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Retraites : « Il y a des griefs d’inconstitutionnalité sérieux pour une annulation totale de la loi »
Par Romain David
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Journée cruciale pour l’avenir de la réforme des retraites. Le Conseil constitutionnel doit se prononcer, ce vendredi 14 avril en fin de journée, sur les différents recours déposés contre ce texte. Depuis le 20 mars, et l’adoption du projet de loi par 49.3, la vie politique du pays semble suspendue. L’exécutif, toujours privé de majorité absolue au Parlement, a choisi de mettre entre parenthèses plusieurs réformes, tandis que la contestation syndicale continue de battre le pavé chaque semaine, malgré un léger reflux lors des dernières journées de mobilisation. Les Sages de la rue Montpensier ont le pouvoir de retoquer l’ensemble de la loi ou seulement de censurer certains articles. « Objectivement, il y a des griefs d’inconstitutionnalité sérieux qui pourraient conduire à l’annulation totale de la loi », estime pour sa part Dominique Rousseau, professeur de droit constitutionnel à Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
« Le principal reste le choix de l’article 47, c’est-à-dire d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificative (PLFSSR) pour une réforme qui porte sur des principes fondamentaux d’un régime de retraites », explique ce constitutionnaliste au micro de « Bonjour chez vous », la matinale de Public Sénat. « L’exemple le plus célèbre est celui de 1979, avec la censure du budget de la Nation dans sa totalité pour un motif de procédure », rappelle-t-il. « Fixer l’âge de la retraite, supprimer les régimes spéciaux, la pénibilité, la question des carrières hachées… Ce sont les principes fondamentaux d’un régime de retraite. La voix procédurale n’est donc pas la bonne », poursuit Dominique Rousseau. « Toutes les réformes du régime des retraites se sont faites par la loi ordinaire », relève encore notre invité.
L’hypothèse d’une censure partielle
« Je pense qu’il y aura au minimum une censure des articles qui ont un objet non financier », ajoute Dominique Rousseau. « Dans cette loi, beaucoup de dispositions n’ont pas un objet financier, or dans une loi de financement, il ne faut que des articles qui aient des objets financiers ». Il cite notamment l’index senior, le CDI senior, ou encore certaines mesures pour contrebalancer les carrières hachées des femmes. « Le Conseil constitutionnel pourrait considérer qu’il s’agit, selon l’expression consacrée, de cavaliers et les sortir du texte, ce qui fait qu’il ne resterait que le passage de 62 à 64 ans. Je ne vous dis pas les conséquences d’une censure d’articles qui ont été faits pour adoucir le recul de l’âge légal… », glisse le juriste.
Une censure, partielle ou même totale, ne signifierait pas pour autant la fin de la réforme des retraites. Les éléments rejetés par le Conseil constitutionnel pourraient très bien être de nouveau soumis à un débat parlementaire via un autre véhicule législatif.
Une décision historique pour le Conseil constitutionnel ?
Dominique Rousseau rejette une partie des critiques dont le Conseil constitutionnel est régulièrement la cible, notamment sur la trop grande politisation de ses membres. « Comme toute juridiction, il produit des décisions fondées en droit mais qui ont des effets politiques », nuance-t-il. Toutefois, les Sages « prennent aussi en considération les conséquences possibles de leurs décisions ». En l’occurrence, le Conseil constitutionnel pourrait estimer qu’un rejet total du texte aurait pour conséquence immédiate d’apaiser de la contestation sociale. « Une annulation totale de la loi aurait une force de légitimation supplémentaire du Conseil constitutionnel. Il se poserait en gardien des droits du Parlement, de l’équilibre des pouvoirs, d’une forme de démocratie qui associe la démocratie sociale – qui a manqué sur ce texte – avec la démocratie parlementaire », souligne le constitutionnaliste.
« Le mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel constitue une exception par rapport au mode de nomination dans les instances équivalentes chez nos voisins européens », reconnaît également Dominique Rousseau. « C’est une exception française, on peut être critique à l’égard de ce mode de nomination qui réserve aux autorités politiques la désignation des membres du Conseil constitutionnel, sans condition de compétences juridiques ou d’expériences juridique. Je ne dis pas qu’il ne faut que des juristes au Conseil constitutionnel, mais il en faut quand même car leur boulot, justement, c’est de faire du droit et pas de la politique », développe-t-il. « Dans les autres pays européens, les nominations de ministres se font après un délai de carence, passer directement du gouvernement au Conseil constitutionnel pose problème. »
Référendum d’initiative partagée
Ce vendredi, le Conseil constitutionnel se prononcera également sur la proposition de loi référendaire déposée par la gauche, qui vise à empêcher de fixer l’âge légal de départ à la retraite au-delà de 62 ans, avec pour objectif l’organisation d’un référendum d’initiative partagée (RIP). Députés et sénateurs de gauche ont toutefois rédigé un second texte, a appris jeudi Public Sénat, craignant que le Conseil constitutionnel ne retoque leur première version, au motif qu’elle ne serait pas porteuse d’un véritable projet de réforme, comme l’exige l’article 11 de la Constitution. « Je pense qu’avec cette deuxième saisine, ils prennent un risque », alerte Dominique Rousseau. Selon lui, la première demande « peut être validée, il y a le bon nombre de signatures et il s’agit bien d’un texte de réforme », puisqu’il propose de transformer le seuil de 62 ans en plafond.
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