C’est un premier désaveu que vient de subir Aurore Bergé. Dans les colonnes de la Tribune dimanche, la ministre des Solidarités et des Familles avait annoncé la création dès ce lundi d’une commission scientifique, coprésidée par (le pédopsychiatre) Serge Hefez et Hélène Roques (autrice de « Sauvons nos enfants ») », avec « des démographes, des magistrats, des pédopsychiatres, des philosophes ». La commission aura la charge dans les 6 mois à venir de faire des « propositions concrètes », destinées à « relever les défis de la parentalité d’aujourd’hui ». A peine mise en place, la commission essuie déjà trois démissions de la part des sociologues Claude Martin et Irène Théry ainsi que celle de la directrice de recherche au CNRS, Agnès Martial. « A une ou deux exceptions près tout le monde a manifesté son mécontentement. Il pourrait y avoir d’autres développements dans les prochaines semaines », prévient Irène Théry qui n’exclut pas d’autres démissions à venir.
Les démissionnaires ont été heurtés par les annonces d’Aurore Bergé dans l’hebdomadaire sur « la mise en place des travaux d’intérêt général pour les parents défaillants, du paiement d’une contribution financière pour les parents d’enfants coupables de dégradations auprès d’une association de victimes et d’une amende pour les parents ne se présentant pas aux audiences qui concernent leurs enfants ».
« Nous ne sommes pas prêts à nous faire marcher dessus, à servir de caution scientifique »
« Nous avons appris il y a six jours que la commission démarrerait ces travaux ce lundi. Nous n’avions pas de lettre de mission. Nous ne savions pas qui participait à la commission. C’était déjà un peu précipité. Mais surtout, placer tout le travail autour de la parentalité sous l’égide des émeutes de juin et d’une politique répressive visant les parents ne nous convenait pas. Nous prenons déjà des risques en tant que chercheurs lorsque nous travaillons avec le politique. Nous tenons à ce que notre indépendance soit respectée. Nous ne sommes pas prêts à nous faire marcher dessus, à servir de caution scientifique », explique Irène Théry.
Agnès Martial complète : « Quand on m’a invitée à participer à une réflexion de fond sur le soutien à la parentalité. On m’a dit qu’il s’agissait de dépasser les discours stigmatisants. Hier, j’ai appris que des annonces avaient déjà eu lieu et étaient exactement à l’inverse de ce qu’on m’avait présenté. Ça fait 20 ans que je travaille sur la parentalité et en tant que chercheur, je ne peux cautionner des discours qui désignent les parents comme des délinquants ».
Pour mémoire, les réponses régaliennes aux émeutes liées à la mort du jeune Nahel, dont la moyenne d’âge des personnes interpellées était de 17 ans, avaient déjà été esquissées par la Première ministre en octobre dernier.
« La ministre s’est appuyée sur un constat partagé »
Pour le sénateur Renaissance, Xavier Iacovelli ces démissions « ne sont pas justifiées ». « Il y a les temps politique et le temps scientifique. La ministre s’est appuyée sur un constat partagé. Il n’est pas normal que des enfants de 15 ans se soient retrouvés dans les rues la nuit à participer aux émeutes. Soit les parents sont dépassés et dans ce cas il faut les accompagner, c’est pourquoi Aurore Bergé a annoncé l’augmentation de 30 % les moyens des CAF pour les soutenir. Soit, les parents ne jouent pas le jeu et la ministre a simplement rappelé la loi qui n’est pas appliquée. Peut-être ces experts avaient-ils une méconnaissance de la loi mais, à mon sens, il n’y a pas de pression particulière d’Aurore Bergé. La ministre s’appuiera sur les recommandations de la commission et sur son tour de France de la parentalité », précise-t-il. En effet, Aurore Bergé démarre ce lundi à Trélazé, dans le Maine-et-Loire ce « tour de France de la parentalité » afin d’y rencontrer des parents et des professionnels de l’enfance.
Que dit la loi ?
L’article 227-17 du code pénal prévoit une peine de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende pour un parent qui se soustrait « sans motif légitime, à ses obligations légales au point de compromettre la santé, la sécurité, la moralité ou l’éducation de son enfant mineur ». « La question qui se pose, c’est, est-ce que cet article s’applique à des parents de mineurs qui ont participé aux émeutes ? C’est difficile de répondre dans l’absolu. Il va falloir caractériser que le parent s’est soustrait à ses obligations légales, ce sera analysé au cas par cas », souligne Sarah Pibarot, secrétaire nationale du Syndicat de la magistrature.
« Aujourd’hui, les peines de prison et les amendes ne sont pas appliquées et c’est heureux. C’est pour ça que la piste du travail d’intérêt général me paraît pertinente pour remettre les parents devant leurs responsabilités », reconnaît Xavier Iacovelli. Toutefois, « le travail d’intérêt général est une peine, ainsi les parents seraient condamnés – et potentiellement incarcérés en cas d’inexécution de cette peine – suite à des actes posés par leurs enfants », comme l’a rappelé récemment le Syndicat de la magistrature dans un communiqué.
Le gouvernement doit « interroger également les carences du système socio-éducatif »
L’ancienne ministre de la Famille, de l’Enfance et des Droits des femmes et actuelle sénatrice socialiste, Laurence Rossignol appelle le gouvernement à ne pas faire la moitié du chemin » et « interroger également les carences du système socio-éducatif qui guide la vie des enfants ». « Le système scolaire qui manque de professeurs, l’asphyxie de l’éducation populaire, le manque de personnels dans les modes d’accueil de la petite enfance et surtout l’effondrement de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) qui ne s’occupe pas uniquement du placement des mineurs mais qui fait tout un travail de prévention et d’aides aux familles », liste-t-elle.
« Bien souvent, vous avez des enfants qui sont suivis par un juge des enfants. Ils bénéficient d’une mesure de protection comme un placement ou un suivi en milieu ouvert par des éducateurs. Mais ces mesures ne sont pas exécutées par manque de moyens », appuie Sarah Pibarot.
La présidente de la délégation aux droits des femmes, Dominique Vérien (centriste) milite pour sa part en faveur de la multiplication des lieux d’accueil pour les parents qui sont un peu en perdition, soumis à des injonctions contradictoires entre le fait de ne pas brimer leurs enfants et la nécessité de leur donner un cadre. Après, au niveau répressif, il suffit simplement d’appliquer la loi. Je ne comprends pas l’intérêt de faire payer aux parents d’enfants responsables de dégradations une contribution financière auprès d’une association de victimes alors que le code civil prévoit déjà que les parents sont responsables des dommages causés par leurs enfants ».
Aurore Bergé a également insisté sur les difficultés des familles monoparentales. « Les pères ne peuvent pas se résumer à une pension alimentaire. La société a fini par s’accommoder du fait que les femmes assument seules certaines missions auprès des enfants », a-t-elle regretté.
La délégation aux droits des femmes du Sénat lancera, justement, ce jeudi une mission d’information sur les familles monoparentales.