Difficile d’imaginer quel gouvernement émergera après la nouvelle donne politique des législatives. Mais la gauche, qui revendique Matignon, a déjà une idée très précise des mesures qu’elle veut prendre dans les « 15 premiers jours ». Quelques minutes après l’annonce des résultats, le patron des Insoumis Jean-Luc Mélenchon a martelé que le programme du Nouveau Front populaire serait appliqué « dès cet été, par décret, sans vote », en citant en particulier « l’abrogation de la retraite à 64 ans ». La coalition des partis de gauche le mentionnait dans la première partie du programme, dans laquelle il est question de « décréter l’état d’urgence social ». Le NFP s’engage à « abroger immédiatement les décrets d’application de la réforme d’Emmanuel Macron passant l’âge de départ à la retraite à 64 ans ». Cette procédure est-elle possible ?
« Seul le législateur peut défaire ce qu’il a fait »
Il faut tout d’abord rappeler que le projet de loi adopté l’an dernier a inscrit le recul de l’âge légal de départ à 64 ans dans le Code de la Sécurité sociale, ainsi que la montée en charge progressive de trois mois chaque année pour les personnes nées d’août 1961 à décembre 1967, pour passer de 62 à 64 ans. « Il n’est pas possible de remettre en cause la réforme des retraites par la voie du décret, notamment la disposition qui est le report de deux ans de l’âge légal, car le calendrier est fixé par la loi. Seul le législateur peut défaire ce qu’il a fait », insiste Alexandre Viala, professeur de droit public à l’université de Montpellier. « La marge de manœuvre est quasi-nulle. »
Un décret d’abrogation à cette disposition inscrite dans la loi constituerait par ailleurs une seconde difficulté. « La réforme des retraites a commencé à s’appliquer depuis juin 2023, donc ce serait incohérent de modifier le calendrier, au risque de porter atteinte au principe d’égalité, car cela appliquerait un régime différent pour les personnes nées au-delà de 1967 », relève Alexandre Viala. Le Conseil d’État pourrait donc retoquer le décret.
Éric Weil, ancien conseiller retraite au cabinet du secrétaire d’État Laurent Pietraszewski, durant le précédent quinquennat, au moment de la tentative avortée d’un régime universel, était aussi arrivé très vite à la conclusion, mi-juin, qu’un décret abrogeant les décrets d’application du calendrier serait « illégal ». Il a également souligné que la formulation de la loi n’a laissé « aucune marge de manœuvre » pour le décret d’application.
L’éventualité d’une procédure devant le Conseil constitutionnel
Mais il y aurait une autre façon de voir les choses, considérant que la question de l’âge légal de départ à la retraite relève du domaine réglementaire, et non du domaine de la loi, qui est détaillé à l’article 34 de la Constitution. « L’âge d’ouverture des droits à la retraite n’est pas mentionné explicitement », souligne le constitutionnaliste Thibaud Mulier. Dans une décision de 1985, le Conseil constitutionnel avait écrit que les dispositions « qui fixent des modalités d’application de principes fondamentaux réglant l’ouverture ou l’extinction de droits à prestations, la forme et le montant de diverses prestations, sont de nature réglementaire ».
Par conséquent, un gouvernement pourrait alors se référer au deuxième alinéa de l’article 37 de la Constitution. « L’idée, c’est de modifier par décret quelque chose qui est inscrit dans la loi, mais peut être considéré comme faisant partie du domaine réglementaire », poursuit le maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre. Il s’agit de ce qu’on appelle une « procédure de délégalisation » ou déclassement. Le gouvernement doit saisir le Conseil constitutionnel, et si ce dernier reconnaît le caractère réglementaire du texte, il autorise sa modification par décret. Généralement, les Sages se prononcent dans un délai d’un mois.
« Ça ne règle pas un autre problème, qui doit passer par la loi. Car l’abrogation va avoir un coût pour les finances publiques, et il faudra sans doute le répercuter dans une loi de financement initiale ou rectificative », complète Thibaud Mulier.
La piste d’un projet de loi
Reste également une autre possibilité pour la gauche pour revenir sur le recul de l’âge légal de départ à 64 ans : le défaire par la loi. Mais article 40 de la Constitution oblige, qui interdit aux parlementaires d’aggraver les dépenses publiques, une telle disposition ne peut donc être proposée que dans le cadre d’un projet de loi. C’est d’ailleurs cette option que met pourrait avant Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste. « Il faut un projet de loi que nous déposerons devant l’Assemblée, et l’Assemblée aura à se prononcer. On verra à ce moment-là qui est prêt à aller jusqu’au bout et ceux qui au contraire se défilent », a motivé le député de Seine-et-Marne, qui imagine même recourir aux mêmes armes constitutionnelles que le gouvernement d’Élisabeth Borne. « Ce qui s’est fait par 49.3 peut se défaire par 49.3. En l’occurrence, il s’agirait d’un parallélisme des formes », a-t-il estimé.
Une majorité absolue pourrait se dessiner sur le front des retraites, à en croire l’une des porte-paroles du Rassemblement national, la députée Laure Lavalette. « On votera pour l’abrogation », a-t-elle prévenu.