« La seule voie qui assure notre avenir, […] c’est à nous, à vous de la tracer. C’est la refondation d’une Europe souveraine, unie et démocratique. » Il y a 7 ans, dans le grand amphithéâtre de l’université de la Sorbonne à Paris, Emmanuel Macron présentait sa vision de l’avenir de l’Union européenne et les réformes qu’il souhaitait porter. Un long discours lors duquel il donnait rendez-vous en 2024 pour dresser le bilan de son action européenne, ce qu’il fera, ce jeudi, dans cette même université.
« Ce bilan n’a pas été marqué par des réalisations spectaculaires au niveau européen », explique Olivier Costa, politologue, spécialiste de l’Union européenne, chercheur CNRS au Cevipof, le centre de recherches de Sciences Po. « Mais on peut dire qu’Emmanuel Macron a eu le mérite de mettre sur la table européenne certaines priorités auxquelles personne à Bruxelles ne croyait en 2017 : la défense européenne, la souveraineté industrielle. D’une certaine manière, il a eu raison avant tout le monde. »
En première ligne dans le soutien à l’Ukraine
L’action européenne d’Emmanuel Macron a été marquée par l’invasion russe de l’Ukraine. Après avoir tenté d’éviter la guerre en dialoguant à plusieurs reprises avec le dictateur russe Vladimir Poutine, le président français a soutenu sans ambiguïté l’aide de l’Union européenne à l’Ukraine, sous ses aspects militaires, financiers, et humanitaires. Une aide européenne sans précédent a été versée et s’élève au total à 85 milliards d’euros depuis le début de la guerre en février 2022. Au bout de deux ans de conflit, le président français a même appelé ses partenaires européens à réaliser un « sursaut stratégique » pour éviter la défaite de l’Ukraine, évoquant pour la première fois l’option de l’envoi de troupes au sol.
La guerre en Ukraine a également relancé le projet d’une défense européenne en sommeil et qu’Emmanuel Macron appelait de ses vœux dans son premier discours de la Sorbonne : « Ce qui manque le plus à l’Europe aujourd’hui, cette Europe de la Défense, c’est une culture stratégique commune. » Un premier budget commun européen a été créé, et doté de près de 14 milliards d’euros. « Il y a eu des avancées en termes de défense européenne, mais développer une capacité opérationnelle commune des membres de l’Union, cela prend du temps », observe Olivier Costa. « Que peut faire l’Union européenne si demain, la Russie envahit les pays Baltes ? », s’interroge-t-il.
En réaction à cette invasion russe, une communauté politique européenne a été créée en 2022, sur proposition d’Emmanuel Macron, instance informelle qui doit resserrer les liens entre les 27 et les autres pays du continent européen qui partagent les valeurs de l’Union. Parmi eux, l’Ukraine, l’Arménie, la Norvège, la Suisse, ou encore les pays des Balkans occidentaux.
Crise du Covid et plan de relance
La gestion européenne de la crise du Covid-19 figure sans doute parmi les succès à mettre au crédit d’Emmanuel Macron puisque le président français a réussi à convaincre l’Allemagne d’Angela Merkel de consentir, pour la première fois dans l’Histoire, à un endettement commun des Etats membres de l’Union européenne, afin de financer les 800 milliards d’euros du plan de relance post crise sanitaire. Un plan censé accélérer la transition écologique et numérique des 27. Le plan de relance français a par exemple été financé à hauteur de 40 % par ces fonds européens.
« Faire de la dette commune c’était une vieille idée française depuis la crise financière de 2008 car l’Union européenne est un créancier solvable qui est crédible auprès des marchés financiers », rappelle Olivier Costa. « Ce plan de relance post Covid est un succès français. Emmanuel Macron a ensuite essayé d’impulser le même type de plan et d’endettement commun pour l’industrie mais cette fois-ci certains Etats frugaux ont dit stop. »
Un Pacte vert ambitieux, mais une pause environnementale
Dans le domaine écologique, le bilan d’Emmanuel Macron est plus mitigé. Le président français a d’abord soutenu le Pacte vert européen ayant pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050 avec plusieurs mesures phares comme la fin des véhicules thermiques en 2035, la taxe carbone aux frontières, la loi sur la restauration de la nature. Mais l’an dernier, devant les acteurs de l’industrie française, Emmanuel Macron a réclamé « une pause réglementaire européenne » en matière environnementale, estimant que l’Union européenne « avait fait plus que ses voisins » et avait besoin de « stabilité ». Cette intervention correspond à certains reculs en matière de transition écologique, ces derniers mois. La France a laissé passer, en s’abstenant lors du vote, l’autorisation du glyphosate pour la prochaine décennie. En pleine crise agricole, au début de cette année, le plan européen de réduction des pesticides de 50 % d’ici à 2030 a également été abandonné.
Les normes environnementales qui conditionnent le versement des aides européennes de la Politique agricole commune ont également été assouplies, comme l’obligation de rotation des cultures, voire supprimées : les agriculteurs ne seront plus contraints de laisser chaque année 4 % de leurs terres arables en jachères, ou en surfaces non productives (haies, bosquets). Une réforme de la PAC qui doit être votée en urgence par les eurodéputés, ce mercredi au Parlement européen de Strasbourg, pour répondre à la colère des agriculteurs.
« Emmanuel Macron, et d’autres acteurs européens comme la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, se sont rendu compte que les politiques environnementales avaient un coût pour certaines catégories de citoyens, comme les automobilistes et les agriculteurs. D’où la décision d’assouplir voire de supprimer certaines normes environnementales », analyse le politologue.
Une politique migratoire plus stricte
Alors que le thème de l’immigration joue un rôle important dans la campagne des élections européennes, les acteurs européens se sont mis d’accord récemment, après des années de discussion, sur un pacte européen asile et migrations, un texte défendu notamment par Emmanuel Macron. Il prévoit une solidarité entre les Etats-membres pour se répartir les demandeurs d’asile, mais aussi un durcissement des règles migratoires. Certains migrants pourront être placés dans des centres de filtrage aux frontières européennes en attendant une réponse rapide à leur demande de titres de séjour. Pour Olivier Costa, « ce qui a changé au sein de l’Union, c’est que les Etats membres se sont mis d’accord sur une politique migratoire plus restrictive. Emmanuel Macron comme d’autres chefs d’Etat sont confrontés à la montée de l’extrême droite dans les urnes et veulent dire aux citoyens « Nous sommes à votre écoute ».
Fiscalité et salaire minimum
Sur le plan économique, la France a œuvré à l’accord international, transcrit au niveau européen, pour une fiscalité minimale pour les grandes multinationales, avec un impôt sur les sociétés d’au moins 15 %. Sous la présidence française de l’Union européenne, une directive a été adoptée par les 27 prévoyant des critères partagés pour la fixation de salaires minimums dans chacun des pays. En revanche, le souhait du président français de construire une agence franco-allemande de l’innovation, « faisant de l’Europe le moteur de la croissance mondiale » est resté lettre morte outre-Rhin. La coopération franco-allemande connaît quelques tensions depuis l’arrivée au pouvoir d’Olaf Scholz il y a deux ans et demi.
« Le problème d’Emmanuel Macron ces dernières années en Europe c’est qu’il est isolé. En 2017, il comptait sur 3 ou 4 partenaires internationaux pour mener ses réformes comme l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne mais ils n’ont pas été au rendez-vous. »