La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Retraites : pourquoi beaucoup va se jouer lors de la commission mixte paritaire entre députés et sénateurs
Par François Vignal
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La réforme des retraites, dans le contexte de majorité relative à l’Assemblée, amène le grand public – et les médias – à s’intéresser plus que d’habitude aux travaux parlementaires et à leurs règles. On peut parier qu’on entendra beaucoup parler de « CMP » d’ici quelques semaines. Voici pourquoi.
Après l’examen à l’Assemblée, les sénateurs vont plancher sur la réforme des retraites à partir du 28 février en commission, puis du 2 au 12 mars dans l’hémicycle. Avec 11 jours de travaux, c’est deux de plus qu’à l’Assemblée, qui n’a pas ouvert les week-ends. S’il faut attendre de voir quel texte sortira du Sénat, on sait déjà que le contexte donnera une importance toute particulière à l’étape suivante : la Commission mixte paritaire, CMP pour les intimes.
Comment fonctionne une CMP ?
Dans le cadre du bicamérisme, après examen par l’Assemblée nationale puis le Sénat d’un projet ou d’une proposition de loi, et si les versions du texte diffèrent, c’est là que 7 députés et 7 sénateurs se retrouvent à huis clos pour tenter de trouver un accord sur un texte commun. Selon la volonté et le poids politique des partis représentés, chacun discute et cherche un terrain d’entente.
S’il y a accord, les travaux de la CMP sont conclusifs. Le texte poursuit ensuite son parcours parlementaire. Le gouvernement soumet au vote des députés puis des sénateurs les lectures des conclusions de la CMP. Une fois le texte voté par chaque chambre dans les mêmes termes, il est définitivement adopté.
En cas d’absence d’accord, le texte repart pour une nouvelle et dernière lecture (sur les textes budgétaires, il n’y a pas de seconde lecture, la procédure d’urgence qui limite à une lecture par chambre avant CMP est de droit). C’est alors reparti pour un tour de navette parlementaire. Le texte repasse donc devant l’Assemblée, puis de nouveau au Sénat, avant son retour devant les députés. C’est là que l’Assemblée a le dernier mot. C’est cette dernière mouture du texte qui donnera la loi.
La droite sénatoriale apportera son soutien à la réforme
La procédure étant rappelée, on comprend pourquoi, dans le contexte politique, la version définitive de la réforme des retraites pourrait se jouer pour beaucoup en CMP. A l’Assemblée, du fait du recours à l’article 47-1 par le gouvernement, pour limiter le temps de débats (et se garder sous le coude un 49-3 pour passer en force, en cas d’absence de majorité), et de l’obstruction des députés LFI, l’examen n’est même pas allé jusqu’à l’article 3.
La majorité sénatoriale, composée des LR et des centristes, entend elle aller au bout de l’examen et voter sur l’ensemble du texte. Ils modifieront le projet de loi, que ce soit sur les carrières hachées des femmes, les carrières longues ou l’index seniors. Mais sur le cœur du texte du report de l’âge de départ à 64 ans et de l’accélération de la réforme Touraine, la droite sénatoriale apportera son soutien. Et pour cause : le gouvernement s’est fortement inspiré de ce que fait le Sénat depuis plusieurs années.
« Ce sera une CMP un peu unilatérale, donc elle prend une dimension nouvelle »
Le texte qui arrivera en CMP portera de fait la signature du Sénat. Mais cette commission mixte paritaire sera particulière, car les députés ne sont pas allés au bout. « La commission mixte paritaire aura forcément un rôle important, du fait que l’Assemblée ne s’est pas prononcée sur le texte. D’habitude, la CMP, c’est la négociation entre les débats qui ont eu lieu à l’Assemblée et les débats du Sénat, dans le but d’améliorer le texte. Là ce sera une CMP un peu unilatérale, donc elle prend une dimension nouvelle », souligne le sénateur LR René-Paul Savary, rapporteur du projet de loi au Sénat. « On est un peu dans l’inédit », ajoute la centriste Elisabeth Doisneau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat.
Cette CMP « unilatérale », dont parle René-Paul Savary, ne veut pas dire que les sénateurs iront en estimant que leur texte est à prendre ou à laisser. « Il y aura une négociation, bien sûr. On verra ce que le gouvernement nous propose à travers des amendements », qui viendront pour le coup avant la CMP, lors de l’examen au Sénat. Le deal passé entre la première ministre Elisabeth Borne et Eric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau pour les LR, pourra être respecté plus facilement qu’à l’Assemblée, où Aurélien Pradié a montré un visage divisé des LR. Une chose est sûre selon René-Paul Savary :
Le Sénat aura une main importante sur le texte.
Une large majorité en faveur de la réforme en CMP
Quel sera l’équilibre en CMP pour ce PLRSS qui porte la réforme des retraites ? Défini selon l’importance des groupes politiques, il pourrait être similaire à la CMP du dernier Budget de la Sécu. Il y avait alors dans les titulaires 4 parlementaires Renaissance (3 députés et 1 sénateur) et 1 Modem, soit 5 membres de la majorité présidentielle. On comptait 4 LR (3 sénateurs et un député) et 1 sénateur Union centriste, soit 5 parlementaires sur la ligne de la droite et du centre. On comptait 2 PS, 1 LFI et 1 RN. On voit qu’entre la majorité présidentielle, les LR et les centristes, il y aura une large majorité en faveur de la réforme en CMP.
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Autre hypothèse : que se passe-t-il si les sénateurs ne vont pas au bout du texte ? C’est l’objectif affiché par les socialistes ou les communistes au Sénat. « On a deux journées de plus d’examen. Est-ce que ça suffira pour examiner l’ensemble des amendements ? » demande Elisabeth Doisneau. « Si le Sénat ne va pas au bout, cela poserait alors un problème démocratique, c’est certain », ajoute la sénatrice centriste de la Mayenne. On aurait alors une CMP qui ne pourrait se baser ni sur le texte de l’Assemblée, ni sur celui du Sénat. Mais on ne devrait pas en arriver là. « Je pense que le Sénat mettra tout en œuvre pour débattre du texte en entier », glisse la rapporteure générale de la commission des affaires sociales.
« Tous les textes ont eu des CMP conclusives depuis le début du quinquennat »
Si le Sénat va bien au bout, la majorité sénatoriale pourra arriver en position de force pour négocier en CMP. Et négocier est bien l’objectif. Pour la date de la CMP, on évoque le mardi 14 mars. Mais « au Sénat, on plaide pour le jeudi 16 mars, pour avoir le temps de trouver un bon compromis », glisse un membre de la majorité. Car une CMP ne se limite pas au huis clos de la réunion en elle-même. Des réunions préparatoires sont organisées en amont, ainsi que des échanges informels entre députés et sénateurs, où l’éventuel accord commence à se jouer. Et depuis le début du second mandat d’Emmanuel Macron, la fumée blanche est devenue la norme entre la majorité présidentielle et la droite sénatoriale. « Tous les textes ont eu des CMP conclusives depuis le début du quinquennat », relève un pilier du groupe Renaissance à l’Assemblée.
Mais certains pourraient alors trouver à redire, estimant qu’une réforme d’ampleur, qui déterminera la vie de millions de Français pour des dizaines d’année, se retrouve négociée par 14 parlementaires, ou plutôt 10 de la majorité présidentielle et sénatoriale. « Non, ça ne posera pas de question démocratique. C’est à l’Assemblée d’examiner le texte. C’est là qu’il y a un problème démocratique. Il y a eu obstruction et le texte n’a pas pu être analysé en profondeur », souligne René-Paul Savary, qui remarque que la procédure parlementaire et la CMP sont prévues dans nos lois. « Il y a la Constitution, qui est claire. Elle est appliquée. Le fruit des débats parlementaires ne peut pas être remis en cause », rappelle le rapporteur LR du texte, qui ajoute qu’« après la CMP, les conclusions sont votées à l’Assemblée, qui doit valider, et au Sénat ». Comme dit un parlementaire de la majorité, « au bout du bout, il y aura un vote ». Sauf dans le cadre de ce recours à l’article 47-1, si le texte n’est pas adopté dans un délai de 50 jours, le gouvernement peut mettre en œuvre les dispositions par ordonnances…