveau gouvernement, c’est une nouvelle fois des questions de sécurité qui plongent l’exécutif dans sa première crise politique.
Bousculades, tentatives d’intrusion d’individus sans billet, supporters sous le choc de l’intervention des forces de l’ordre ou victimes de vols… Les débordements à l’entrée du Stade de France qui accueillait samedi soir la finale de la ligue des champions n’en finissent pas de faire des vagues.
» Lire notre article. Incidents au Stade de France : commission d’enquête, audition, résolution… les sénateurs veulent des réponses
« Nous voulons un discours de vérité »
A un an de la Coupe du monde de rugby et à deux ans des JO, ce sont des images qui font taches et qui interrogent la capacité de la France à organiser de grands évènements sportifs. A l’approche des élections législatives (12 et 19 juin), l’affaire a pris un tour hautement politique.
Le Sénat, par la voix de Michel Savin (LR), président du groupe d’études « Pratiques sportives et grands événements sportifs », a immédiatement demandé la constitution d’une commission d’enquête. En attendant d’avoir gain de cause, les deux ministres sont entendus conjointement pendant deux heures par les commissions des lois et de la culture à partir de 17 heures. Une audition à suivre en direct sur Public Sénat.
« Nous voulons un discours de vérité […] Il y a des éléments de faits qui contredisent des propos qui ont été tenus […] Les parlementaires attendent des choses concrètes », a indiqué sur BFM TV, le président de la commission des lois, François-Noël Buffet
Dans un communiqué commun signé avec le président de la commission de la Culture, le président de la commission des lois jugeait mardi « important de s’assurer que toutes les leçons de cette soirée soient tirées rapidement pour rassurer le monde sur la capacité de la France à accueillir de grands évènements ».
40 000 faux billets ?
Au cœur des interrogations des élus et du grand public, les justifications de Gérald Darmanin et du préfet de police de Paris, Didier Lallement. « 30 000 à 40 000 supporters anglais se sont retrouvés au Stade de France, soit sans billet soit avec des billets falsifiés », a assuré Gérald Darmanin lors d’un point presse, lundi.
Un chiffre éloquant qui peine à être corroboré. Pour l’heure, la FFF et l’UEFA ont évalué à « 2 800 » le nombre « de faux billets scannés » samedi. Parmi ces 2 800 faux billets peuvent figurer de vrais billets ayant été mal activés, selon Pierre Barthélémy, avocat de groupes de supporters français présent samedi au stade. « Il y a eu des pannes, des bugs informatiques au niveau des portiques qui ont fait que certains vrais billets ont été scannés comme faux », a-t-il assuré à l’AFP.
« On fait l’amalgame entre les supporters anglais qui était dans les fan-zones et ceux qui se sont dirigés au Stade de France », esquissait comme explication lundi Michel Savin. Dans Mediapart, une source du ministère de l’Intérieur évoque le chiffre 60 000 à 70 000 supporters anglais présents à Paris ce week-end. « Ils ont peut-être fait une soustraction entre ceux qui étaient présents et ceux qui avaient des billets, soit 20 000 », ajoute-t-elle.
Gérald Darmanin se base-t-il sur cette note de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH) rédigée en lien avec les services de renseignement le 25 mai ? Elle fait état « d’environ 50.000 supporters anglais présents dans la capitale française (qui) ne seront pas détenteurs de billets ».
Le ministre a dénoncé une « fraude massive, industrielle et organisée de faux billets. Une enquête, confiée à la brigade de la répression de la délinquance astucieuse de la préfecture de police de Paris a été ouverte.
Dans un communiqué, la FFF (Fédération Française de Football) confirme que 35 000 personnes étaient munies de faux billets ou n’avait pas de billets aux abords du Stade de France, samedi.
Le dispositif de sécurité a-t-il été suffisamment préparé ?
Comment la fête attendue du football européen a-t-elle été gâchée et aurait pu virer au drame alors que près de 7 000 policiers, gendarmes et pompiers étaient mobilisés, sans compter les vigiles privés ? Pourquoi le système de préfiltrage, à 200 mètres du stade, a-t-il été vite débordé face à l’afflux de supporters de Liverpool et a créé des goulets d’étranglement ? Comment des bandes de jeunes se sont-elles retrouvées en position de s’introduire de force dans l’enceinte ? La grève du RER B a-t-elle été anticipée ?
Lundi, Gérald Darmanin a plus que jamais défendu la doctrine appliquée. « Les décisions prises ont évité qu’il y ait des décès », a-t-il assuré en justifiant le choix du préfet de police de lever le préfiltrage « afin d’éviter l’écrasement des personnes sur les grilles ».
La faute aux Anglais ?
C’est l’autre ligne de défense du ministre de l’Intérieur qui a lourdement ciblé les supporters anglais lors de son point presse lundi. « Il n’y a singulièrement que dans le football et avec certains clubs anglais qu’il y a ces événements », a-t-il relevé rappelant les incidents lors de la finale la ligue des Champions de 2019 qui opposait deux clubs anglais : Liverpool et Tottenham.
Des accusations qui choquent Outre-Manche. « Vos commentaires sont irresponsables, peu professionnels et totalement irrespectueux », s’est insurgé Tom Werner, le président du club de Liverpool qui demande des « excuses » à Gérald Darmanin.
Le gouvernement Britannique a également réagi à ces incidents. Selon, le porte-parole de Boris Johnson, « les supporters méritent de savoir ce qu’il s’est passé », il exhorte l’UEFA à « travailler étroitement avec les autorités françaises dans une enquête complète ».
De cette audition de Gérald Darmanin et d’Amélie Oudéa-Castéra dépendra la constitution ou non d’une commission d’enquête. D’ores déjà Michel Savin aimerait auditionner d’autres acteurs, « la FFF, le préfet de police… Peu importe la forme que ces auditions prendront mais c’est important d’avoir toutes les versions pour pouvoir formuler des propositions afin que ça ne se reproduise plus ».
« Je pense que ce sera nécessaire d’auditionner d’autres responsables », a confirmé François-Noël Buffet