La réforme des retraites est toujours en cours. Non pas celle que le Parlement a adoptée en mars dernier. Il s’agit ici de la réforme du système de retraites des sénateurs. Ce régime autonome, qui avait été à nouveau mis en lumière à la faveur des débats sur la réforme du gouvernement, va bientôt être revu.
« Un acte important »
Outre l’application de la réforme, comme s’y était engagé le président LR du Sénat, Gérard Larcher, avec le passage de 62 à 64 ans de l’âge de départ à la retraite, et l’accélération de la réforme Touraine sur le passage à 43 annuités, les sénateurs vont aller plus loin. Ils vont appliquer volontairement une baisse de 20 % du niveau de leur pension de retraite, a appris publicsenat.fr de sources parlementaires. « Un régime avantageux » jusqu’ici, des mots même de Gérard Larcher : un mandat de 6 ans donne droit à une retraite de 2.200 euros net. Après la réforme, la pension sera environ de 1.800 euros.
Le bureau du Sénat, où tous les groupes politiques sont représentés, a officiellement adopté à l’unanimité cette réforme, ce mercredi matin. Cette proposition de baisser les pensions résulte d’un groupe de travail qui a rassemblé tous les présidents de groupes politiques et les questeurs de la Haute assemblée, qui ont planché en amont sur le sujet. Lors de la dernière réunion, le 20 juin, à la présidence du Sénat, c’est une baisse de 20 % qui a été mise sur la table et arrêtée, selon plusieurs sources. « C’est un acte important. Ce n’est pas rien. C’est 1/5 », souligne un sénateur. « On sait qu’on sera toujours critiqués. Mais on l’a fait pour que ce soit juste », affirme un autre, soulignant que la réforme placera la retraite d’un sénateur au niveau « d’un cadre moyen/supérieur ».
Une surprise
La baisse va s’appliquer tout de suite pour les nouveaux élus de septembre 2023. Pour ceux en poste, ce sera en 2026, soit après le renouvellement sénatorial suivant, quand les deux séries auront été renouvelées. Une clause du grand-père est prévue. C’est-à-dire que cette baisse ne sera pas rétroactive.
Cette volonté de diminuer les pensions est une surprise. Elle n’a jusqu’ici jamais été annoncée. « Nous appliquerons la réforme, mais nous irons plus loin, sur un certain nombre de sujets, pour nous rapprocher notamment des grands systèmes additionnels. […] Nous souhaitons que le régime converge, notamment dans son régime additionnel », avait assuré Gérard Larcher le 2 mars, sur France 2, sans plus de détails. « Nous allons repousser de deux années (l’âge de départ) et nous allons faire un certain nombre de propositions pour adapter le régime », avait simplement affirmé sur Sud Radio, au même moment, Bruno Retailleau, président du groupe LR.
Un plafond de pension maximum
Autre idée que les sénateurs vont mettre en œuvre : la mise en place d’un plafond maximum de pension, afin que le montant de la retraite d’un sénateur ne puisse pas dépasser ce que touche un sénateur en exercice. Les quelques sénateurs qui enchaînent quatre voire cinq mandats par exemple, sont ici concernés. Selon le site du Sénat, le montant brut mensuel de l’indemnité parlementaire s’élève à 7.493 euros, soit 5.569 euros nets. Ce qui représente environ trois fois le montant de la pension pour un seul mandat, après réforme des – 20 %.
A combien s’élève la retraite moyenne des sénateurs ? « Le montant de la pension de retraite touchée par un sénateur lorsqu’il liquide sa retraite est de l’ordre de 3.856 euros net (ce qui correspond à des durées variables de cotisation en fonction du nombre de mandats) », avait répondu en 2019 le Sénat à Libération.
Une caisse financée grâce à près de 1,4 milliard d’euros de placements financiers
Si les sénateurs revoient à la baisse leurs pensions de retraite, ce n’est pas pour une question d’équilibre de leur caisse autonome. Au contraire. En plus des cotisations des sénateurs et de l’employeur, en l’occurrence le Sénat, qui sont plus importantes, la caisse est financée à 60 % par des « prélèvements sur les revenus procurés par les actifs financiers de la Caisse », explique le site du Sénat.
Il s’agit en réalité de placements, autrement dit d’une part de retraite par capitalisation. Et les placements ont été fructueux, puisqu’en 2021, la caisse totalisait 1,38 milliard d’euros d’actifs (en comptant la caisse de retraite du personnel du Sénat). Selon les comptes 2022 du Sénat, la caisse de retraite des sénateurs totalise 614,9 millions d’euros d’actifs, auquel s’ajoutent 727,9 millions d’euros pour la caisse de retraite du personnel du Sénat, soit un total de 1,34 milliard d’euros.
« C’est un régime qui coûte très peu cher à la dotation de l’Etat : moins de 8 millions d’euros »
« C’est un régime qui date de 1905, qui coûte très peu cher à la dotation de l’Etat : moins de 8 millions d’euros, quand pour les députés, c’est 67 millions d’euros. C’est aussi un régime avantageux, qui fait partie du statut de l’élu. Nous l’avons déjà modifié en 2010. Nous avons entamé une modification de ce système de retraite, car c’est un régime de base et un régime additionnel, comme les cadres », expliquait en mars, toujours sur France 2, Gérard Larcher. La retraite des parlementaires vise aussi à « pallier la rupture subie dans leur carrière professionnelle du fait de leur élection », comme le souligne le site du Sénat.
La réforme de 2010 avait exclu du calcul du montant de la pension les indemnités complémentaires que touchent les présidents de commission, les vice-présidents et le président du Sénat, les questeurs ou les présidents de groupes.
Les députés ont aussi réformé leur régime de retraite en 2018, en l’alignant sur celui de la fonction publique d’Etat. Depuis la nouvelle règle en vigueur, le montant net de la pension d’un député s’établit, au bout de 5 ans de mandat, à « 684,38 euros », selon le site de l’Assemblée.
Séparation des pouvoirs
Outre la bonne gestion de leur caisse autonome, le questeur Vincent Capo-Canellas expliquait en janvier dernier, à publicsenat.fr, pourquoi on observe une différence entre les deux régimes. « Le sénateur a un mandat de six ans, soit un an de plus qu’un député et cotise donc 20 % de plus. Ensuite, nous avons un système complémentaire que n’ont plus les députés, donc au global, on cotise près de 50 % de plus de ce que cotisent les députés, parce qu’ils ont choisi de renoncer à leur système complémentaire », résumait le sénateur UDI de Seine-Saint-Denis, qui a piloté les travaux de la réforme de la caisse de retraite de la Haute assemblée.
Il rappelait au passage que « ce sont des caisses autonomes parce que cela ne peut pas être l’exécutif qui détermine le montant de l’indemnité parlementaire, ou la pension de retraite. S’il en était différemment, cela serait une atteinte du pouvoir exécutif, qui pourrait être analysée comme une forme de pression et donc une atteinte à la séparation des pouvoirs ».
Les sénateurs écologistes avaient demandé plus de « transparence »
Lors des débats sur la réforme des retraites du gouvernement, la question de la caisse des sénateurs s’était invitée dans les débats et avait pris une tournure politique. A l’Assemblée, le député LR Pierre-Henri Dumont ne s’était pas fait que des amis chez les sénateurs, en déposant un amendement visant à aligner le régime des sénateurs sur le régime général.
Puis au Sénat, ce sont les sénateurs écologistes qui ont mis les pieds dans le plat. Ils ont demandé plus de transparence sur le système. Au point de déposer une proposition de résolution, signée par le président du groupe écologiste, Guillaume Gontard, mais aussi Patrick Kanner, son homologue du groupe PS, Eliane Assassi, à la tête du groupe communiste, et de nombreux sénateurs de gauche. Les sénateurs écologistes, qui aimeraient qu’un règlement précis de la caisse soit édité pour connaître son fonctionnement, souhaitent avoir aussi le détail des placements. Le texte de la résolution appelait notamment à « interdire que les réserves de la caisse soient investies dans les projets d’énergies fossiles, et notamment leurs infrastructures ». Lors de la réunion de juin, on leur a assuré que 80 % des investissements étaient vertueux. Dans la proposition de résolution, ils demandaient aussi « au bureau du Sénat, élargi à l’ensemble des groupes politiques, à engager une réflexion sur le régime autonome de retraites des sénatrices et sénateurs, pour plus d’exemplarité et de transparence ». La réflexion a bel et bien été engagée. La réforme proposée, avec l’ambition de montrer que les sénateurs s’appliquent aussi à eux-mêmes des efforts, est partagée à droite comme à gauche.