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Au Sénat, zone de turbulence entre les LR et les centristes
Par François Vignal
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« C’est compliqué ». A l’image du statut matrimonial sur un célèbre réseau social, cette sénatrice LR résume l’ambiance actuelle au sein de la majorité sénatoriale, entre le groupe LR et le groupe Union centriste. Un couple qui connaît quelques péripéties ces derniers temps.
Les 145 sénateurs LR, qui n’ont pas de majorité au Sénat sans les 57 sénateurs du groupe centriste, se sont en effet retrouvés mis en minorité sur plusieurs votes ces dernières semaines, lâchés le temps de quelques scrutins par leur allié. Lors du texte sur les énergies renouvelables, le compromis passé avec le gouvernement, poussé par le centriste Jean-François Longeot, a déplu au groupe LR, qui préférait le véto des maires sur les éoliennes. Hier, dans le cadre de l’examen du budget, les centristes ont voté contre la suppression de la CVAE, que soutenaient les LR, en accord ce coup-ci avec le gouvernement. Sans parvenir à faire adopter leur amendement, le groupe UC a aussi défendu, comme l’été dernier, une mesure pour taxer les superprofits, que rejette la droite. L’été dernier, le Sénat avait maintenu la hausse du RSA à 4 %, contre l’avis du groupe LR, qui voulait la limiter à 3,5 %. Les centristes y étaient opposés.
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« Si chacun vote comme il veut, ce n’est pas une majorité solide »
C’est grave docteur ? Suffisamment pour certains LR, qui s’en inquiètent. Lors de la réunion du groupe LR, qui faisait suite à l’examen du texte sur les énergies renouvelables, le rapporteur du texte, Didier Mandelli, a mis les pieds dans le plat. « Il a demandé ce qu’était la majorité sénatoriale aujourd’hui, soulignant qu’il y a des arbitrages qui ne débouchent sur rien. A la fin, certains sont venus le voir en disant qu’il fallait que ça sorte. Il a crevé l’abcès », raconte un participant à la réunion.
Plusieurs se posent des questions, à l’image de ce sénateur LR : « Si chacun vote comme il veut, ce n’est pas une majorité solide. La majorité est fragile », alerte cet élu. La position des centristes, où se côtoient soutiens des LR, supporter d’Emmanuel Macron, et d’autres situés quelque part entre les deux, est pointée du doigt. « Est-ce qu’être dans la majorité présidentielle est compatible avec le fait d’être dans la majorité sénatoriale ? Pour moi, ce n’est pas possible », tranche ce sénateur LR remonté. Pour mémoire, lors de la dernière présidentielle, 8 sénateurs centristes ont parrainé Emmanuel Macron. En juin 2019, 23 sénateurs du groupe, en partie renouvelé depuis, avaient même voté la confiance à Edouard Philippe, 28 s’étaient abstenus.
« Le président du Sénat fait en sorte que tout se passe bien. Il est l’arbitre des difficultés »
De leur côté, les présidents de groupe tempèrent. Pour eux, il n’y a pas source d’inquiétude. « Il y a une bonne entente entre Hervé Marseille et moi. Il y a une majorité au Sénat qui se retrouve sur l’essentiel. Mais ça n’empêche pas d’avoir des sensibilités différentes », soutient ce mardi Bruno Retailleau, à la tête des sénateurs LR, avant d’entrer en réunion de groupe. Pour le candidat à la présidence de son parti, il n’y a « pas de dissolution de nos identités respectives dans une pensée unique ». Autrement dit, les désaccords n’ont rien d’anormaux. Bruno Retailleau insiste :
Si on veut que la majorité soit solide, il faut préserver nos identités, y compris pour assumer parfois des votes différents.
« Il n’y a pas mort d’homme », confirme à sa manière Hervé Marseille, président du groupe Union centriste. « Je pense que la majorité sénatoriale travaille collégialement, comme elle l’a toujours fait. Mais ce n’est pas l’uniformité. Sinon on serait tous centristes », lance le sénateur des Hauts-de-Seine. Et lui président du Sénat ? « Ce n’est pas ma vocation », sourit celui qui va bientôt prendre la tête de l’UDI, « les gens me prêtent des intentions. Je préfère les exprimer par moi-même ». Hervé Marseille l’assure, « il n’y a pas de tension. On travaille ensemble, comme ce matin encore, en réunion avec Bruno Retailleau et le président du Sénat, Gérard Larcher. Il n’y a pas de difficulté. Le président du Sénat fait en sorte que tout se passe bien. Il est l’arbitre des difficultés. Il s’efforce de faire travailler tout le monde ».
« C’est compliqué, on a du mal à saisir le positionnement des centristes »
Mais au sein des groupes, la perception est parfois différente. « Effectivement, je ne vais pas vous cacher que c’est compliqué, qu’on a du mal à saisir le positionnement des centristes, dans une majorité sénatoriale qui se traduit parfois par des votes surprenants, contradictoires », reconnaît Dominique Estrosi Sassone, vice-présidente du groupe LR. « J’en prends acte, mais c’est vrai que ce n’est pas toujours évident », ajoute la sénatrice des Alpes-Maritimes, pour qui « il faut vraiment qu’on arrive au sein de la majorité sénatoriale à afficher un petit peu plus d’unité et de cohérence ». « Cela n’empêche pas qu’il y ait des sensibilités, comme chez les LR, mais il ne faut pas que ça entache trop l’unité de cette majorité, qui fait aussi notre force pour enrichir les textes ou s’opposer. Dominique Estrosi-Sassone compte sur « l’expérience de Gérard Larcher, qui peut permettre que cette majorité sénatoriale ne continue pas à s’ébrécher. J’ai bien conscience que le gouvernement a trouvé peut-être là un coin pour travailler les uns et les autres. C’est un peu du débauchage ».
« Les relations sont complexes. Elles se sont un peu compliquées car le gouvernement reçoit les sénateurs centristes et essaie de les amener vers eux », pointe du doigt le sénateur LR de l’Oise, Jérôme Bascher, selon qui « il y a une stratégie ouverte du gouvernement pour mener les centristes de la majorité sénatoriale vers la minorité présidentielle. Il les voit, les reçoit, leur promet monts et merveilles. Ils sont traités ». Le sénateur LR y voit une tentative de « déstabilisation ». « Il semble que depuis la réélection d’Emmanuel Macron, certains centristes peuvent se sentir dans la journée dans la majorité sénatoriale et en soirée dans la majorité présidentielle en étant dans certains ministères… », raille un autre sénateur LR.
« On a parfois le sentiment que le groupe LR pense que c’est à lui de décider seul »
Hervé Marseille, rappelle lui qu’être constructif « a toujours été notre cas. C’est écrit dans la déclaration politique du groupe depuis 2017 ». Certains sénateurs du groupe centriste aimeraient eux voir les LR un peu plus constructifs à leur égard. « En commission des finances, on a parfois le sentiment que le groupe LR pense que c’est à lui de décider seul et ne tient pas forcément compte de notre présence », regrette le sénateur Hervé Maurey, qui retourne aux LR la politesse : « On a déjà eu ces tensions lors du budget rectificatif en août, où on voyait bien que les LR dealaient davantage avec la Macronie qu’avec nous, comme sur le refus de la taxation des superprofits ».
Il ajoute : « Je suis le premier à considérer que c’est bien de leur donner de temps en temps un petit coup de semonce et leur rappeler que la majorité sénatoriale se fait avec nous ». Même sentiment d’une sénatrice du groupe UC :
Que chacun respecte chacun et les vaches seront bien gardées. Il faut respecter les différences.
« Quand le dialogue ne fonctionne pas, il faut un petit coup de règle sur les doigts »
Si les centristes ne sont pas toujours entendus, ce n’est pas faute d’essayer. « Sur la CVAE, ça fait trois mois qu’on l’exprime. Le président Larcher le sait. Il n’y a rien de caché, ce n’était pas un coup », souligne la sénatrice centriste Sylvie Vermeillet. « Nous, on est toujours ouverts à la discussion. Mais il faut qu’elle ait lieu », ajoute la sénatrice du Jura, qui « pense que malgré tout, chacun fait des efforts ». Pour Hervé Maurey aussi, « il faut se parler. Et pour dialoguer, il faut être deux. Quand le dialogue ne fonctionne pas, il faut un petit coup de règle sur les doigts ».
« Il y a besoin de se caler un peu mieux en amont », confirme Vincent Delahaye, sénateur centriste de l’Essonne. Mais « c’est peut-être un peu plus compliqué » dans le contexte de « la majorité relative à l’Assemblée, qui nous donne plus de potentiel de discussion avec le gouvernement. Donc chaque groupe essaie de placer ses idées ».
Les congrès interne aux partis « occasionnent forcément un certain nombre de prises de position »
Les congrès internes des formations ne sont pas non plus sans effet. « Il se trouve qu’il y a aussi des élections dans les partis en ce moment. Il n’y a pas besoin d’être expert pour savoir que ça occasionne forcément un certain nombre de prises de position. Ce n’est pas extraordinaire qu’on puisse diverger », souligne Hervé Marseille, unique candidat pour la présidence de l’UDI.
Selon un sénateur LR, la campagne active de Bruno Retailleau pour la présidence LR n’est peut-être pas sans effet sur le travail législatif, lors de la séance : « Bien sûr, on ne le voit moins actuellement, on ne le voit pas sur le budget comme sur les énergies renouvelables ou le budget de la Sécu. Mais il fait campagne à fond. Il a fait ce choix en étant soutenu par la quasi-totalité des sénateurs, il a été adoubé ».
« Recomposition » au Sénat avec un futur groupe Horizons ?
Pour certains LR, la situation montre aussi que « la recomposition est en route », mais après coup, du côté de la Haute assemblée. Avec dans les têtes les sénatoriales de septembre 2023, et l’élection probable de sénateurs Horizons, le parti d’Edouard Philippe (qui compte actuellement 7 sénateurs sur les 14 du groupe Les Indépendants, présidé par Claude Malhuret). « Les centristes ont un enjeu car Horizons essaiera de piocher chez les centristes. Ils ont envie de garder le groupe et de rester un groupe charnière », analyse un sénateur LR. De quoi faire un peu de surenchère pour garder tout le monde. « Demain, si un groupe Horizons a 25 ou 30 membres, ce groupe sera indispensable pour avoir une majorité au Sénat. Et le groupe UC va imploser », imagine un autre membre des LR, qui pense que « Gérard Larcher restera président et il négociera avec Horizons ». Une autre sénatrice LR ne croit elle pas du tout à ce scénario et ne voit « pas comment un groupe Horizons pourrait intégrer demain la majorité ».
Pour l’heure, « il faut qu’on reprenne l’habitude de bien travailler ensemble, qu’on joue ce rôle nouveau d’une assemblée sénatoriale avec une assemblée minoritaire », avance le sénateur LR Jérôme Basher, « il faut qu’on cherche l’équilibre. Ça balance d’un côté et de l’autre. Il y a une instabilité momentanée, avant que ça se stabilise ». Reste à voir de quel côté penchera la balance.