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Résultats des élections législatives : face à la surprise du second tour, les instituts de sondages se sont-ils trompés ?

Aucun institut de sondage ne semblait anticiper la victoire du Nouveau Front populaire et la troisième place du Rassemblement national dans ces élections législatives. Avec des réalités locales différentes selon les circonscriptions et dans un contexte politique extrêmement mouvant, le jeu des projections en sièges dans l’hémicycle s’avère en effet hasardeux.
Rose Amélie Becel

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Le 4 juillet, notre dernier sondage Odoxa pour Public Sénat, la presse régionale et le Nouvel Obs donnait entre 210 et 250 sièges au Rassemblement national, devant le Nouveau Front populaire en deuxième place avec entre 140 et 180 sièges. De son côté, le bloc présidentiel était annoncé en troisième position avec entre 115 et 155 sièges.

Au soir du second tour, les rapports de force politiques se retrouvent finalement inversés : avec 182 sièges, le Nouveau Front populaire est en tête devant Ensemble qui obtient 163 députés et le Rassemblement national, en troisième position avec 143 élus. Peut-on pour autant parler d’un échec des instituts de sondages ?

Des projections en sièges non contrôlées par la commission des sondages

La tendance à la baisse du Rassemblement national, s’éloignant petit à petit de la majorité absolue qui semblait pourtant atteignable au lendemain de la dissolution, était annoncée par les derniers sondages avant le second tour. Au lendemain de notre dernier sondage Odoxa, les projections d’Elabe, d’Ipsos, Ifop, ou encore Harris Interactive, confirmaient également un nombre de sièges du RN en baisse.

Il faut toutefois distinguer les dynamiques données par les intentions de vote, mesurées à l’échelle nationale, et les projections en sièges dans l’hémicycle qui relèvent de réalités locales. « Pour les élections législatives, comme il s’agit de 577 élections et qu’on ne peut pas interroger 577 échantillons représentatifs, on doit faire des projections selon des hypothèses », explique Christelle Craplet, directrice de BVA Opinion. L’institut de sondages qu’elle dirige ne s’est d’ailleurs pas risqué à l’exercice des projections, trop « incertain » estime-t-elle.

Comment procèdent les instituts de sondages qui se livrent à cette pratique risquée ? Pour le sociologue spécialiste du vote Hugo Touzet, les méthodologies divergent selon les organismes : « Pour faire ces projections, il faut construire une matrice à laquelle tous les instituts n’intègrent pas les mêmes paramètres. Par exemple, certains attribuent un avantage plus fort au député sortant que d’autres ». Pour toutes ces raisons, la commission des sondages a d’ailleurs publié un communiqué de mise en garde sur ces projections le 18 juin dernier. « De telles projections doivent être interprétées avec prudence », alerte-t-elle, rappelant qu’elle n’assure pas le contrôle de la méthodologie employée pour les réaliser, comme elle le fait pour les autres sondages.

« On a surestimé le poids des électeurs qui allaient faire le choix du “ni ni” »

En 2022, déjà, les projections s’étaient avérées erronées. À la veille du premier tour, la majorité des instituts tablaient sur une majorité quasi-absolue pour le parti présidentiel, le score de la Nupes avait été surestimé – entre 145 et 210 élus, contre 131 sièges obtenus le soir du second tour – et celui du Rassemblement national avait surpris par son importance – aucun institut n’annonçait plus de 50 sièges pour le parti, qui en a finalement remporté 89.

« En 2022, le front républicain n’avait pas si bien marché que ça. C’est un réflexe très volatile chez les électeurs, qui semble fonctionner à certains moments mais pas à d’autres », remarque Christelle Craplet. Après les résultats de ce second tour, les observateurs s’accordent en effet tous pour dire que l’ampleur du vote pour faire barrage à l’extrême droite n’avait pas été anticipée par les sondeurs. « Le succès phénoménal du front républicain était difficilement prévisible, car les sondages d’opinion révélaient aussi une certaine lassitude exprimée par les électeurs », ajoute la directrice de BVA Opinion.

« Dans cette campagne où La France insoumise a été diabolisée comme le Rassemblement national, on a surestimé le poids des électeurs qui allaient faire le choix du “ni ni” », explique Hugo Touzet. Finalement, selon une estimation d’Ipsos Talan publiée à l’issue du second tour, les électeurs du Nouveau Front populaire sont 72 % à avoir voté pour un candidat Ensemble dans les duels avec le RN. Quand aux électeurs d’Ensemble, ils ont voté deux fois plus pour des candidats de La France insoumise que pour des candidats du RN dans les duels opposant les deux partis (à 43 % contre 19 %).

« Ce sont aussi les dernières projections de vendredi soir qui expliquent la forte mobilisation des électeurs pour faire barrage »

Au final, les projections en sièges à l’approche du second tour pourraient même avoir alimenté le vote barrage. C’est en tout cas l’hypothèse formulée par Antoine Bristielle, directeur de l’observatoire de l’opinion de la Fondation Jean Jaurès : « Ce sont aussi les dernières projections de vendredi soir, qui donnent toujours le RN en tête, qui expliquent la forte mobilisation des électeurs pour faire barrage. Car, à ce moment, la question politique majeure c’est : “Jordan Bardella peut-il accéder à Matignon ?” »

Après l’annonce des résultats, Jordan Bardella a d’ailleurs pointé du doigt cette stratégie du front républicain, fustigeant des « arrangements électoraux » et une « alliance du déshonneur » entre la gauche et le bloc présidentiel. Pourtant, le Rassemblement national, dont la fin de campagne a été émaillée de nombreuses polémiques, semble avoir lui-même participé au renforcement du vote barrage. « La révélation des propos, notamment racistes, tenus par plusieurs candidats n’a pas fait perdre de voix au RN, mais elle a en revanche pu favoriser une plus grande mobilisation des électeurs pour faire barrage », estime Antoine Bristielle.

Malgré toutes leurs limites, les instituts de sondages continuent de produire ces projections en sièges. « Le jeu médiatique fait aussi qu’il y a une forte demande de ce type de projections », avance Christelle Craplet. Sans formule magique pour rendre ceux-ci plus fiables, il faut donc les observer avec une grande précaution.

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