Une seule petite apparition, dans les toutes dernières pages des annexes du projet de loi. C’est seulement à la page 80 sur 83 que l’on voit enfin apparaître le terme de « pénibilité » dans le texte transmis par le gouvernement au Sénat au titre de l’article 47-1 de la Constitution. C’est un peu surprenant pour un projet de loi de réforme des retraites, qui était censé porter son lot de « mesures sociales », comme la revalorisation de certaines petites retraites et une meilleure prise en compte de la fameuse « pénibilité » au travail. En fait, si la pénibilité a bien disparu du texte porté par le gouvernement, c’est parce qu’un nouveau terme l’a remplacée : « L’usure professionnelle. »
L’article 9 de ce budget rectificatif de la Sécurité sociale 2023 s’attaque en effet à la « prévention et la réparation de l’usure professionnelle », en proposant notamment de déplafonner le nombre de points qui peuvent être acquis sur le « compte professionnel de prévention » (C2P). Un fonds d’investissement d’un milliard d’euros sur l’ensemble du quinquennat, et géré par la branche accidents du travail de la Sécurité sociale, sera aussi mis en place pour « la prévention de l’usure professionnelle. » Enfin, l’exécutif entend les « facteurs de risque » qui permettent de cumuler des points dans le C2P, mais le texte renvoie en l’état à la « négociation collective » pour définir ces critères.
Pénibilité : 4 critères sur 10 supprimés en 2017
Un sujet qui rappelle furieusement des débats du début de premier quinquennat d’Emmanuel Macron. À peine arrivé à l’Elysée, le Président de la République avait tout de suite entrepris de « simplifier » le « compte pénibilité » mis en place sous François Hollande en 2015. Au motif que certains critères étaient trop complexes à mettre en place pour les entreprises et que le compte pénibilité créait une « usine à gaz » pour les patrons, quatre critères sur dix avaient été supprimés : le port de charges lourdes, les postures pénibles, des vibrations mécaniques et l’exposition aux risques chimiques.
Que l’une des premières décisions d’Emmanuel Macron une fois devenu Président de la République ait été de supprimer un dispositif mis en place par son ancien gouvernement, avait été pris comme un camouflet par le Parti socialiste. Cette réforme des retraites semble être l’occasion de refaire le match. Patrick Kanner, président du groupe socialiste au Sénat expliquait ainsi ce dimanche dans Les Echos : « Nous allons proposer la réintroduction des critères de pénibilité supprimés par Emmanuel Macron au début de son premier quinquennat. »
« 4 critères de pénibilité arbitrairement supprimés pour plaire et complaire au Medef »
Les sénateurs socialistes ont ainsi d’ores et déjà déposé plusieurs amendements de suppression de l’article 9. Dans un de ces amendements, Corinne Féret, estime qu’en « refusant » de nommer la « pénibilité », le gouvernement « souligne sa méconnaissance du labeur enduré par des millions de travailleurs dans notre pays. » Jointe par téléphone, la sénatrice socialiste précise : « C’est significatif que le terme de pénibilité ne soit pas repris dans ce projet de loi. Evidemment qu’il y a de ‘l’usure professionnelle’, mais la pénibilité a un sens plus large. C’est une approche plus large du métier qui est pénible, mais pas seulement d’un individu usé. » Elle dénonce un fonds « très inférieur à ce que va coûter le relèvement de l’âge légal de départ en retraite de 62 à 64 ans », en rente d’invalidité notamment, et un financement de seulement trois critères de pénibilité sur 10 existants. Enfin, la sénatrice regrette que le gouvernement n’ait pas réintégré les quatre critères de pénibilité « supprimés en 2017 par les ordonnances Pénicaud. »
Son collègue Victorin Lurel, sénateur socialiste de Guadeloupe, entend lui aussi « supprimer ce que le gouvernement s’évertue à présenter comme le volet social et humain de sa réforme », par un amendement de suppression de l’article 9. « Si le gouvernement avait voulu favoriser une meilleure prise en compte de la pénibilité, il aurait dû, au lieu de présenter cet article créant deux nouveaux fonds de prévention, remettre en place les 4 critères de pénibilité arbitrairement supprimés pour plaire et complaire au Medef », ajoute-t-il dans l’objet de l’amendement en question. Corinne Féret déposera effectivement un amendement pour réintroduire les critères de pénibilité supprimés en 2017, mais aussi « d’autres propositions », faites « en lien avec les organisations de salariés », comme la CFDT ou la FNATH (fédération nationale des accidentés du travail et des handicapés).
RDSE, Ecologistes : les autres propositions des groupes de gauche et du centre
Mais les critiques de ce volet « pénibilité » du projet de loi du gouvernement dépassent le cadre du groupe socialiste, puisqu’Henri Cabanel, ancien socialiste et membre depuis 2019 du groupe RDSE, rassemblant des centristes et des radicaux, a, lui aussi, déposé un amendement visant à « rétablir la reconnaissance des quatre facteurs de pénibilité au travail supprimé en 2017. »
Dans les autres groupes de gauche aussi, la question des critères de pénibilité suscite des propositions. Le groupe écologiste propose ainsi, en reprenant des travaux de la CFDT, de « s’appuyer » sur la « cartographie » des branches et des métiers produite par la branche accidents du travail de la Sécurité sociale pour définir les salariés exposés aux trois facteurs de pénibilité dits « ergonomiques », supprimés en 2017 (port de charges lourdes, postures pénibles et vibrations mécaniques).
Figurant à l’article 9 du projet de loi, cette discussion n’aura pas lieu tout de suite, alors que le début de l’examen du texte se profile jeudi 2 mars prochain. Si le rythme des futurs débats en séance soulève encore des interrogations, la question des critères de pénibilité ne devrait pas être abordée avant la semaine prochaine.