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Sénat : la majorité de droite rejette la création d’une délégation des droits de l’enfant dans une ambiance électrique
Par Simon Barbarit
Publié le
Le Sénat n’a donc toujours pas de délégation des droits de l’enfant, la majorité sénatoriale de droite y a fait obstacle. Une proposition de loi en ce sens a été rejetée par 178 voix contre, 153 pour. Après le rejet du texte en commission la semaine dernière, le vote était attendu mais les débats n’en ont pas moins été houleux entre la gauche et la droite de l’hémicycle, les positions étant irréconciliables.
Pourtant, l’Assemblée nationale s’est dotée en septembre dernier d’une délégation similaire, sans être passée par un texte mais après un vote à l’unanimité de la conférence des présidents, qui rassemble les chefs de file des groupes politiques, y compris les LR. Au Sénat, les tentatives pour instaurer cette délégation ne datent pas d’hier. Déjà en 2009, la sénatrice Joëlle Garriaud-Maylam avait déposé une proposition de loi visant à créer une délégation aux droits de l’enfant. Dix ans plus tard, la sénatrice Éliane Assassi et ses collègues du groupe communiste républicain citoyen et écologiste (CRCE) avaient formulé une proposition identique, finalement rejetée par 249 voix contre 90.
« Cette délégation ne résoudra aucun problème », pour la droite
« Vous voyez, la question de l’enfance rassemble au-delà de nos étiquettes et traverse même le temps », a souligné, ce jeudi, le premier signataire de la proposition de loi, Xavier Iacovelli (Renaissance) avant de rappeler : « Cette proposition de loi est cosignée par des sénatrices et sénateurs de tous les groupes, des LR au CRCE en passant par les centristes, écologistes et socialistes ».
Alors pourquoi cette proposition de loi a-t-elle été rejetée ? La rapporteure LR du texte Muriel Jourda, a mis en avant une question de forme, « d’organisation du travail parlementaire ». « La multiplication des instances parlementaires qui apportent plus de dispersions que d’efficacité au travail sénatorial », a-t-elle estimé citant un rapport de 2015 de la Haute assemblée.
« Cette délégation ne résoudra aucun problème car elle n’a pas, comme les commissions permanentes, de pouvoir législatif », a-t-elle estimé. La sénatrice du Morbihan a aussi souligné que les questions relatives aux droits de l’enfant étaient déjà abordées de manière transversale par les commissions. Pour appuyer ses propos, elle a pendant de longues minutes énuméré les travaux menés par les élus de la chambre haute, ces trois dernières années sur des thématiques relatives à l’enfance.
Muriel Jourda a enjoint les signataires de la proposition de loi à imiter les députés « en demandant au Bureau d’examiner la création de cette délégation qui serait un nouvel organe parlementaire. « Nous parlons bien d’organisation du travail et nous ne parlons pas de la situation des enfants », a-t-elle argué.
« La délégation aux droits des femmes aimerait bien ne plus être chargée de s’occuper aussi de la question des enfants »
Des arguments irrecevables pour la sénatrice socialiste, et ancienne ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes, Laurence Rossignol. « Il y a 98 ans, la société des Nations adoptait la déclaration de Genève sur les droits de l’enfant. Si leurs auteurs assistaient à nos débats aujourd’hui, ils seraient stupéfaits d’observer qu’une délégation aux droits de l’enfant au Sénat, en 2022, rencontre toujours autant d’opposition, d’incompréhension et j’ai même envie de vous dire d’ignorance. Je ne suis pas une petite poulette de l’année (sic) et il y a longtemps que j’ai compris que les débats de forme cachent en fait des oppositions de fond ». La sénatrice socialiste est revenue sur la liste des travaux récents du Sénat sur l’Enfance dont une grande partie a été l’œuvre de la délégation aux droits des femmes. « La délégation aux droits des femmes à laquelle je participe aimerait bien ne plus être chargée de s’occuper aussi de la question des enfants. Le sens même de l’émancipation des femmes consiste aussi à nous émanciper de la charge mentale des enfants », a-t-elle pointé.
Sa collègue écologiste, Mélanie Vogel a rappelé que la délégation aux entreprises avait été créée en 2014 au Sénat. « Je n’ai rien contre. Mais est-ce qu’on est en train de dire que les entreprises ont besoin d’être étudiées en dehors des commissions du Sénat sous peine d’être l’angle mort des politiques publiques, et pas les enfants ? Franchement, ce n’est pas très sérieux ».
Le sénateur centriste, Philippe Bonnecarrère dont le groupe s’est divisé sur le vote a comparé ce débat entre ceux qui portent la voix du cœur et ceux qui portent la voix de la raison. Opposé à la création de cette délégation, il a lui aussi mis en avant « l’émiettement du travail parlementaire, si on met en place sur chaque sujet transversal, une délégation ». « Je me méfie des notions d’affichage. Cette idée que la vie publique passerait par le fait d’envoyer des signaux, les journées mondiales de ceci ou de cela, n’est pas pertinente. Ce sont des logiques d’émotion et de communication », a-t-il dénoncé.
« On n’a pas besoin d’aller dans le mépris et de dénaturer les travaux des parlementaires »
De quoi faire bondir, Xavier Iacovelli. « Non, c’est une proposition de raison. On n’a pas besoin d’aller dans le mépris et de dénaturer les travaux des parlementaires pour afficher votre position avec laquelle vous êtes mal à l’aise ». Le sénateur des Hauts-de-Seine a aussi fait part de ce qu’il avait entendu « dans les couloirs ». « On m’a dit, on ne va pas créer une délégation à neuf mois du renouvellement (élections) sénatorial, en plus portée par l’opposition. Engageons-nous ici, on peut attendre octobre 2023 pour la créer. On est sur le droit des enfants, on n’est pas sur une question électorale et partisane ».
Laurence Rossignol a quant à elle fustigé le dispositif du scrutin public. Permettant des délégations de vote, il a conduit au rejet de la proposition de loi malgré le soutien d’une grande majorité des élus présents dans l’hémicycle ». « Si vous voulez parler du fonctionnement du Sénat, je vous suggère là un beau sujet, c’est le respect du vote dans le Sénat ».
Des propos que n’a pas voulu laisser passer, François-Noël Buffet, le président LR de la commission des Lois. « On ne peut pas entendre parler de mépris de la part de la majorité sénatoriale […] laissant entendre qu’on se fichait de l’intérêt des enfants, on ne peut pas l’entendre ». Puis, s’adressant à Laurence Rossignol, il a précisé. « Je n’aime pas Madame la ministre Rossignol, les procès d’intention. C’était déjà le cas lors de plusieurs débats. Ce n’est pas acceptable ».
Le vote a eu lieu dans une ambiance perturbée par plusieurs exclamations.
A noter, enfin, que la secrétaire d’Etat à l’Enfance Charlotte Caubel s’en est remis à la sagesse du Sénat, mais tout en rappelant qu’elle avait « salué la création de cette délégation » à l’Assemblée nationale.