Refus d’obtempérer : faire évoluer la loi, « une solution trop simple et trop rapide », selon Gérald Darmanin

Profil sociologique des émeutiers, réseaux sociaux, formation des policiers, enquêtes, refus d’obtempérer… Devant la commission des lois du Sénat, Gérald Darmanin a dressé le bilan du maintien de l’ordre après plusieurs jours d’émeutes.
Simon Barbarit

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Le ministre de l’Intérieur a d’abord dévoilé des chiffres aux élus de la chambre haute lors d’une audition sur les émeutes qui ont marqué la France depuis une semaine et qui font suite à la mort du jeune Nahel, tué par un policier lors d’un refus d’obtempérer, le 27 juin. Depuis cette date, il y a eu « 23 878 feux de voie publique, 12 031 véhicules incendiés, 2508 bâtiments incendiés ou dégradés dont 273 bâtiments qui appartiennent aux forces de l’ordre, 105 mairies incendiées ou dégradées. 168 écoles ont fait l’objet d’attaques et 17 atteintes aux élus ont été recensées par le ministère de l’intérieur », a-t-il listé.

En réaction à la mort de Nahel, le ministère s’attendait le 27 juin à des vagues de manifestations, ce sera finalement des violences urbaines, obligeant Beauvau à changer son dispositif dès le lendemain en déployant 45 000 policiers et gendarmes sur le territoire avec comme bilan 3 505 interpellations presque exclusivement en Métropole. Mais ces chiffres vont évoluer. « Il y a énormément d’interpellations au moment où je vous parle, de personnes qui sont confondues par la police technique et scientifique […] ça correspond au travail de la PJ qui permet après coup, d’interpeller les personnes », a-t-il rappelé.

« Il y a aussi beaucoup de Kevin et de Mattéo »

Comme il l’avait indiqué devant les députés mardi, Gérald Darmanin a esquissé un profil sociologique des émeutiers. « La moyenne d’âge est entre 17 et 18 ans […] Seules 10 % des personnes que nous avons interpellées sont de nationalité non française […] A ma connaissance, 60 % des personnes interpellées n’ont pas de casier judiciaire ».

Mais pour la droite, même si les chiffres prouvent le contraire, il existe un lien entre l’immigration et les émeutes. Le patron des sénateurs LR, Bruno Retailleau avait parlé plus tôt dans la journée « d’une sorte de régression vers les origines ethniques » de la part des jeunes de « la deuxième et troisième génération » d’immigrés.

Devant Gérald Darmanin, c’est la sénatrice LR, Jacqueline Eustache-Brinio qui s’est fait le relais de cette position en demandant au ministre « les chiffres de ces mômes issus de l’immigration ».« Vous allez me dire : la plupart des gens arrêtés sont Français. D’accord. Mais ça ne veut plus rien dire aujourd’hui. Ils sont comment Français ? Moi, ça m’interroge » « Ils ont une histoire ces enfants là, leurs parents ne sont pas arrivés là par hasard. C’est aux parents de transmettre l’histoire familiale ».

 

Une déclaration qui n’a pas laissé insensible ses collègues de gauche. « Il ne faut pas avoir des propos caricaturaux qui ne font que mettre de l’huile sur le feu », a réagi le président du groupe socialiste, Patrick Kanner.

« Des amalgames douteux », s’est emportée la présidente du groupe communiste, Éliane Assassi, rappelant à Jacqueline Eustache-Brinio qu’un « enfant à la peau foncée » pouvait être Français.

Pour répondre, Gérald Darmanin a, lui, fait une démonstration empirique. « J’ai regardé dans les commissariats et les gendarmeries qui sont ces gens. Oui, il y a des gens qui, apparemment, pourraient être issus de l’immigration mais il y avait aussi beaucoup de Kevin et de Mattéo », a-t- il relaté jugeant « l’explication identitaire » erronée tout comme l’explication sociale. « On a attaqué des CCAS (Centres Communaux d’Action Sociales) et des postes », a-t-il souligné.

Formation des policiers doit « sans aucun doute » être améliorée

En réponse à une question de la sénatrice socialiste, Marie-Pierre de la Gontrie, Gérald Darmanin a reconnu que la formation des policiers devait « sans aucun doute » être améliorée, notamment en ce qui concerne la formation annuelle à trois tirs administratifs, insuffisante selon lui mais explicable par le manque de stands de tir et le peu de temps de formation. « Je suis à la tête d’un ministère, qui à part les commissaires de police, recrute des enfants de 18,19,20 ans qui n’ont pas fait de très longues études […] Ils ont en plus la contrainte légitime des armes ». Raison pour laquelle, le ministre indique vouloir savoir pourquoi ces jeunes s’engagent dans les forces de l’ordre. « C’est la première question que je pose quand je les croise à l’école ».

Gérald Darmanin a par ailleurs jugé « inacceptable » le tutoiement des forces de l’ordre. « La police, ce n’est pas une bande rivale contre une bande rivale ». Il a également concédé que les policiers et gendarmes, et « c’est le cas dans toute filière professionnelle », « ne se posaient peut-être pas suffisamment de questions sur le monde dans lesquels ils évoluaient ».

Refus d’obtempérer : « Il y a de plus en plus de refus d’obtempérer et ils utilisent de moins en moins leurs armes »

Gérald Darmanin n’a pas échappé à une question sur l’évolution de la loi de février 2017 qui assouplit l’usage des armes à feu pour les policiers (voir notre article). « Ce n’est pas parce qu’un policier ne respecte pas loi qu’il faut changer la loi. Ça me parait une réponse trop rapide et trop facile », a-t-il estimé. « En 2022, il y a eu 25 800 refus d’obtempérer, 5 329 exposant directement autrui au risque de mort. De 2016 à 2022, il y a eu une hausse de 5,8 % pour les refus d’obtempérer et une hausse de 27,3 % exposant directement autrui au risque de mort » a-t-il notamment rapporté avant d’ajouter qu’en 2013, il y avait eu 133 tirs sur des véhicules en mouvement, contre 168 en 2022. « C’est le contraire de ce qu’on raconte, il y a de plus en plus de refus d’obtempérer et ils utilisent de moins en moins leurs armes », a-t-il appuyé.

« Les milices ont existé »

Le sénateur socialiste, Jérôme Durain s’est ému de la présence de « milices » d’extrême droite, mais aussi de militaires à Lorient, qui sont venus en aide aux forces de l’ordre lors des émeutes.

« Les milices que vous évoquez ont existé, à Angers et à Chambéry notamment. Nous avons procédé à des interpellations. Nous verrons bien quelle réponse pénale ils auront », a-t-il reconnu en évoquant également la participation de « militants d’ultragauche » à des émeutes « mais de façon extrêmement rare ». « Au Mirail, à Toulouse, ils ont essayé de faire une convergence des luttes ils n’y sont pas parvenus ». En ce qui concerne les militaires de Lorient, il a confirmé qu’une enquête était en cours par le ministère des Armées.

La conclusion de l’audition a pris la forme d’une invitation faite par Gérald Darmanin aux sénateurs à légiférer. La semaine dernière, la droite et l’extrême droite avaient appelé le gouvernement à décréter l’état d’urgence. Le ministre a maintenu que ce régime d’exception n’était « pas pertinent » car contrairement à une menace terroriste, le mouvement « n’était pas organisé », « mais sans doute spontané ». « Les perquisitions administratives auraient été une atteinte aux libertés publiques sans pour autant avoir une efficacité pour le travail de la police. Je n’avais pas besoin de ça pour rétablir l’ordre ».

Pour autant, les émeutiers ont pu se coordonner grâce aux réseaux sociaux. Et mardi, le chef de l’Etat a suggéré l’idée de les bloquer lors de violences urbaines. Le locataire de Beauvau a, lui, rappelé devant les sénateurs que la captation du son et des images des téléphones tout comme leur géolocalisation était possible administrativement uniquement dans le cadre de menaces terroristes. « Si vous voulez que la police ait les moyens sous le contrôle du juge, de casser les réseaux de trafics, il va falloir étudier la possibilité pour la police et la gendarmerie d’avoir des yeux pour voir et des oreilles pour écouter ».

Pour mémoire, le projet de loi Justice actuellement en examen au Parlement autorise, l’activation des téléphones dans les affaires de terrorisme, ou relatives à la criminalité organisée. « Oui mais en judiciaire, c’est-à-dire après les faits. Si vous voulez le faire avant les faits, il faudra un jour donner des pouvoirs encadrés à la police et à la gendarmerie », a-t-il appelé.

 

 

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