Alors que François Bayrou vient d’annoncer la composition de son gouvernement, l’exécutif peut enfin se mettre au travail, estiment les représentants du bloc central au Sénat. Pour cela, il faudra composer avec le Parti Socialiste tout en ménageant LR qui conditionne encore son soutien au gouvernement. Une tâche périlleuse.
Retraites : les sénateurs de gauche dénoncent « l’ingérence » de Jean-Luc Mélenchon
Par Simon Barbarit
Publié le
« On est très heureux que La France Insoumise s’intéresse au Sénat, une assemblée qu’elle voulait supprimer dans son programme l’Avenir en commun ». On l’aura compris, le patron des sénateurs socialiste, Patrick Kanner, ne compte pas vraiment prendre au mot le message adressé aux sénateurs de gauche par le conseil politique de la formation de Jean-Luc Mélenchon. Cette instance, censée débattre des décisions stratégiques, a appelé lundi « solennellement » les « sénateurs de la Nupes » à « tout faire pour empêcher l’adoption de la retraite à 64 ans.
« Ce n’est pas un ordre mais ça y ressemble »
Le report de l’âge légal de départ à la retraite figure à l’article 7 du projet de loi, « ordre » est donc donné d’imiter les députés LFI en faisant tout pour ne pas atteindre ce fameux article dans un temps de débat contraint. « Ce n’est pas un ordre mais ça y ressemble. Il y a une volonté d’ingérence de la part de LFI sur la coordination des sénateurs de gauche, alors qu’il n’y a pas de sénateurs LFI », rappelle Patrick Kanner.
Cet appel passe d’autant plus mal chez les sénateurs socialistes, écologistes et communistes, qu’il intervient après deux semaines de débats houleux à l’Assemblée et une stratégie d’obstruction choisie par LFI largement contestée par ses partenaires de gauche et les leaders syndicaux. « Errare humanum est, perseverare diabolicum (l’erreur est humaine, persévérer dans son erreur est diabolique NDLR), comme on dit », cite Patrick Kanner.
« Jean-Luc Mélenchon a un peu raison tout seul »
« L’intersyndicale demande à ce que l’article 7 soit débattu. Chacun doit rester à sa place mais on doit quand même écouter cette unité syndicale. Jean-Luc Mélenchon a un peu raison tout seul », souligne la sénatrice communiste, Cathy Apourceau-Poly.
« Cette injonction adressée aux sénateurs qui savent très bien ce qu’ils ont à faire, déjà sur la forme, c’est un peu maladroit », abonde Guillaume Gontard le président du groupe écologiste du Sénat. Comme le rappelle sa collègue Laurence Rossignol (PS) sur Twitter, il n’existe pas factuellement de « sénateurs Nupes ». Les trois groupes de gauche (PS, CRCE à majorité communiste, et les écologistes), qui n’ont pas été élus sous l’étiquette Nupes, l’accord ayant été conclu pour les législatives de 2022.
La sénatrice écologiste, Raymonde Poncet-Monge a « une appréciation positive de la Nupes » mais juge « l’intervention de Jean-Luc Mélenchon « contreproductive » pour la coalition de partis. « Notre stratégie a été tranchée. Il faut l’accepter et s’y tenir. Sinon, on fait du mal à la Nupes ».
En effet, socialistes, communistes et écologistes du Sénat se sont entretenus le 21 février en visioconférence afin d’orchestrer leur opposition à la réforme dont l’examen est prévu du 2 mars au 12 mars, dans un temps limité conformément à l’article 47-1 de la Constitution. « Je vais être très claire. Jean-Luc Mélenchon dit ce qu’il veut. Nous, on sait ce qu’on va faire. Nous aurons un débat de fond sur tous les articles y compris l’article 7. Nous prendrons le temps nécessaire avec comme objectif que le 12 au soir, le texte ne soit pas fini d’être examiné », détaille Éliane Assassi qui en profite pour rafraîchir la mémoire du leader insoumis. « Jean-Luc Mélenchon a été sénateur. Il a même siégé dans notre groupe. Il devrait se souvenir de notre sens des responsabilités. Je n’ai jamais subi de pression de la part des Premiers secrétaires de mon parti, c’est valable pour les personnes extérieures ».
« Il est gentil Manuel Bompard mais on ne l’a pas attendu pour voir qu’il se passait quelque chose le 7 mars »
Invité de la matinale de Public Sénat ce mercredi, Manuel Bompard, le coordinateur de la France Insoumise a explicité le message de son parti aux élus de la chambre haute. « Je n’ai pas de consigne à donner, ce n’est pas mon rôle […] Personnellement, je pense qu’il ne faut pas supprimer des amendements pour aller plus vite à l’article 7 […] Je ne vois pas pourquoi on accepterait de saborder le débat parlementaire, pour faire plaisir à M.Macron et lui donner une victoire au Sénat à quelques jours de la mobilisation massive du 7 mars. Je pense que ce serait une erreur ».
« M. Bompard, ce n’est pas ma boussole », balaye Éliane Assassi. De l’avis de l’ensemble des dirigeants des groupes de gauche du Sénat, ce nouveau conseil en stratégie de la part d’un dirigeant LFI serait d’ailleurs superfétatoire car ils n’ont jamais eu l’intention d’accélérer les débats sur l’article 7 avant le 7 mars. « Il est gentil Manuel Bompard mais on ne l’a pas attendu pour voir qu’il se passait quelque chose le 7 mars. Notre objectif est bien que cet article soit examiné après cette journée de mobilisation. Après il n’est pas sénateur, il n’a peut-être pas une bonne appréhension des enjeux », relève Guillaume Gontard. « Ce serait aussi un beau symbole que l’article 7 soit examiné le 7 mars », complète Cathy Apourceau-Poly.
Car au Sénat, les élus de gauche sont dans une double opposition aux LR et au gouvernement ». Depuis des années, la majorité sénatoriale de droite fait passer un amendement pour repousser l’âge de départ légal à 64 ans à chaque projet de loi de financement de la Sécurité Sociale. « La majorité sénatoriale est entrée dans la majorité présidentielle, cela doit être clarifié », estime Guillaume Gontard.
Et pour pousser la droite sénatoriale et l’exécutif face à leurs responsabilités, les sénateurs de gauche sont bien décidés à utiliser toutes les motions de procédure (question préalable, renvoi en commission, motion référendaire) et le dépôt de quelques 2000 d’amendements pour que le 12 au soir, l‘examen du texte ne soit pas fini. Or, un vote du Sénat permettait de trouver plus facilement un accord en commission mixte paritaire qui rassemble 7 députés et 7 sénateurs et où la droite et la majorité présidentielle sont majoritaires.
La droite sénatoriale sera-t-elle la « béquille » du gouvernement ?
Pour accélérer les débats, la majorité sénatoriale pourrait avoir recours à l’article 38 du règlement qui limite à deux orateurs « d’avis contraire » les prises de parole « sur l’ensemble d’un article ou dans les explications de vote portant sur un amendement ». « Nous sommes déjà dans un temps contraint avec le choix de l’exécutif de faire porter sa réforme dans un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale. Avec la mobilisation qu’il y aura dans les rues, je ne vois pas la majorité sénatoriale prendre la responsabilité de museler encore plus le débat », veut croire le président du groupe écologiste.
Reste l’arme lourde, déjà utilisée au Sénat en 2010 lors de la précédente réforme des retraites, l’article 44 de la Constitution. Il permet à une assemblée, sur demande du gouvernement, de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie d’un texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. « Oui mais Emmanuel Macron, ce n’est pas Nicolas Sarkozy. Est-ce que Gérard Larcher, Bruno Retailleau (président du groupe LR), Hervé Marseille (président du groupe centriste) vont accepter d’être la béquille du gouvernement ? », met au défi Patrick Kanner en reprenant l’expression d’Aurélien Pradié.