Salon de l’agriculture : le grand débat, « un échec historique pour la communication de l’Élysée »
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Qu’est-ce qui a bien pu passer par la tête du chef de l’État ? À la veille de l’ouverture du Salon de l’agriculture, échéance à laquelle les exploitants attendent des réponses concrètes de l’exécutif pour solutionner la crise qu’ils traversent, la tension monte d’un cran. Jeudi 22 février, l’Élysée a annoncé vouloir organiser « un échange direct et franc » entre le président de la République et les acteurs du monde agricole, « pour esquisser l’avenir » de la filière. La rencontre doit avoir lieu dès l’ouverture du Salon, samedi 24 février, sur l’un des « rings » du hall 1 et promettait une confrontation entre syndicats agricoles, patrons de l’agroalimentaire et de la grande distribution et associations environnementales.
Oui mais voilà, l’invitation des Soulèvements de la Terre – organisation dissoute par l’exécutif, avant que cette décision soit annulée par le Conseil d’État – provoque la colère du président de la FNSEA, Arnaud Rousseau. L’Élysée a eu beau décommander le collectif écologiste aussitôt la polémique lancée, le mal est fait. Après la réunion de son conseil exécutif, le syndicat majoritaire annonce « qu’aucun représentant de la FNSEA » ne participera au débat. Michel-Edouard Leclerc, invité pour représenter l’enseigne de grande distribution, ne s’y rendra pas non plus, dénonçant « un coup de com’ pas vraiment au niveau de la situation ».
Le choix des invités du grand débat déplaît jusqu’au sein du gouvernement, puisque le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau a lui aussi jugé, sur le plateau de TF1, que la présence des Soulèvements de la Terre était « inopportune ». Depuis, l’exécutif rétropédale et explique que « les Soulèvements de la Terre n’ont été ni conviés, ni contactés », plaidant « une erreur faite lors de l’entretien avec la presse en amont de l’événement ».
« La préoccupation d’Emmanuel Macron, c’est d’organiser des séquences historiques »
Si l’initiative suscite cette fois-ci un tollé, l’organisation de grands débats a longtemps été brandie comme « la méthode de communication miracle pour se sortir des crises », explique le professeur en communication politique Philippe Moreau-Chevrolet, « jusqu’à présent, la technique avait été extrêmement efficace pour sortir du conflit des gilets jaunes et de la séquence des émeutes ».
Pour sortir de cette nouvelle crise, le projet de l’Élysée n’étonne donc pas les observateurs de la vie politique. « Emmanuel Macron s’est concentré sur la scène européenne, Gabriel Attal se concentrant sur la scène nationale lors de la crise. Le président arrive donc comme celui qui peut régler les problèmes, il donne le sentiment que le chef de l’État agit », explique le politologue Benjamin Morel, invité de la matinale de Public Sénat ce 23 février.
Mais, cette fois-ci, la bonne recette ne prend pas. « C’est un échec historique pour la communication de l’Élysée », tranche Philippe Moreau-Chevrolet. Pour le communiquant de l’agence MCBG Conseil, en invitant les Soulèvements de la Terre, l’exécutif a tenté un « coup politique » : « La préoccupation d’Emmanuel Macron, c’est d’organiser des séquences historiques. L’idée, c’était donc d’aller chercher, face à la FNSEA, le partenaire écologiste le plus radical. Pour qu’on se dise que le président – au-dessus de la mêlée, au-dessus de la polémique – est décidément le seul à pouvoir rassembler toutes les parties en présence. »
« La FNSEA attend qu’on lui parle en coulisses pour co-gérer le monde agricole »
Mais l’invitation des Soulèvements de la Terre, qu’ils ont eux aussi immédiatement déclinée, est-elle l’unique raison du coup de gueule de la FNSEA ? Jean-Christophe Bureau, professeur d’économie à AgroParisTech, s’interroge : « La FNSEA n’a pas lancé les manifestations d’agriculteurs, mais elle a bien récupéré le mouvement pour le canaliser en un ensemble de revendications. Au-delà d’un couac de l’exécutif, cela pourrait être une autre manifestation pour montrer qu’ils sont toujours aux commandes. »
Même si son bilan est contrasté, le grand débat national organisé pour sortir de la crise des gilets jaunes en 2019 a permis de recueillir les doléances d’un collectif sans corps intermédiaires. Appliqué à la colère des agriculteurs, qui figurent parmi les professions les plus syndiquées, l’événement risquerait de brouiller le principe de « cogestion » des affaires agricoles, qui lie le gouvernement aux organisations professionnelles. « Si le président est dans ce rapport d’interaction directe, alors que la FNSEA attend qu’on lui parle en coulisses pour co-gérer le monde agricole, cela ne risque pas de lui faire plaisir », estime Benjamin Morel.
Arnaud Rousseau n’avait donc « aucun intérêt à accepter un tel dispositif », explique Philippe Moreau-Chevrolet : « La FNSEA a gagné son pari politique, c’est elle la maîtresse des horloges, elle a gagné sur tous les tableaux. Elle n’avait aucun intérêt à jouer le jeu en se plaçant de cette façon là sous l’autorité de l’Élysée ». Alors que les tracteurs de la Coordination rurale, des Jeunes agriculteurs et de la FNSEA défilent ce vendredi dans Paris pour maintenir la pression, les syndicats agricoles semblent ainsi conserver l’avantage dans leur bras de fer avec l’Etat.
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