Ainsi s’achève une année parlementaire mouvementée. Un an après l’élection de la nouvelle Assemblée nationale à majorité relative, la fin de la session extraordinaire de juillet 2023 marque la conclusion de la première année d’une législature inédite, alors que les députés doivent encore examiner le projet de loi Industrie verte en fin de semaine. Une fois ce dernier texte examiné, l’heure sera au bilan d’un an de vie parlementaire particulièrement intense, où l’exécutif aura dû composer avec une majorité relative à l’Assemblée nationale. Mais la nouvelle configuration politique à l’Assemblée a aussi changé la donne au Sénat, notamment par l’intermédiaire du poids des LR en commission mixte paritaire, conférant ainsi à la majorité sénatoriale un rôle pivot dans le vote des textes.
Retour sur le vote d’une dizaine de textes qui ont marqué l’année : les budgets de l’Etat et de la Sécu, et la réforme des retraites, bien sûr, les différentes lois de programmation du ministère de l’Intérieur, et militaire, ainsi que les textes sur les énergies renouvelables, le nucléaire, ou les JO. Hormis les textes budgétaires que le gouvernement a fait adopter par 49-3, la majorité sénatoriale a voté les principaux textes qui lui ont été présenté par le gouvernement, parfois en arrivant à y introduire des modifications.
Mesures d’urgence pour le pouvoir d’achat : premier accord trouvé avec LR
En plein pic inflationniste, l’exécutif avait décidé d’ouvrir une session parlementaire extraordinaire dans la foulée des législatives pour voter des textes d’urgence : un projet de loi sur la pouvoir d’achat misant sur les mécanismes d’intéressement et la revalorisation des minima sociaux et des retraites, et un projet de loi de finances rectificative mettant notamment en place une remise à la pompe. Un baptême du feu plus que mouvementé dans une Assemblée nationale où les macronistes étaient habitués à une majorité confortable et avaient dû apprendre à composer avec des oppositions majoritaires. Le texte avait finalement été adopté avec les voix du Rassemblement national et des Républicains, tandis que LFI et les écologistes avaient voté contre et que les socialistes s’étaient abstenus.
Des tractations qui avaient surtout mis en lumière des dissensions entre le groupe LR à l’Assemblée et au Sénat puisque les députés LR avaient poussé pour une « ristourne » généralisée sur le carburant, tandis que la majorité sénatoriale avait tenté de cibler le dispositif. La droite sénatoriale s’était finalement alignée sur le compromis trouvé entre le gouvernement et le groupe LR à l’Assemblée, et le budget rectificatif avait été adopté par la majorité sénatoriale, avec tout de même 11 abstention à l’aile droite du groupe LR, et 5 votes contre au groupe centriste. Les trois groupes de gauche, socialiste, écologiste et communiste, avaient voté contre (92 voix).
Sur le texte pouvoir d’achat, les socialistes s’étaient seulement abstenus et le texte était passé plus largement, avec seulement 27 voix contre des groupes communistes et écologistes, ainsi que de 7 sénateurs de l’aile droite du groupe LR.
Projet de loi de finances et projet de loi de financement de la Sécurité sociale : 49.3 x 9
L’examen du budget avait été plus complexe pour l’exécutif, les LR ayant annoncé d’emblée qu’ils ne voteraient pas un « texte politique » restant dans l’opposition. Le gouvernement s’en est donc remis au 49-3 qu’il n’a pas hésité à utiliser puisqu’Elisabeth Borne a engagé la responsabilité de son gouvernement à 9 reprises sur les deux textes budgétaires.
Dans le détail, la droite sénatoriale n’avait pas eu gain de cause sur ses principaux désaccords avec le gouvernement, et notamment la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), un impôt de production collecté par les collectivités locales. Le gouvernement a maintenu sa suppression dans la version finale du budget, contre le vote du Sénat. Ainsi, en nouvelle lecture, le Sénat avait rejeté le texte d’emblée par une motion préalable du rapporteur général, Jean-François Husson, votée par LR, les centristes et les socialistes. Les groupes communiste et écologiste s’étaient abstenus, tandis que les groupes soutenant la majorité présidentielle avaient voté contre.
Il en a été de même pour le budget de la Sécurité sociale. En première lecture, le Sénat a voté sa version, comprenant notamment le report de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Mais l’exécutif pouvant se reposer sur une utilisation illimitée des 49.3 sur les textes budgétaires, la rédaction définitive du budget de la Sécu retenue par le gouvernement a été rejetée par question préalable au Sénat, votée par LR, le groupe socialiste et le groupe centriste.
Loi LOPMI : une loi largement adoptée après des concessions faites au Sénat et à la droite
Sur la loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur – dite « LOPMI » – les discussions entre le gouvernement et la majorité sénatoriale ont été beaucoup plus fluides. Si l’augmentation des moyens de 15 milliards d’euros sur cinq ans ont peu fait débat, la majorité sénatoriale – et notamment les rapporteurs Marc-Philippe Daubresse (LR) et Loïc Hervé (UC) – ont obtenu gain de cause sur deux dossiers.
D’abord sur la réforme de la police judiciaire (PJ), qui se fera ensuite par voie réglementaire, Marc-Philippe Daubresse avait finalement fait adopter un amendement qui « reprenait toutes les garanties souhaitées par la PJ », avait-il assuré. « L’architecture du texte est celle du Sénat », s’était ainsi félicité le rapporteur LR du texte au Sénat en sortant de la commission mixte paritaire.
Sur les amendes forfaitaires délictuelles (AFD), Loïc Hervé avait lui aussi obtenu leur limitation à une liste de 29 infractions, et non à tous les délits punis de moins d’un an de prison, comme le prévoyait la version initiale du texte. Seuls les groupes communistes et écologistes – 27 sénateurs – avaient voté contre la version sortie de la CMP, alors que même le groupe socialiste avait voté en faveur du texte.
Energies renouvelables : le gouvernement réussit à faire voter son texte par la droite, sans le droit de véto des maires
C’est peut-être un des textes où les négociations ont été les plus difficiles. En présentant un texte pour accélérer le développement des énergies renouvelables, le gouvernement a mis un sujet délicat sur la table, puisque la majorité sénatoriale a toujours été vent debout contre le développement « incontrôlé » des éoliennes dans certaines régions. Les sénateurs ont ainsi poussé pour introduire dans le texte un droit de véto des maires sur l’implantation d’installations de production d’énergies renouvelables. Après une séance pour le moins chaotique, un dispositif intermédiaire avait finalement été adopté par le Sénat.
Finalement, la version sortie de la CMP après plus de quatre heures de négociations confiait la planification écologique – et notamment la définition de zones prioritaires d’implantation – aux élus locaux, sans droit de veto des maires, soit plus ou moins la version du gouvernement. 10 sénateurs LR ont voté contre la version définitive du texte – dont Philippe Bas, et Bruno Retailleau, le président du groupe – tout comme 3 sénateurs centristes – François Bonneau, Christine Herzog et Jean-Marie Mizzon – mais le texte a finalement été adopté très largement par 300 voix contre 13.
Jeux Olympiques : la droite sénatoriale n’arrive pas à inscrire la reconnaissance faciale dans le projet de loi
Le projet de loi sur les Jeux Olympiques 2024 a – lui aussi – comporté sa pomme de discorde : la reconnaissance faciale par vidéo protection. Le texte prévoyait initialement l’instauration d’une vidéoprotection par algorithme analysant en temps réel les images pour détecter certains événements prédéterminés considérés comme « anormaux », comme les attroupements suspects, un colis abandonné, ou une personne qui court dans le sens inverse du déplacement de la foule. L’objectif était aussi de lutter contre le risque d’attentat terroriste. En cas de situation potentiellement suspecte, les forces de l’ordre sont alertées, avant de prendre une éventuelle décision.
Au Sénat, la droite a voulu approfondir le dispositif en autorisant aussi la reconnaissance faciale, ce qui a été écarté par le gouvernement. Le système repérera des « situations » et pas les individus en tant que tels, a assuré le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, devant le Sénat. La majorité sénatoriale a tout de même obtenu une prolongation de l’expérimentation, initialement prévue jusqu’au 31 décembre 2024, et repoussée au 31 mars 2025 (le Sénat avait poussé jusqu’au 25 juin en première lecture) pour les « manifestations sportives, récréatives ou culturelles. » Là aussi, seuls les groupes communistes et écologistes ont voté contre le texte, et les socialistes se sont abstenus. Le projet de loi a donc été adopté par 252 voix contre 27.
Réforme des retraites : la droite sénatoriale vote le texte du gouvernement
Si l’examen de la réforme des retraites à l’Assemblée n’a pas manqué de faire parler, le parcours du texte a été moins heurté au Sénat. Les négociations entre le gouvernement et la droite ont été ardues, mais la majorité sénatoriale a fini par voter la réforme des retraites, en ayant obtenu gain de cause sur plusieurs points, comme la hausse du minimum contributif pour les retraités actuels, l’extension du dispositif carrières longues ou le CDI Sénior (avant d’être censuré par le Conseil constitutionnel).
Le vote final a tout de même été beaucoup plus partagé qu’à l’accoutumé pour un texte validé par les sénateurs en commission mixte paritaire, avec 193 pour, 114 contre et 38 abstentions. 6 sénateurs LR et 7 sénateurs centristes ont voté contre, et 19 LR et 13 centristes se sont abstenus. Au groupe radical, 8 sénateurs ont voté contre et 3 abstentions, pour seulement 3 votes pour. Les groupes soutenant la majorité présidentielle ont voté pour et la gauche s’est abstenue.
Un consensus assez large sur la relance du nucléaire
Après l’utilisation du 49-3 sur la réforme des retraites, le projet de loi de construction de nouvelles installations nucléaires est bien tombé car relativement consensuel, même à l’Assemblée nationale, où la droite comme l’extrême droite, voire certains députés socialistes et communistes, étaient, dans l’idée, favorables à la relance du nucléaire en France. Seuls LFI et les écologistes étaient résolument contre, et le caractère extrêmement technique du texte a atténué la conflictualité des discussions.
Au Sénat, le consensus qui s’est dégagé a été encore plus large, puisque sans groupe LFI, seuls les écologistes se sont montrés résolument contre le principe du texte, et les communistes se sont abstenus en critiquant la vision très procédurale et techniciste du gouvernement qui s’est concentré sur la simplification administrative. Mais avec 315 voix pour et 13 contre, le texte a largement été adopté par la chambre haute, sans modification substantielle malgré les doutes exprimés par la majorité sénatoriale sur la politique énergétique du gouvernement.
Loi de programmation militaire : LR obtient une rallonge
Là aussi, sur le principe, la loi de programmation militaire (2024-2030), dite « LPM », pouvait mettre beaucoup de parlementaires d’accord. En tout état de cause, l’augmentation des moyens accordés à la défense nationale, dans un contexte de reprise des conflits conventionnels en Europe, pouvait assez facilement mettre d’accord les majorités présidentielles et sénatoriales.
Les sénateurs ont poussé pour accélérer le rythme des dépenses, et un accord a finalement été trouvé tard dans la nuit du 9 au 10 juillet, le Sénat ayant en effet obtenu une accélération de l’effort budgétaire dans les premières années, pour 2,3 milliards d’euros d’investissements supplémentaires. Comme sur le projet de loi nucléaire, la version sortie de la commission mixte paritaire a été largement votée par la chambre haute, avec 313 voix pour et 17 contre, dont 15 du groupe communiste et 2 du groupe écologiste.