« Politiquement inepte et moralement dégradant ». C’est peu dire que le député Jean-Louis Bourlanges, président de la commission des Affaires étrangères, et l’un des poids lourds du MoDem, y est allé à la sulfateuse, ce jeudi matin, pour commenter la décision de François Bayrou de ne pas participer au gouvernement de Gabriel Attal. « François Bayrou a décidé sans aucune concertation avec personne d’afficher un désaccord de fond avec la majorité présidentielle tout en recommandant aux députés de rester à bord et de participer au gouvernement ! Si nous n’étions vraiment pas satisfaits de la place qui nous était proposée, il eut été envisageable de pratiquer le soutien sans la participation. Nous sommes en train de choisir l’inverse : la participation sans le soutien », dénonce l’élu. Ce bref communiqué publié sur X (anciennement Twitter) trahit à lui seul l’émoi et l’incompréhension soulevés par le maire de Pau dans sa famille politique.
Enième rebondissement dans le feuilleton du remaniement ministériel qui anime ce début d’année : François Bayrou a fait savoir mercredi soir à l’AFP qu’il n’entrerait pas au gouvernement, faute d’un « accord profond sur la politique à suivre ». Attendu à l’Education nationale par de nombreux commentateurs, il a indiqué qu’on lui avait proposé le ministère des Armées, qu’il a cependant refusé. Alors que la nomination des ministres délégués et secrétaires d’Etat semblait suspendue depuis 23 jours – un record sous la Cinquième République – à la décision de justice le concernant dans l’affaire des assistants parlementaires européens du MoDem, cet allié historique d’Emmanuel Macron, finalement relaxé par le tribunal de Paris en début de semaine, a choisi de prendre ses distances avec l’exécutif, sans pour autant remettre en cause la participation de son parti à la majorité.
« Le ministère de l’Éducation connaît aujourd’hui une crise de confiance qui vient de loin et que je croyais que l’on pouvait corriger. Mais de nombreuses discussions m’ont fait conclure à une différence d’approche sur la méthode à suivre qui me paraît rédhibitoire », a tenté de justifier François Bayrou ce jeudi matin, au micro de franceinfo. Il a également évoqué la déconnexion entre les « citoyens et l’action publique », laissant entendre que la promesse de 2017 de « gouverner autrement » n’avait pas été tenue. Mais le MoDem reste « un membre à part entière de la majorité qui veut reconstruire le pays », a insisté l’ancien candidat à la présidentielle.
La majorité vacille
Quelques heures plus tard, un communiqué du groupe à l’Assemblée nationale est venu faire le service après-vente de ces déclarations : « Nous assumons notre rôle de vigie pour que les engagements pris devant les Français en 2017 et réaffirmés en 2022 soient tenus, pour que la majorité reste la majorité. Nous allons donc continuer à discuter avec le Premier ministre pour déterminer ce que sera le rôle du MoDem dans la majorité. En soutien et en participation. » Une manière de confirmer le positionnement critique défendu par François Bayrou, tout en adressant au chef de gouvernement une offre de service. Bref, une forme entre-deux assez peu confortable sur le rôle qu’espèrent occuper les parlementaires MoDem au sein d’une majorité relative et composite.
« Aujourd’hui, François Bayrou est dans la compassion et le constat, mais sans faire une seule proposition », commente auprès de Public Sénat François Patriat, le président des sénateurs Renaissance, qui se réjouit du maintien du MoDem dans le giron présidentiel. « Je sens néanmoins de sa part une volonté de se démarquer pour 2027. J’espère que l’on va en rester-là et que les choses n’iront pas plus loin », ajoute-t-il.
« La petite majorité de l’Assemblée nationale se fissure », constate pour sa part Bruno Retailleau. « C’est un fait qui, dans quelques mois ou quelques années, marquera une rupture dans le second quinquennat d’Emmanuel Macron », prédit le président des sénateurs LR au micro de Sud Radio. « François Bayrou est un ami, c’est quelqu’un que j’aime bien, avec qui j’ai travaillé pendant longtemps, à l’UDF en particulier. Je pense qu’il a une sensibilité qui peut contribuer à l’action du gouvernement », relève auprès de Public Sénat Hervé Marseille, le patron du groupe centriste au Palais du Luxembourg et président de l’UDI. « Et j’observe qu’au terme de cette soirée un peu agitée, le seul ministre MoDem [Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, ndlr] reste au gouvernement. À partir de là, je considère qu’il y a forcément un accord global sur la ligne. On ne peut pas participer à un gouvernement sans en épouser la philosophie », souligne-t-il.
Des élus MoDem sonnés
« François n’avait rien à dire ce matin, à part essayer de rétropédaler sur ces déclarations de la veille pour tenter d’expliquer que le MoDem est toujours une composante essentielle de la majorité. Mais à quoi bon un soutien sans participation ? C’est comme la corde qui soutient le pendu… On la coupe quand c’est fini », lâche l’un des très proches de François Bayrou, qui nous avoue partager la colère de Jean-Louis Bourlanges à l’égard du Palois. « Confus, ânonnant et fatigué », brosse un poids lourd de la majorité présidentielle, qui ajoute : « François a toujours été tortueux, il est dans une forme de réserve permanente, ce qui ne fait rien avancer ».
Secrétaire général du MoDem, la députée Maud Gatel tente de résumer la position de son chef de file : « Il a une vision très claire de ce qu’il souhaite faire sur l’éducation. Il avait besoin d’un accord sur la feuille de route ». Dont acte.
Pour autant, la plupart des parlementaires MoDem interrogés par Public Sénat avouent avoir du mal à y voir clair, d’autant qu’ils se sont sentis pris de vitesse par leur leader, qui ne s’est entretenu avec eux qu’après être publiquement sorti du jeu. « Il n’y a eu aucune concertation, et je peux vous dire que je n’ai pas été la seule à tomber de ma chaise. J’estime que nous avons toute notre place dans ce gouvernement. On peut avoir des désaccords mais, fondamentalement, depuis 2017 nous sommes sur la même ligne pour les grandes politiques », explique une élue, qui reconnaît toutefois « que des inquiétudes ont commencé à apparaître avec le projet de loi immigration ». Elle ajoute : « Il y a sans doute certaines choses que nous devons éclaircir entre nous ».
« Ces états d’âme arrivent trop tard, c’était pendant la réforme des retraites qu’il fallait se faire entendre »
« Il y a bien des interrogations, mais qui ne sont pas nouvelles, notamment sur la demande de justice sociale », admet une députée MoDem. « Nous n’avançons pas assez vite, ce qui contribue à renforcer cette fracture mortifère entre la base et les dirigeants politiques ». Pour ce proche de François Bayrou, déjà cité plus haut, « ces états d’âme arrivent trop tard, car c’était pendant la réforme des retraites qu’il fallait se faire entendre ». Selon lui, le président du MoDem est désormais « très isolé » au sein de sa famille politique, ce qui pose implicitement la question de sa succession : « Je ne dis pas qu’il faut l’écarter, mais on a besoin d’une équipe nouvelle, jeune et dynamique. On sent qu’il prépare Marc Fesneau à endosser ce rôle, mais il lui a mis un fil à la patte ». « Le MoDem ne se résume pas à François Bayrou ! », abonde une élue. Des déclarations qui donnent un aperçu de l’ambiance et des enjeux qui pèseront sur le prochain congrès du parti, les 23 et 24 mars à Blois.
« Bien sûr qu’il a toujours 2027 en tête »
Il reste désormais à savoir si le pas de côté de François Bayrou aura des répercussions sur la composition du gouvernement. À ce stade, seul Marc Fresneau a été reconduit dans ses fonctions au ministère de l’Agriculture. Le sort de Jean-Noël Barrot, Philippe Vigier et Sarah El-Haïry, qui faisaient partie de l’équipe gouvernementale sous Élisabeth Borne, reste en suspens. Toutefois, il est peu probable, si l’hypothèse d’un gouvernement resserrée se confirme, que le MoDem compte plus de deux ou trois représentants au sein de l’exécutif, car Emmanuel Macron et Gabriel Attal doivent aussi faire de la place aux membres d’Horizons, le parti d’Edouard Philippe.
Si elle sème l’émoi au sein de son camp, la stratégie de François Bayrou vise peut-être le temps long, dans un contexte ou Emmanuel Macron ne pourra plus se représenter à sa succession. « Pour le Béarnais, tel que je le connais, particulièrement susceptible, ce sont des mots de rupture. Pourquoi ? Parce que ça sent la fin de règne », décrypte Bruno Retailleau, toujours sur Sud Radio. Questionné par franceinfo sur ses ambitions présidentielles, François Bayrou, comme à son habitude, ne ferme pas la porte : « Je n’ai jamais renoncé à aucun des devoirs qui sont les miens, à aucune des responsabilités qui sont les miennes ».
« Bien sûr qu’il a toujours 2027 en tête. Il me l’a déjà dit clairement, surtout quand il voit Joe Biden aux Etats-Unis », confie un proche. À 81 ans, le démocrate est en campagne pour un second mandat à la Maison Blanche. De son côté, François Bayrou, déjà candidat en 2002, 2007 et 2012, fêtera en 2027 ses 76 ans. « Mais si c’est pour faire un énième tour de piste à 9 ou 10 %, à quoi bon ? », soupire ce vieux compagnon de route.