Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Retraites : en 2010, la gauche du Sénat usait de tous les moyens pour faire capoter la réforme
Par Simon Barbarit
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« Nous utiliserons tous les moyens de procédure qui sont possibles pour que le texte ne passe pas ». Cet engagement du président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, alors que le Sénat s’apprête à examiner la réforme des retraites le 2 mars, n’est pas sans rappeler l’ambiance qui régnait à la haute assemblée en 2010.
A 13 ans d’intervalle, listons d’abord les similitudes entre les deux époques. En 2010, la réforme s’appuie sur un rapport du Conseil d’orientation des retraites pour repousser de deux ans, l’âge de départ à la retraite (62 ans contre 60). Les concertations avec les partenaires sociaux qui démarrent en avril n’empêchent pas une puissante mobilisation contre la réforme. Les syndicats et la gauche sont unis et le président de la République reste discret pendant la durée du débat parlementaire.
La retraite à 62 ans ne figurait pas au programme de Nicolas Sarkozy
Mais à la différence d’Emmanuel Macron, Nicolas Sarkozy n’avait pas inscrit dans son programme de 2007 le report de l’âge légal. Au contraire, dans un entretien au journal Le Monde, il avait assuré que le droit à la retraite à 60 ans devait « demeurer ». La réforme est par la suite justifiée par l’impact de la crise financière de 2008 sur le financement du régime des retraites. Les équilibres politiques sont aussi différents, Nicolas Sarkozy disposait, lui, de la majorité absolue à l’Assemblée et au Sénat. Enfin, la réforme n’était pas intégrée à un projet de loi de financement de la sécurité sociale, le temps d’examen n’était donc pas limité. Pour mémoire, le gouvernement d’Élisabeth Borne a choisi d’intégrer sa réforme à un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale (PLFFSSR) ce qui laisse 15 jours au Sénat pour examiner le texte. Si la réforme n’est pas votée d’ici le 12, un accord pourra être trouvé en commission mixte paritaire. Le gouvernement peut même avoir recours aux ordonnances pour faire passer sa réforme, si le Parlement ne s’est pas prononcé sur le texte d’ici le 26 mars.
En 2010, si les groupes de gauche n’évoquaient pas clairement une stratégie « d’obstruction parlementaire », ça y ressemblait beaucoup. Les socialistes déposent 332 amendements, les communistes, 559. Ils défendent également une motion référendaire. Une motion de procédure qui vise à suspendre l’examen d’un projet de loi avec pour but de soumettre ce texte à un référendum. A noter également qu’à l’époque, le temps consacré aux explications de vote était de 5 minutes contre 2 actuellement.
Banderoles dans l’hémicycle et pétition devant le Fouquet ‘s
Après avoir été adopté sans encombre, après dix jours de débats, à l’Assemblée nationale, le projet de loi porté par le ministre du Travail, Éric Woerth, arrive au Sénat le 5 octobre en séance publique. C’est le début d’une longue bataille parlementaire sur fond de mouvement social. La stratégie de la gauche est calée à quelques heures du début de l’examen. « Seule la conjonction du débat parlementaire et de la mobilisation sociale peut amener le gouvernement à ouvrir les yeux », résume Jean-Pierre Bel, le président du groupe socialiste.
Le ministre des Relations avec le Parlement, Henri de Raincourt n’en est pas moins optimiste et mise sur 85 heures de débat au Sénat. Lors de la discussion générale, les élus du groupe communistes donnent le ton et se drapent de leur écharpe tricolore et déploient une banderole où l’on peut lire : « Messieurs Sarkozy et Woerth, Ecoutez le peuple, retirez votre projet de loi sur la réforme des retraites ». Ils iront ensuite déposer devant le Fouquet’s des sacs de pétitions demandant au gouvernement de retirer la réforme.
Car dans toute la France, le mouvement social contre la réforme s’amplifie et les élus de gauche veulent s’en faire le réceptacle avec des arguments sensiblement similaires à ceux d’aujourd’hui. « Vous allez demander à des personnes qui travaillent beaucoup et très difficilement de cotiser deux ans de plus et en même temps vous faites un chèque de 30 millions à Mme Bettencourt », fustige le sénateur socialiste, Martial Bourquin.
Pierre Mauroy : « C’est une erreur profonde d’effacer cette ligne de la retraite à 60 ans »
Face au mouvement de contestation qui s’étend jusqu’aux lycées, le gouvernement fait des concessions à destination des parents qui se sont arrêtés de travailler un an durant les trois ans suivant la naissance d’un enfant, et aux parents d’enfants handicapés. Ils pourront conserver le bénéfice de l’annulation de la décote, fixée à l’époque à 65 ans.
Lors de l’examen de l’article 5 du projet de loi qui entérine le report de l’âge légal à 62 ans, l’ancien Premier ministre, Pierre Mauroy, dont le gouvernement avait abaissé la retraite à 60 ans, fera une intervention remarquée dans l’hémicycle. « C’est une erreur profonde d’effacer cette ligne de la retraite à 60 ans », tance-t-il (voir la vidéo).
Le 12 octobre est une journée de forte mobilisation, 3 millions de manifestants sont dans les rues, selon les syndicats. Sous la pression des élus de gauche, le président du Sénat, Gérard Larcher accepte une suspension de séance symbolique de 30 minutes.
Nicolas Sarkozy : « Nous n’avons plus les moyens d’attendre pour décider »
Les jours suivants, la contestation s’amplifie. Les raffineries entrent dans le mouvement et les syndicats menacent d’une grève reconductible dans les transports. Jusque-là silencieux, Nicolas Sarkozy finit par s’exprimer. « Je ne suis pas un obsédé de la réforme […] mais nous n’avons plus les moyens d’attendre pour décider ».
Au Sénat la gauche, elle, joue toujours la montre. Après trois semaines de débats, le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant dénonce « des manœuvres dilatoires » de la gauche sénatoriale. Le gouvernement finit par sortir l’arme lourde, l’article 44 de la Constitution qui permet à une assemblée de se prononcer par un seul vote sur tout ou partie d’un texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement. La présidente du communiste, Nicole Borvo-Cohen-Seat dénonce « un coup de force ». Gérard Larcher considère lui « avoir donné du temps au texte ». « Nous avons fait un travail de parlementaire ».
« La droite est majoritaire mais ne fait pas le plein de ses voix »
Le Sénat adopte l’ensemble du projet de loi par 177 voix contre 151, le 22 octobre. « La droite est majoritaire mais ne fait pas le plein de ses voix, il lui manque une dizaine de voix, c’est politiquement significatif », estime Bernard Frimat, vice-président socialiste du Sénat.
Au final, la Haute assemblée aura examiné la réforme pendant 16 jours et 143 heures, « soit le troisième examen le plus long depuis le début de la cinquième République », rappellera Gérard Larcher en clôture de la séance.
En 2023, le Sénat a décidé d’ouvrir la séance les week-ends du 4 et 5 mars et celui du 11 et 12 mars. Les élus disposeront donc au maximum de 11 jours pour examiner la réforme.
Pour en savoir plus sur le sujet, revoir notre documentaire.