Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.
Retraites : prise en étau par le RN, comment la gauche va-t-elle faire pour abroger la réforme?
Par Simon Barbarit
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« La bataille parlementaire sur les retraites nécessite un travail entre l’Assemblée nationale et le Sénat extrêmement fin et coordonné, pour que d’ici juin 2025, nous ayons définitivement abrogé la réforme », expliquait le 19 septembre la présidente du groupe écologiste de l’Assemblée nationale, Cyrielle Chatelain lors d’une conférence de presse aux côtés de son homologue à la haute assemblée, Guillaume Gontard.
A quelques jours de la rentrée parlementaire, le premier combat pour la gauche va consister à éviter le piège tendu par le RN qui inscrira le 31 octobre une proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites. Conformément au règlement de l’Assemblée nationale, le groupe d’opposition disposant du plus grand nombre de députés voit sa niche parlementaire examinée en premier.
Le texte du député RN, Thomas Ménagé, prévoit de faire revenir l’âge normal de départ à 62 ans « à compter de la génération 1955 », et de fixer la durée de cotisation requise à 42 annuités, « à compter de la génération 1961 ». Un texte « transitoire », avant une réforme plus large en cas d’arrivée au pouvoir, a-t-il fait valoir.
« Le RN n’est pas un parti comme les autres et nous ne participerons pas à sa normalisation »
Dans un même élan, écologistes, socialistes et communiste de l’Assemblée et du Sénat dénoncent « un coup politique » de la part de la formation d’extrême droite. Dans un communiqué, les députés PS précisent qu’ils ne voteront pas ce texte sans toutefois préciser s’ils voteront contre ou s’abstiendront. Ils fustigent l’initiative du RN de triple « mensonge » : « Politique », « institutionnel », et « social ». Ils rappellent que le RN refuse de voter la censure du gouvernement Barnier et de ce fait permettent à la politique d’Emmanuel Macron de perdurer. Un « mensonge institutionnel » car ne disposant pas de groupe au Sénat, même adopté par les députés, la navette parlementaire s’arrêterait là, car aucun groupe de la Haute assemblée ne reprendrait le texte dans sa niche. Enfin, un « mensonge social » car le RN a « été totalement absent de la mobilisation et du débat parlementaire contre la retraite à 64 ans », expliquent-ils. Du côté des communistes et écologistes, la consigne de vote vis-à-vis du texte du RN n’est pas encore totalement tranchée. « Pour nous, côté Sénat, c’est l’abstention. Contrairement à ce que dit le Premier ministre, le RN n’est pas un parti comme les autres et nous ne participerons pas à sa normalisation », indique Guillaume Gontard.
Pour batailler contre la réforme des retraites, et contourner le « piège » RN, les parlementaires de gauche disposent d’autres moyens. D’abord, celui de la voie d’amendements au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, dont l’examen à l’Assemblée devrait avoir lieu avant celui de la proposition de loi RN. Au Sénat, les trois groupes de gauche déposeront aussi des amendements en ce sens.
La validité juridique d’une réforme du régime des retraites par la voie d’un amendement au PLFSS est une question qui s’était posée il y a deux ans, mais pour le gouvernement, un temps tenté par cette solution. Le véhicule législatif sera finalement celui d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif. A l’époque, les groupes de gauche arguaient que le biais d’un amendement, privait la représentation nationale de certains éléments pour étudier en détail les tenants et les aboutissants de la réforme. Les articles relatifs à la réforme des retraites étant absents du projet de loi initial, l’étude d’impact était donc silencieuse sur le sujet.
Comme nous l’expliquions ici, l’introduction de mesures « paramétriques » adoptées par voie d’amendement, portant sur la durée de cotisation, ou encore le minimum de pension seraient recevables pour le Conseil constitutionnel. C’est d’ailleurs ce qu’a fait la droite sénatoriale à plusieurs reprises ces dernières années, en intégrant à la version sénatoriale du PLFSS un relèvement de l’âge légal de départ en retraite.
« Notre stratégie est celle d’une interpellation du gouvernement »
Contre ces amendements revenant sur l’âge de départ à la retraite, le gouvernement a théoriquement la main via la possibilité de déclencher l’article 49.3 sur le budget de la Sécu. Mais prendrait alors le risque de se voir opposer une motion de censure. C’est cette pression sur l’exécutif qu’assument les élus de gauche. « Notre stratégie est celle d’une interpellation du gouvernement afin qu’il rouvre les négociations avec les partenaires sociaux afin de revenir sur une réforme non seulement injuste mais aussi peu rentable. S’il s’agit de récupérer 12 milliards d’euros par an, autant aller taxer les superprofits », indique Patrick Kanner qui observe que le ton a déjà changé à Matignon depuis la nomination de Michel Barnier, lequel s’est dit prêt « à ouvrir le débat sur l’amélioration ».
« On sait très bien que des amendements ou une proposition de loi avec une navette parlementaire qui prendrait au bas mot un an et demi, ne sont pas les vecteurs les plus efficaces pour abroger la réforme. Ce qui est le plus efficace, c’est un gouvernement qui a une majorité à l’Assemblée. Mais personne ne peut dire quel gouvernement nous aurons au printemps », appuie la présidente du groupe communiste, Cécile Cukierman.
C’est pourquoi Cécile Cukierman refuse de se voir dicter un agenda social par le RN. La première niche parlementaire de son groupe interviendra d’ailleurs au même moment que celle du groupe de Marine Le Pen, le 30 ou le 31 octobre. Les textes ont déjà été déposés, il s’agira d’une proposition de loi de Fabien Roussel, déjà adoptée à l’Assemblée sur la prise en charge du cancer du sein et d’une proposition de loi sur l’efficacité des services publiques sur tout le territoire.
Le 28 novembre, les députés LFI devraient quant à eux examiner dans leur niche un texte d’abrogation de la réforme des retraites. S’il était adopté, c’est ce texte qui pourrait être repris dans une niche d’un des groupes de gauche du Sénat en 2025. Ce n’est pas la première fois qu’une proposition de loi visant à abroger la réforme des retraites est déposée. La plus marquante, celle du groupe LIOT à l’Assemblée, c’était vu opposer « l’irrecevabilité financière », le fameux article 40 de la Constitution qui permet de retoquer une proposition de loi, selon un motif budgétaire, avant le vote, c’est-à-dire si le texte a pour « conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Dans des conditions contestées, Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Assemblée Nationale, avait eu recours à l’article 40 estimant que l’article premier de la proposition de loi sur la mesure d’âge « était » créateur de charges », et donc « non conforme à la Constitution ». Mais la donne a changé pour l’exécutif, qui n’a plus de majorité au Bureau et reste soumis à la menace d’une motion de censure.
Au Sénat, selon un gentleman agreement », l’article 40 n’est jamais invoqué en commission des finances sur les propositions de loi qui sont traditionnellement gagées via une augmentation de la fiscalité sur le tabac. Pour être définitivement adoptée, une proposition de loi doit être votée dans les mêmes termes par les deux chambres. Dans le cas contraire, c’est le gouvernement qui a le choix de convoquer une commission mixte paritaire ou de laisser se poursuivre la navette. Après l’adoption définitive de la proposition de loi, si le gouvernement décidait de saisir le Conseil constitutionnel, ce dernier aurait alors un mois pour se prononcer, un délai pendant lequel la promulgation du texte de loi est suspendue.
« Il va être compliqué pour le gouvernement de continuer à aller contre la volonté citoyenne »
« La bataille des retraites va s’inscrire sur le temps long. Cette question a été tranchée lors de la dernière campagne des législatives. Les Français se sont clairement prononcés en faveur de son abrogation. Il va être compliqué pour le gouvernement de continuer à aller contre la volonté citoyenne. Quant à la majorité sénatoriale qui fait partie maintenant de la majorité gouvernementale sa position sera aussi difficilement tenable lorsqu’elle devra examiner une proposition de loi déjà adoptée à l’Assemblée. Je me rappelle qu’il y a deux ans, déjà, une cinquantaine de sénateurs LR n’avaient pas voté la réforme. Ce sera de leur responsabilité de s’arc-bouter sur une réforme que personne ne veut », prévient le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard qui compte aussi sur la mobilisation syndicale de cet hiver pour accentuer la pression.
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