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Révision de la Constitution par référendum : Marine Le Pen dans une impasse juridique et politique
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En détaillant sa réforme des institutions au tout début de l’entre-deux-tours, Marine Le Pen a mis la question à l’agenda de la campagne du second tour. La candidate RN entend notamment remettre le référendum au cœur de la Vème République, en abaissant le seuil de déclenchement du Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC) à 500 000 signatures, afin que celui-ci devienne « un outil de gouvernement » comme un autre. Le problème, c’est que nombre de constitutionnalistes estiment que la procédure qu’elle envisage pour réviser la Constitution serait censurée par le Conseil constitutionnel. Marine Le Pen récuse régulièrement ces procès en inconstitutionnalité, notamment le 5 avril dernier dans la matinale de France Inter, elle avait par exemple qualifié l’analyse de Dominique Rousseau, un « constitutionnaliste d’extrême-gauche », de « stupide » et « ignoble. » Pourtant, Didier Maus, conseiller d’Etat et président de l’Association française de droit constitutionnel, abonde dans le sens de son collègue juriste. Au niveau purement juridique, réviser la Constitution par le référendum législatif prévu par l’article 11 serait censuré par le Conseil constitutionnel. Mais cela n’épuise pas toute la question.
>> Pour en savoir plus : La réforme des institutions au cœur du duel Macron – Le Pen
« Mme Le Pen a des souvenirs d’une époque où elle n’était pas encore étudiante »
Marine Le Pen entend réformer la Constitution, à la fois pour approfondir le rôle du référendum, et pour en changer le contenu sur certains sujets comme l’immigration. Pour ce faire, c’est normalement l’article 89 de la Constitution qui prévaut, puisqu’il organise la procédure de révision constitutionnelle : un projet, ou une proposition de loi, de révision constitutionnelle doit être adopté en termes conformes par l’Assemblée nationale et le Sénat, puis soit adoptée par référendum, soit par 3/5 du Parlement réuni en Congrès. Cette solution est exclue pour la révision constitutionnelle de Marine Le Pen, qui aurait des difficultés à obtenir une majorité à l’Assemblée nationale aux législatives, et qui n’aurait de toute façon aucun espoir d’avoir une majorité au Sénat avant 2026. Ce sera en effet le premier renouvellement qui interviendra après les municipales de 2026, et qui pourrait donc occasionner un changement de majorité sénatoriale, si le RN venait à conquérir suffisamment de mairies.
L’usage du référendum et la promesse d’une révision de la Constitution sur l’immigration faisant véritablement partie de l’ADN du Rassemblement national, Marine Le Pen entend contourner la difficulté en passant par le seul autre article de la Constitution permettant d’organiser un référendum : l’article 11 qui prévoit la possibilité de convoquer des référendums sur « tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la Nation et aux services publics qui y concourent. » Elle se rattache ainsi à l’usage qu’en avait fait le général de Gaulle en 1962, sur l’élection du Président de la République au suffrage universel, et en 1969 sur la réforme du Sénat et la régionalisation, qui avait effectivement utilisé le référendum législatif pour réviser la Constitution. « Mme Le Pen a des souvenirs d’une époque où elle n’était pas encore étudiante », ironise Didier Maus, qui estime que « de nombreux éléments jouent contre la position de Mme Le Pen. »
« C’est compliqué politiquement de dire au peuple ‘vous avez voté, mais vous n’aviez pas le droit’ »
Tout d’abord, le constitutionnaliste rappelle que dès 1962, l’usage détourné de l’article 11 par de Gaulle avait été critiqué « par un certain nombre de gens », dont le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel qui avaient émis des avis – pas publics à l’époque – jugeant le recours à l’article 11 non conforme à la Constitution. Et depuis, l’évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel « reconnaît la possibilité de contrôler les décisions préalables à l’organisation du référendum. » L’idée de la fameuse décision « Hauchemaille » (2000) du Conseil constitutionnel, explique Didier Maus, c’est que « si les griefs allégués [à l’irrégularité du référendum] sont suffisamment pertinents, il vaut mieux se prononcer avant son organisation qu’après. » Il paraît en effet « compliqué au niveau politique » de dire au peuple « vous avez voté, mais vous n’aviez pas le droit », une fois le résultat du vote connu.
Finalement « tous les commentateurs disent que l’article 89 c’est la Constitution et l’article 11, c’est le référendum législatif », conclut Didier Maus. Mais alors, que répondre à Marine Le Pen quand elle explique que le Conseil constitutionnel n’a pas à empêcher le peuple de s’exprimer, mêlant ainsi l’argument juridique et l’argument politique de souveraineté populaire ? « Le peuple c’est souhaitable qu’il se prononce, mais selon les procédures prévues pour cela. Une Constitution c’est fait pour organiser ces procédures et il vaut mieux les respecter que de ne pas les respecter. » Le constitutionnaliste évoque le concept de « coup d’Etat constitutionnel » pour qualifier de tels procédés et estime que « Mme Le Pen devrait éviter qu’on puisse lui accoler cette expression, mais à 10 jours du second tour, elle fait de la politique. »
« Il y a un obstacle politique réel à une révision constitutionnelle, il faudra y réfléchir à froid »
Et au fond, la question n’est pas uniquement juridique. Au-delà de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de l’interprétation de la Constitution, l’impasse de Marine Le Pen est politique, puisqu’avec une majorité parlementaire, la question de la légalité d’une réforme de la Constitution facilitant le recours au référendum ne poserait pas de problème en soi. « C’est en termes de faisabilité politique que Marine Le Pen est dans une impasse. Il faut déjà qu’elle soit élue Présidente, puis qu’elle est une majorité à l’Assemblée nationale, et même si cela arrivait se poserait la difficulté du Sénat », explique Didier Maus. On se rappelle du rôle du Sénat et de la commission d’enquête Benalla dans l’échec de la réforme constitutionnelle entamée par Emmanuel Macron.
« Il y a un obstacle politique réel à une révision constitutionnelle, il faudra y réfléchir à froid, on ne peut pas dire n’importe quoi en pleine période électorale », concède Didier Maus. Le Sénat étant renouvelé par tiers tous les 3 ans et étant historiquement favorable à la droite, toute autre majorité présidentielle, qu’elle soit de gauche ou d’extrême-droite, ne pourrait peut-être jamais toucher à la Constitution, en l’état actuel des forces politiques en tout cas. « La difficulté étant que si on veut réviser la Constitution pour réduire le rôle du Sénat dans le processus de révision constitutionnelle, il ne sera jamais d’accord. Il ne faut ni sous-estimer la difficulté, ni la mésestimer. Il va falloir trouver une procédure ou un accord politique, mais on ne peut pas utiliser l’article 11 pour réviser la Constitution ou pour faire passer un projet de loi contraire à la Constitution. » L’illégalité de la procédure envisagée par Marine Le Pen ne doit donc pas faire oublier un blocage politique qui peut interroger : jusqu’en 2026 au moins, aucune réforme constitutionnelle ne pourrait être menée sans l’accord de LR, peu importe le résultat de l’élection présidentielle ou d’un éventuel référendum.