Après le déclenchement du 49.3 par Michel Barnier pour faire passer le projet de loi de finances de la Sécurité sociale, la motion de censure du Nouveau Front Populaire, si elle est votée par le Rassemblement national, pourrait faire tomber le gouvernement ce mercredi 4 décembre. Ce qui mettrait à l’arrêt plusieurs textes législatifs.
Savoir-faire, mains d’œuvre, faisabilité… Les défis de la relance du nucléaire
Par Marion Vigreux
Publié le
« Le nucléaire est de retour et la France aussi ». C’est par ces mots que la ministre déléguée chargée de l’industrie, Agnès Pannier-Runacher, entame son discours à la tribune du WNE, le plus important salon au monde dédié au nucléaire civil. Nous sommes en décembre 2021, un mois tout juste après les annonces de relance du nucléaire français par le président de la République, et dans les allées du salon, l’enthousiasme est palpable. « C‘était des annonces qu’on attendait depuis un certain temps. Il faut maintenant que la volonté politique soit confirmée en acte et en décisions ». « Pour le moment on est encore dans la course mais il était temps que de bonnes nouvelles soient annoncées », nous confient ces chefs d’entreprise.
Avec 3000 entreprises et 220 000 salariés, le nucléaire est la troisième filière industrielle française. Pour Cécile Arbouille, présidente du GIFEN, le groupement des industriels français de l’énergie nucléaire, la filière est en ordre de marche. « La France est un pays qui est devenu moins industriel que dans les années 70, 80. Et justement, cette filière peut participer à maintenir et même à réindustrialiser la France parce que la filière nucléaire, c’est cent métiers. C’est une filière qui est souveraine. On veut vraiment et on pense qu’on peut vraiment participer de cette réindustrialisation de la France qui nous paraît très importante ».
Réindustrialiser la France
Car en dix ans, la filière a perdu nombre de savoir-faire. En 2019, suite aux retards du chantier de l’EPR de Flamanville et à l’explosion de ses coûts (11 ans de retard et 7 milliards d’euros de dépassement), Bercy commande un audit. C’est le rapport FOLZ qui met en lumière une perte de compétence généralisée chez EDF et chez ses sous-traitants.
Le groupe est sommé de réagir. EDF lance alors le plan Excell. En 2020, 100 millions d’euros sont investis pour renforcer les compétences et les qualités industrielles. Des partenariats voient le jour avec certains lycées et dans le Cotentin, où le nucléaire est le premier employeur du secteur privé, l’action soudage est créée. Objectif : recruter et former des ouvriers qualifiés.
Car aujourd’hui, 70 % des besoins en soudeurs, tuyauteurs et chaudronniers ne sont pas satisfaits en France. 400 postes de soudeurs étaient à pourvoir dans le Cotentin en 2021. 7000 dans l’hexagone.
Sébastien Cuquemelle, président de la société NSB Probent, spécialisé dans les travaux de tuyauterie et de chaudronnerie, nous confirme qu’il y a urgence : « On a dû refuser deux marchés, un dans le naval, un dans le nucléaire où on nous demandait 10 à 15 personnes soudeurs et tuyauteurs. Et aujourd’hui comme on ne trouve pas ce personnel sur le Cotentin, on met des actions en place pour trouver des binômes soudeurs et tuyauteurs […] Les gros marchés qui arrivent, c’est vraiment toute la partie tuyauterie. Donc si vous n’avez pas un binôme soudeurs tuyauteurs, vous ne pouvez plus aller sur ces marchés-là demain ».
Pour lui, il reste trois ans à la filière pour accélérer les recrutements et les formations. Faute de quoi, le recours à des prestataires étrangers sera inévitable. Certains concurrents ont d’ailleurs déjà sauté le pas.
« On a appris de Flamanville »
Pour relancer la construction du parc nucléaire français, l’Etat et EDF se sont entendus sur la construction de 6 EPR nouvelle génération, d’une puissance de 1650 mégawatts chacun.
Le site de la centrale nucléaire de Penly en Seine-Maritime est pressenti pour accueillir la première paire d’EPR. Gabriel Oblin, directeur du projet EPR2 pour EDF, espère un début de chantier en 2023, à l’issue des consultations avec le public et le Parlement, et une mise en service dès 2035.
« Les EPR 2 que nous proposons s’inscrivent dans la continuité de Flamanville 3 puisqu’on reprend les gros équipements. C’est la même chaudière, c’est la même turbine. Mais à côté de ça, on a cherché à améliorer un certain nombre de choses pour rendre le réacteur plus facile à construire. On a amélioré la constructibilité de l’ouvrage, on a industrialisé l’ouvrage […] L’intérêt de ce programme c’est effectivement de construire des réacteurs moins chers, une grande partie de l’économie revient du fait qu’on renoue avec une démarche de paliers industriels. On construit trois paires de réacteurs. Et donc l’industrie apprend, s’industrialise et permet d’aller chercher ses gains économiques […]
Nous avons beaucoup appris de Flamanville 3. Nous avons reconstruit beaucoup de compétences à travers ce chantier. Elles seront là demain pour construire Penly 3 et 4. »
C’est donc grâce à un système de production en série que le groupe espère réduire ses coûts avec des EPR annoncés 30 % chers que celui de Flamanville, et une enveloppe globale de 50 milliards d’euros pour ces chantiers.
Mais pour les opposants au projet, ces nouveaux EPR sont une folie, car les compétences ne sont pas revenues. Yannick Rousselet, ancien chaudronnier de Naval Group, travaille à Greenpeace comme consultant en sûreté nucléaire.
« L’EPR c’est une conception des années 90. Donc c’est un vieux concept qu’on a essayé de développer. On devait en faire 12 en Afrique du Sud, 11 aux Etats Unis, il n’y en a pas eu. Partout c’est un échec. En Finlande il y a eu un retard de 12 ans. En Chine aujourd’hui, un réacteur est déjà à l’arrêt pour des dysfonctionnements. Et au même moment, on a EDF qui nous dit « on va en faire six ». Et on a le Président qui nous dit qu’on va faire des nouveaux réacteurs. C’est-à-dire qu’on est dans un échec et finalement on va perdurer dans cet échec. Ça parait aujourd’hui une folie. C’est un échec industriel total avec des complications énormes d’un bout à l’autre de ce chantier. Et puis un gouffre financier. Alors comment est-il encore possible de penser à cette technologie du passé, alors qu’aujourd’hui il faut se tourner vers l’avenir, le renouvelable ».
Autre source d’inquiétude, la construction de ce nouveau parc intervient alors que d’autres chantiers colossaux se profilent pour EDF : le grand carénage (prolongement de la durée de vie des réacteurs) et le démantèlement des centrales comme celle de Fessenheim.
Pour Charlotte Mijeon, porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire, le projet de construction de nouveaux réacteurs est totalement irréaliste. : « On ne peut pas d’un coup de baguette magique effacer des dizaines de malfaçons et de mauvaises pratiques de certaines usines. On ne peut pas d’un coup de baguette magique faire apparaître des travailleurs qualifiés là où il n’y en pas » […]
Il y a une énorme part de bluff dans tout ça. EDF joue sa survie mais l’industrie nucléaire n’est absolument pas en mesure de suivre, les compétences ne sont pas là, les bonnes pratiques ne sont pas là. Cela va être un défi énorme, voire insurmontable pour EDF d’arriver à la fois à assurer une maintenance correcte de ses installations, prolonger leur durée de vie et en plus garantir la construction de nouveaux réacteurs. Ou alors c’est jouable en faisant des impasses sur la sûreté, sur la bonne qualité des équipements, en passant outre des malfaçons. Et en nous mettant tous en danger. »
Lors de ces vœux 2022 à la presse, Bruno Doroszczuk, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, a demandé la mise en place d’un plan Marshall pour permettre à la filière de tenir ses projets industriels. Parmi les impératifs, le recrutement de 4 000 ingénieurs par an.
Ces dix dernières années, beaucoup d’élèves se sont détournés de l’atome au profit de l’aéronautique, des nouvelles technologies. Des filières perçues comme plus porteuses.
Au CEA, le Commissariat à l’énergie atomique, on a bon espoir que les nouveaux projets du nucléaire fassent revenir les étudiants. Depuis l’année dernière, le nombre de thèses a augmenté de 10 % et les inscriptions repartent à la hausse dans les filières en génie atomique. A l’INSTN, l’école de spécialisation des énergies bas carbone et des technologies de la santé, de 48 étudiants en 2019, on est passé à 73 à la rentrée 2021.
« J’ai des doutes »
Jean-Paul Crochon a fait toute sa carrière au CEA, à Novatome et à EDF. Aujourd’hui à la retraite, cet ingénieur a travaillé à la direction de l’ingénierie, accompagnant des projets de rénovation et de construction de centrales en Russie, en Bulgarie. Mais aussi en Chine, pendant six ans sur le site de Daya Bay près de Hong Kong. Il reste très nostalgique de ses années d’activités.
Il raconte : « La France était à l’époque considérée comme un modèle. C’était en France que se faisait le programme nucléaire le plus prestigieux, le plus important. Les patrons d’EDF ont été appelés par les Américains au Sénat pour présenter le programme nucléaire français. Ça a été quelque chose d’extraordinaire ce programme nucléaire français. Il faut bien voir qu’au cœur de ce programme, pendant une dizaine d’années, on mettait en service quatre chaudières nucléaires par an. Et maintenant, on se pose la question de ce qu’on est capable de faire. Il y a des voix qui disent qu’on n’est pas capable de faire l’équivalent, qu’on pourrait faire qu’une ou deux par an ».
Si sa passion pour le nucléaire reste intacte, les projets envisagés le laissent sceptique. « Il faut mobiliser, remobiliser les gens qui ont participé à ces projets. La relance du nucléaire ça suppose une détermination politique forte parce que pour remettre le nucléaire d’aplomb, il y a de quoi faire. Ce n’est pas facile à récupérer. A mon avis, ce n’est pas facile. Et j’ai des doutes. »
Diffusion du documentaire : « Nucléaire, les défis de la relance »
Samedi 29 février à 19H
Dimanche 3 février à 10H
Vendredi 4 février à 16h30