La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Remaniement : « François Bayrou n’a qu’une seule ambition, c’est d’être président de la République »
Par Simon Barbarit
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Quand François Bayrou est insatisfait, il aime le faire savoir. Et Emmanuel Macron en a une nouvelle fois fait l’expérience. Après une relaxe dans l’affaire des assistants parlementaires européens, qui l’a tenu éloigné des postes politiques de premier plan pendant tout le quinquennat précédent, on pensait son retour sur le devant de la scène, acté.
Depuis le début de la semaine, le président du Modem avait pris la parole pour faire l’exégèse d’une décision judiciaire qui selon lui n’était que l’aboutissement « d’un gâchis humain » et « d’accusation sans fondement », oubliant un peu vite que cette relaxe avait été prononcée « au bénéfice du doute ». Quoi qu’il en soit, les planètes semblaient alignées pour son retour au gouvernement sept après son passage avorté place Vendôme. C’était sans compter la personnalité et surtout l’ambition du Béarnais candidat trois fois à l’élection présidentielle, qui aura exercé pratiquement tous les mandats depuis 42 ans.
Bayrou Président, la prophétie de Mitterrand
Selon ses dires, François Bayrou convoitait deux portefeuilles, l’Education et la Cohésion des Territoires, tandis que Gabriel Attal le voyait à la Défense. « Nous n’avons pas pu trouver un accord sur ces deux points. Et donc, sans accord profond sur la politique à suivre, je ne pouvais pas accepter d’entrer au gouvernement », a-t-il expliqué à l’AFP.
« François Bayrou est persuadé d’avoir un destin national. Il n’a qu’une seule ambition, c’est d’être président de la République. Si on n’a pas ça en tête, on ne comprend pas sa logique », éclaire le journaliste Alexandre Vatimbella, fondateur du Centre d’étude et de recherche du Centrisme (CREC).
« Suivez François Bayrou, il sera président. A droite, c’est le plus prometteur », aurait un jour déclaré François Mitterrand. Une prophétie que le Béarnais de 72 ans garde en tête quitte à attendre patiemment son heure. Lorsqu’il prend la tête de l’UDF en 1998, sa formation compte 113 députés, elle sera réduite à peau de chagrin 5 ans plus tard, suite à son refus d’intégrer l’UMP. Déjà, François Bayrou refuse « l’humiliation » de considérer le centre comme une roue de secours. Mécontent du sort réservé au Modem dans le futur gouvernement, il a utilisé ce terme devant ses troupes, mercredi soir.
Depuis 2017 des frictions à répétition
Comment être surpris par la démarche de François Bayrou si l’on se remémore son rapprochement contraint et forcé à Emmanuel Macron dans la dernière ligne droite de la présidentielle de 2017 ? Le maire de Pau avait pourtant fustigé, quelques mois plus tôt « les grands intérêts financiers incompatibles avec l’impartialité exigée par la fonction politique », derrière le candidat En Marche. « Lorsque François Bayrou crée le Modem après la présidentielle de 2007, c’est uniquement pour le propulser à la présidentielle. 10 ans plus tard, il est mal en point dans les sondages et ne dispose d’aucun député. Il n’y a plus d’argent dans les caisses du parti. Donc, l’arrivée d’Emmanuel Macron, qui suscite une dynamique auprès de la société civile et de personnalités de gauche et de droite, s’apparente à une renaissance pour lui. Aux législatives, Emmanuel Macron a la majorité absolue et il se dit qu’une quarantaine de sièges pour le Modem, c’est déjà pas mal. Mais là encore, c’était sans compter l’ambition intime de François Bayrou », souligne Alexandre Vatimbella.
« François Bayrou a toujours voulu être un allié exigeant, défendant à la fois sa personne et sa formation. D’ailleurs, en 2017, Il ne parle pas de soutien à Emmanuel Macron mais d’alliance soumise à des conditions. Alors qu’en termes d’intentions de vote, les dynamiques entre les deux candidats n’étaient pas comparables », souligne à son tour, Jean-Daniel Levy, directeur délégué de l’institut Harris Interactive.
Il ne faudra pas attendre longtemps pour voir le ministre de la Justice du premier gouvernement d’Edouard Philippe marquer son indépendance. Le premier imbroglio intervient autour de la répartition des circonscriptions aux législatives entre les deux formations politiques. Le MoDem s’estime insuffisamment représenté, avec seulement 35 circonscriptions gagnables, loin des 113 revendiquées dans les négociations. Son retrait forcé après l’affaire des assistants parlementaire, le conduit à adopter un rôle de conseiller occulte du président. Mais ses remarques pèsent peu. Ses demandes ne sont pas exaucées. La dose de proportionnelle aux législatives, tout comme la mise en place d’une banque des parrainages afin d’aider les candidats « de premier plan » à obtenir leurs 500 parrainages, tombent aux oubliettes. Ses recommandations en tant que Haut-commissaire au plan restent dans les tiroirs. Et ses critiques sur la réforme des retraites et la loi immigration n’ont que peu d’incidences sur les votes des 51 députés Modem coincés dans un conflit de loyauté entre le chef du parti et le chef de la majorité. Au groupe Modem, 30 députés sur 51 avaient voté pour le texte immigration malgré les critiques du chef de parti sur l’absence d’équilibre du projet de loi. La réforme des retraites avait été jugée insuffisamment expliquée selon le chef du Modem, mais seul le député du Loiret, Richard Ramos, a appelé le gouvernement d’Élisabeth Borne à démissionner après l’utilisation du 49.3.
Alors que François Bayrou pèse de tout son poids pour écarter Gabriel Attal de Matignon, Jean-Paul Mattei, le président des députés Modem lui réserve un éloge dithyrambique après son discours de politique générale.
Le « désaccord profond » avec la politique du gouvernement affichée ces dernières heures par le patron du Modem, allié historique d’Emmanuel Macron, a également été mal compris par ses troupes. C’est politiquement inepte et moralement dégradant », a tancé, dans un communiqué, le député Jean-Louis Bourlanges (voir notre article)
2027 : François Bayrou empêché par ses concurrents et par la justice ?
Le désarroi a été entendu par le chef. Malgré les critiques, François Bayrou a assuré le Modem était « un membre à part entière de la majorité qui veut reconstruire le pays » et n’écarte pas une quatrième candidature à l’élection présidentielle de 2027. Fils de paysan, il a renoué avec une ligne directrice qui lui est chère : associer aux réformes les personnes directement concernées. Celle qui avait fait de lui le troisième homme du scrutin de 2007. « Le pays a besoin de plus de compréhension politique de ce qu’il se passe à la base et moins de technocratie gestionnaire […] Je suis un élu de la province la plus lointaine de France. Je sais ce que vivent tous ceux qui observent des directives qui sont souvent en contradiction avec ce qu’il se passe sur le terrain et les blocages qui viennent de là », a-t-il diagnostiqué sur franceinfo. « Ce qui est amusant, c’est qu’au Modem, il n’y a pas de démocratie interne. Tout est décidé par le haut et les fédérations n’ont aucun pouvoir », observe, pourtant, Alexandre Vatimbella.
Issu « d’une tradition péguiste qui n’aime pas l’argent », comme le définissaient ses proches il y a 15 ans, François Bayrou avait formulé sa détestation du pouvoir sarkozyste dans un livre paru en 2009. « Abus de pouvoir ». « Le président de la République a un plan. Il conduit la France là où elle a toujours refusé d’aller. L’abandon du modèle républicain, le culte de l’argent, le choix d’une société d’inégalités […] tous les centres de décision, politiques, économiques, médiatiques sont convoités et mis en réseau », écrivait-il, trois ans avant une campagne présidentielle qui devait l’amener à l’aboutissement d’une vie et qui s’avérera décevante, 9 % des voix, à la cinquième place derrière Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon.
François Bayrou a encore trois ans pour toucher au but, mais l’espace au centre droit est bouché par les potentielles candidatures d’Edouard Philippe, Xavier Bertrand, voire Gabriel Attal. Sans compter que le parquet de Paris vient d’annoncer qu’il faisait appel contre la relaxe de François Bayrou. Pour mémoire, le procureur de la République avait requis 30 mois de prison avec sursis, 70 000 euros d’amende et 3 ans d’inéligibilité également assortis du sursis contre le Haut-commissaire au plan.
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