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Sécurité, immigration, laïcité : la ligne ferme portée par Bruno Retailleau, le nouveau ministre de l’Intérieur
Par Simon Barbarit
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C’est une belle revanche pour Bruno Retailleau qui aura regardé passer les trains plusieurs fois ces dernières années. Fin 2016, après la victoire de François Fillon à la primaire LR, son fidèle lieutenant Bruno Retailleau se serait vu réserver une place de choix dans le gouvernement. Le « Pénélopegate » et l’ascension fulgurante du jeune Emmanuel Macron vont le cantonner au rôle d’opposant pendant sept ans. Ironie de l’histoire, il est finalement le ministre de l’intérieur, d’un Premier ministre LR certes, mais aussi d’un Président dont il n’a eu de cesse de dénoncer « le laxisme » sur les sujets gérés par ce ministère, l’immigration, la sécurité, ou le respect de la laïcité. « La droite n’est pas soluble dans le macronisme », martelait-il encore en juillet.
« Le Lucky Luke de la proposition de loi »
Et si Bruno Retailleau n’est pas membre de la commission des lois mais de l’éducation, c’est essentiellement sur des textes en provenance de la commission des lois, que ces prises de position ont été les plus marquantes.
Surnommé « le Lucky Luke de la proposition de loi » par son homologue au groupe PS, Patrick Kanner, le sénateur de Vendée a effectivement la gâchette facile lorsqu’il s’agit de déposer un texte. Et d’ailleurs, en juin 2023, las d’attendre le texte du gouvernement, il dépose avec le président de la commission des lois, François-Noël Buffet une proposition de loi destinée à « reprendre le contrôle de la politique d’immigration, d’intégration et d’asile ». « On veut que figurent dans le texte les quotas migratoires ; le durcissement du regroupement familial mais aussi pour la vérification des étudiants, chaque année, pour ceux qui ont une carte pluriannuelle ; le durcissement des conditions d’accès aux soins gratuits pour les étrangers malades […] « Le durcissement de l’acquisition de la nationalité sur le droit du sol, on revient au dispositif Pasqua ; le rétablissement du délit de séjour, supprimé par François Hollande ; la suppression des exceptions aux expulsions ou aux OQTF ; la conditionnalité de l’aide au développement, lorsque des pays refusent des laissez-passer consulaires. Pour les prestations sociales non-contributives, nous voulons une résidence d’une durée de 5 ans, et la systématisation des obligations de quitter le territoire, c’est l’idée que la décision définitive de rejet vaille OQTF », détaillait-il à publicsenat.fr
« On nous interdit de faire une politique migratoire efficace »
Quelques mois plus tard, ces dispositions seront ajoutées, à son initiative, par voie d’amendement au texte du gouvernement. Bruno Retailleau fera d’ailleurs partie de la commission mixte paritaire sur ce texte. Le projet de loi durci par la droite sera adopté avec les voix du RN à l’Assemblée. Mais l’essentiel des dispositions sera censuré par le Conseil constitutionnel. Ce qui conduira à une colère froide, peu habituelle du sénateur. « C’est un déni du pouvoir du Parlement ». Il annonce alors remettre sur la table une autre proposition de loi, constitutionnelle celle-ci, sur l’immigration. « On nous interdit de faire une politique migratoire efficace. La réponse à l’impuissance, c’est la démocratie. C’est-à-dire permettre dans la Constitution de consulter, par référendum, le peuple français », explique-t-il.
Mais faute de soutien de ses alliés centristes sur deux dispositions phares du texte, à savoir la possibilité de déroger au droit européen en matière d’immigration et l’élargissement du champ du référendum à cette question, Bruno Retailleau décide finalement de retirer son texte de l’ordre du jour à la dernière minute.
« C’est la chienlit, et ça suffit ! »
Concernant le respect de l’autorité, autre mantra du sénateur, le « péché originel » d’Emmanuel Macron pour ce fervent catholique remonte à la gestion de la ZAD de Notre-Dame des Landes. L’élu du grand Ouest, avait qualifié de « première reculade » d’Emmanuel Macron l’abandon du projet de l’aéroport. Sur BFM, en 2020, alors que des manifestations contre la loi Sécurité globale dégénèrent à Paris, il fait d’ailleurs le lien entre les violences autour du projet de construction de cet aéroport et les émeutes urbaines qui suivront notamment lors des gilets jaunes. : « A Nantes, nous avions très fréquemment, le week-end, des casseurs qui venaient et qui s’étaient fait la main à Notre-Dame-des-Landes […] Je considère d’ailleurs que la faute originelle d’Emmanuel Macron, en matière de manquement en autorité, s’est de leur avoir donné raison […] « C’est la chienlit, et ça suffit […] Tous les week-ends, nous avons les mêmes images : des commerces sont saccagés, des policiers et des gendarmes sauvagement agressés et des voitures brûlées », dénonce-t-il.
En la matière, Bruno Retailleau a déjà dégainé une proposition de loi, la bien nommée loi anticasseurs promulguée en 2019. A l’origine, le texte avait pour but de créer des périmètres dans les manifestations à l’entrée desquels les policiers pouvaient fouiller les manifestants. Il crée un délit de dissimulation du visage, passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende (devenu inopérant avec le covid-19). Surtout, il permettait au préfet d’interdire à une personne de manifester si elle représente une menace pour l’ordre public alors que seul le pouvoir judiciaire peut prononcer des interdictions individuelles de manifester. En première lecture, les sénateurs créent même un fichier national regroupant toutes les personnes interdites de manifestation, il sera supprimé lors de la navette parlementaire. Comme pour la loi immigration, le texte a subi les coups de ciseaux du Conseil constitutionnel. La disposition permettant aux préfets d’interdire de manifestation toute personne présentant une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » pendant une durée d’un mois maximum a été censurée. Bruno Retailleau a par la suite prôné la création dans la police de « brigades anti- black blocks ». « Le problème, c’est la réponse pénale […] Si on n’a pas de vraies preuves, un examen des vidéos poussé, si on n’infiltre pas ces bandes, si on n’a pas une veille très précise sur les réseaux sociaux, on ne parviendra pas à lutter contre ce phénomène qui menace nos valeurs républicaines et amoindrit la portée du message des manifestants pacifiques », analysait-il.
« Le moment est venu d’éradiquer l’islamisme sans aucune concession »
Même lorsqu’il ne s’agit pas de l’immigration, Bruno Retailleau fait preuve d’une volonté constante de voir la Constitution révisée afin d’y inscrire le respect de la laïcité, la lutte contre le communautarisme. En 2020, quatre jours après l’assassinat de Samuel Paty, le Sénat adoptait la proposition de loi cosignée par Bruno Retailleau visant à inscrire dans la Constitution « la prééminence des règles de la République ». Il visait à inscrire au sein de l’article 1er de la Constitution que « nul individu ou nul groupe ne peut se prévaloir de son origine ou de sa religion pour s’exonérer du respect de la règle commune », selon le texte de cette proposition de loi. « La loi de 1905 ne peut pas tout ». « Sinon, il n’y aurait pas eu en 2004, la loi sur les signes ostentatoires », justifiait-il dans l’hémicycle précisant que son texte viserait « les règlements intérieurs des entreprises, des associations, des clubs sportifs qui sont souvent le foyer d’une radicalisation ». « Le moment est venu d’éradiquer l’islamisme sans aucune concession », lançait-il.
Un an plus tôt, Bruno Retailleau avait défendu l’interdiction du port des signes religieux ostentatoire pour les accompagnatrices scolaires. Une mesure que le Sénat à majorité de droite a plusieurs fois adoptée ces dernières années soit via une proposition de loi, soit par voie d’amendement notamment dans la loi séparatisme.
« La loi n’est pas faite pour satisfaire des revendications idéologiques »
Catholique, conservateur, Bruno Retailleau militait lors de la campagne présidentielle de 2017 pour l’abrogation du mariage pour tous. Il est contre la PMA. Mais ses positions « antiwoke » ne sont pas toujours suivies par son groupe. Il fait partie des 28 sénateurs à avoir voté contre la loi interdisant les thérapies de conversion affirmant qu’il était « évidemment contre les thérapies qui « visent à obliger des personnes homosexuelles à changer leur orientation » et rappelant que ces pratiques étaient déjà « déjà punies par la loi ». Ce qui posait problème pour lui, c’était notion d’identité de genre mentionnée dans le texte. « La loi n’est pas faite pour satisfaire des revendications idéologiques », avait-il souligné.
Fin 2023, alors que le Sénat examinait une proposition de loi visant à inscrire le droit à l’IVG dans la Constitution. Ses injonctions à voter contre n’avaient pas fait le poids face à la réécriture du texte de son collègue LR, Philippe Bas, finalement adoptée contre toute attente. C’est d’ailleurs ce vote qui conduira à l’inscription définitive dans le texte fondamental de la liberté des femmes à avoir recours à une IVG.
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